Je m’en bats le clito : question éducation sexuelle, « mon compte ne devrait pas exister »

Du haut de ses quarante ans, le VIH a fait 30 fois plus de victimes que le coronavirus. Heureusement, le virus – qui se traite mais ne se guérit pas – pourrait disparaître d’ici 2030, à condition de maintenir l’effort de prévention, de traitement et de dépistage. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, AIDES tend le micro aux nouvelles voix qui s’expriment sur le sexe, le plaisir et l’amour. Aujourd’hui, Camille Aumont Carnel, aka Je m’en bats le clito, casse les codes et brise tous les tabous avec une éducation sexuelle d’un nouveau genre.

Je m’en bats le clito : question éducation sexuelle, « mon compte ne devrait pas exister »
Camille Aumont Carnel aka Je m'en bats le clito / © Mathilde Lagarrigue / @mathildelagarrigue / www.mathildelagarrigue.com

Comme son nom ne l’indique pas, Je m’en bats le clito commence avec quatre mecs sur un canapé. Fin 2018, Camille Aumont Carnel, jeune diplômée, la vingtaine, en début de carrière dans le milieu de la restauration, entend ses amis disserter sur le plaisir féminin. L’ennui, c’est qu’ils sont complètement à côté de la plaque, ou plutôt du clitoris. Ni une ni deux, elle ouvre le compte Instagram Je m’en bats le clito dans lequel elle étale au grand jour les coulisses de son intimité – aujourd’hui suivies par des centaines de milliers d’abonnés – fournissant une éducation sexuelle au plus près du réel. Pour nous, elle revient sur les bugs de notre rapport au sexe, l’occasion d’amplifier l’appel à la collecte lancée par AIDES, et de rappeler que la protection et le dépistage ne sont pas des options.

« Je m’en bats le clito », c’est un peu le monde du privé mais en public, non ?

Camille Aumont Carnel

J’alimente le compte avec l’histoire de ma vie, c’est-à-dire ma vie sexuelle et intime et mes questionnements en temps et en heure. Il y a deux ans, j’ai fait une recherche Google pour montrer la réalité du plaisir féminin à des potes. J’ai trouvé soit des articles qui expliquent comment être un bon coup, soit ce qu’il faudrait faire au lit pour être sûre que son homme reste fidèle, soit du porno, soit Doctissimo. Pas ouf ! À ce moment-là sur Instagram, j’ai seulement trouvé T’as joui, qui avait déjà commencé à aborder ces sujets.

Moi j’avais besoin de retrouver ma vie. J’ai donc créé le compte que j’aurais aimé trouver en cherchant : c’est comme ça qu’est né Je m’en bats le clito. Le compte s’inscrit dans une lignée d’autres initiatives post #MeToo et d’une libération historique de la parole. Je voulais proposer des contenus qui rassurent et qui font marrer, où chacun puisse se dire : « Ah mais ouais, moi aussi ! ». On nous a tellement expliqué que le sexe c’était compliqué, dur et douloureux… jamais on ne dit que ça peut être aussi très fun, très bien, et que non, c’est pas sale !

Les abonnés posent des questions sexo plutôt pointues : comment savoir quoi leur répondre ?

Je ne suis ni gynécologue, ni sexologue, ni sage-femme. Donc quand on me pose des questions sur ces sujets, je redirige vers des personnes et des associations dont c’est le métier. Mes abonnés attendent de moi soit que je les écoute quand ils vident leur sac, et que je leur dise qu’ils ne sont pas seuls, que j’ai déjà reçu ce type de message ; soit que je leur confirme que leur problème est « grave » et qu’il faut aller consulter. D’autres se tournent aussi vers moi parce qu’ils savent que je ne vais pas les juger, alors qu’ils ont pu être traumatisés par des violences gynécologiques ou des séances réalisées à la va-vite par des professionnels.

Les gens se répondent entre eux : quand un abonné lâche une bouteille à la mer en commentaire d’un post, souvent je n’ai même pas eu le temps de le voir que quatre personnes ont déjà répondu. Par exemple, si une nana demande « Moi, trois jours avant mes règles, mes pertes sont comme ci ou comme ça, est-ce que c’est normal ?  », une autre va répondre « Oui, c’est normal, par contre si tu as tel symptôme, peut être qu’il faut consulter  ».  C’est un peu comme un forum, avec beaucoup de bienveillance.

Des sujets lourds doivent régulièrement s’inviter dans la discussion…

Je leur dis alors de prendre le premier rendez-vous disponible chez le premier gynécologue disponible, je redirige vers des sexologues que je connais et en qui j’ai confiance, vers des associations comme Le Planning Familial ou Règles Élémentaires, ou vers des collectifs comme Nous Toutes. Il me faut des gens qui répondent dans les 10 minutes, en mode 24h/24.

Sur la question des violences sexuelles, je travaille avec un juge spécialisé dans les violences faites aux femmes : je lui envoie un mail avec le contact de la personne concernée, et il sait exactement quoi faire.

 Vous parlez des MST, du VIH, des moyens de prévention  et du dépistage ?

Mon compte est l’expression très spontanée de mes doutes. Or le préservatif ne fait pas partie des sujets sur lesquels je me pose des questions : pour moi, ce n’est pas pensable de ne pas se protéger, ni de négliger le dépistage régulier. Donc je pense rarement à prendre la parole sur la question. Par contre le jour où on m’a dit « Non mais tu prends la pilule, non ?! Du coup j’ai pas besoin de mettre de capote », là c’était vraiment hyper violent.

C’est un sujet qui a davantage sa place dans mon compte La FAQ de Camille, et sur le manuel d’éducation sexuelle du même nom que je suis en train d’écrire avec des adolescents, pour eux. Pour l’instant, le  VIH est un non-sujet pour les jeunes, ils se disent que statistiquement ils ont davantage de risque de tomber enceinte, donc ils se focalisent là-dessus. Mais c’est un vrai bail, un vrai sujet, dont il faut parler, ne serait-ce que pour dire quand, comment et où se faire dépister. Beaucoup pensent qu’ils vont être jugés, stigmatisés, mais c’est faux ! C’est comme porter plainte… D’ailleurs le jour où j’ai dit aux gens qu’ils pouvaient porter plainte en ligne, ça a tout changé.

On est si mauvais que ça, niveau éducation sexuelle ?

Mon compte ne devrait pas exister. Ou alors il devrait avoir 2 000 abonnés tellement ce que je raconte est obvious. Je rêve du jour où mes enfants me diront : « Non mais maman, t’as dû créer un compte Instagram pour parler de sexe et de pertes blanches ? Non mais lol ». Mon compte ne devrait pas exister, celui de Jouissance Club non plus. Je ne devrais pas être en train d’écrire un manuel d’éducation sexuelle pour adolescents.

Le vrai problème, c’est pas que ça passe par nous, mais que ça ne passe pas par quelqu’un d’autre. L’Éducation nationale n’aborde pas ces questions. Je devrais être payée par l’État pour faire ce que je fais. Ils pensent que l’« éducation sexuelle » ne fait pas partie de l’« éducation »… il suffit de regarder les premiers mots de la formule pour comprendre, quoi ! Pourquoi porte-t-on autant d’attention à expliquer ce qui s’est réellement passé pendant la première guerre mondiale, ou comment faire pousser des lentilles avec du coton dans un pot de yaourt, alors que le fonctionnement concret du corps et ce qui permet d’éviter le harcèlement, tout le monde s’en fout ?!

La loi (l’article L312–16 du Code de l’Éducation, depuis 2001, ndlr) impose trois séances d’information et d’éducation à la sexualité minimales par an. Dans le questionnaire de la FAQ, auquel 20 000 adolescents ont répondu, la majorité a dit avoir bénéficié d’une séance ou moins, et certains n’en ont tout simplement jamais eu. Il risque d’y avoir de surcroît un problème légal sur ces questions…

« On a affaire à des gens qui ne veulent pas parler d’éducation sexuelle. Le faire les ramène à leurs propres tabous »

Comment expliquer ce retard ? D’où vient le manque de moyens sur le sujet ?

On a affaire à des gens qui ne veulent pas parler d’éducation sexuelle. Le faire les ramène à leurs propres tabous, à qui ils sont en tant que femme, en tant qu’homme, en tant que personne non binaire, bref en tant qu’identité. Ça les ramène aussi à l’éducation que leur ont donné leurs parents, et surtout à celle qu’ils ont donné à leurs propres enfants. Et là, ils se prennent une baffe dans la gueule qui est d’une violence… Ils réalisent tellement de choses : « Est-ce que j’ai jamais pris mon pied ? », ou « Qui suis-je, moi qui ai simulé toute ma vie ? ». C’est eux que ça gêne, mais à aucun moment ils n’arrivent à prendre de la distance par rapport au fait qu’ils sont en train de faire de l’é-du-ca-tion.

Nous avons des professeurs qui, eux-mêmes, ne sont pas déconstruits. Comment arriver à prodiguer une éducation sexuelle moderne et inclusive quand on ne comprend même pas le concept d’inclusivité ? Quand on ignore ce qu’est la différence entre sexe et identité de genre, entre orientation sexuelle et orientation romantique, ou encore ce qu’est l’asexualité ? Pour eux, ces notions, c’est du chinois.

Pourtant nous ne pouvons pas faire l’impasse : ça ne suffit plus de dire « n’attrapez pas d’IST, ne tombez pas enceinte et surtout attendez avant de faire l’amour  ». Non, il faut parler de vrais sujets, de revenge porn, de l’impact des réseaux sociaux, de la place du porno… Pour rappel, l’âge moyen de visionnage des premières images pornographiques pour un enfant, c’est 9 ans. Donc à un moment les amis, vous êtes mignons, mais des préservatifs sur des bananes à quinze ans… vous avez 10 ans de retard ! L’éducation sexuelle fait partie de l’éducation au même titre que l’Histoire. Que ça vous gène ou pas, ce n’est pas mon problème : faites-vous violence !

Et puis, pourquoi fait-on appel à des gens de 40 ans, qui font eux-mêmes appel à leurs traumatismes d’adolescents – donc des souvenirs vieux de 30 ans – pour écrire des livres d’éducation sexuelle ? Moi pour mon manuel, je me suis dit « Et si je demandais directement aux ados ce qu’ils veulent savoir ?  ». Donc on a recueilli les questions qu’ils se posent, et maintenant on y répond, tout simplement.

Vous luttez contre une gêne – les tabous – en gênant à votre tour ?

On ne peut pas dire qu’on va fermer notre gueule parce que l’être humain a peur de la gêne. Moi, ce que j’essaie de faire, c’est gêner les gens. J’adore gêner. Parce qu’il y a quelque chose de ouf qui se débloque à ce moment-là. 

On ne peut pas abattre des tabous sans en parler, et pas seulement entre copines à l’apéro ou en privé. Je n’ai pas inventé l’eau chaude, je ne fais pas de schémas, de pourcentages… J’ai juste pris ce qui m’arrivait dans mon intimité et je l’ai mis en mode public. Ça a été fait avant, mais souvent en modifiant le discours : en le modernisant, en le sexualisant, en le rendant sexy. Moi, je n’ai mis aucun filtre entre les deux. Et c’est ça qui fait du bien.

Tout le monde nous a toujours fait croire que ces sujets faisaient partie de l’intime, et que c’était très bien comme ça, qu’il ne fallait surtout pas que ça en sorte. Qu’une femme acceptable devait parler comme ci, s’habiller comme ça… mais en fait, lâchez-nous les bottes ! Quand on observe les grandes familles de tabous, on se rend compte que leur point commun, c’est le fait qu’on vit dans une société patriarcale, régie encore aujourd’hui par des hommes blancs – ne serait-ce qu’en termes de pourcentage. Ça les a bien arrangé que pendant des années, les femmes se détestent les unes les autres, qu’elles n’aiment pas leurs corps, qu’elles passent davantage de temps à se demander si elles sont des bonnes mères ou des bonnes amantes plutôt qu’à sortir leurs carnets d’adresses pour s’entraider. Si on peut passer trois heures à expliquer comment changer les couches de notre gosse, on pourrait aussi en passer autant à se demander : « Et toi, tu fais quoi pour prendre ton pied ? ».

Puisqu’il faut tout dire pour faire péter les verrous, est-ce que demain nous n’aurons plus de jardin secret ?

L’intime et le secret existeront toujours. Mais demain, ça existera parce qu’on voudra que ça existe, et pas parce qu’on se sent mal à l’aise à l’idée de parler. Je veux rétablir ce choix-là. Il faut donc passer par une phase de « *RAKATAKATA* Sortez les bazookas !  », accepter de gêner les gens et de donner l’impression qu’on en fait des caisses. Ensuite seulement, on pourra se dire « okay, plus besoin d’en parler car ce n’est plus un sujet ».

Tu milites de manière plus frontale avec la journaliste Nora Bouazzouni pour faire sauter le couvercle sur un #MeToo dans la restauration…

Oui, c’est même de l’ordre du lancement d’alerte : il n’y a personne à part nous sur ce sujet, on part vraiment de zéro. Le compte Je dis non, chef ! est un appel à arrêter de se voiler la face. Pour l’opinion publique, on parle encore de maestros de l’asperge, du chef qui fait la meilleure cuisson de poisson du monde… mais leur statut de harceleur ou violeur, personne n’en parle. Ce projet, c’est ma manière de faire le pont entre mon premier métier (Camille Aumont Carnel a travaillé pendant quatre ans dans la restauration aux côtés de grands chefs étoilés, ndlr) et mon activité de militantisme. J’ai la légitimité médiatique pour lancer le #MeToo de la restauration.

Comme pour Je m’en bats le clito, il s’agit de dire tout haut ce que tout le monde pense ou vit tout bas. L’omerta dans le milieu est si puissante que les femmes se sont toujours tues, parce qu’on leur a fait comprendre qu’elles seraient encore plus dans la merde si elles l’ouvraient – alors qu’elles vivent déjà les pires crasses du monde. Sauf qu’ils ne pourront rien faire si un beau matin, vingt meufs décident de porter plainte en même temps, avec une putain d’enquête, des avocats et des avocates, et une putain d’influenceuse qui va incarner le #MeToo de la restauration et qui – manque de bol ! – est noire. Ils ne pourront rien faire.

Comment se prémunir contre le « burn out militant » ?  Est-ce que le futur du militantisme est dans la raison ?

Je ne suis pas toujours au max, et je n’ai aucun problème à le dire. Il faut rappeler aux gens qu’on est juste humains et humaines. Le futur du militantisme, c’est avant tout faire preuve de transparence : je peux dire qu’en ce moment c’est dur, et rester une femme forte.

Soutenez le sexe libéré, protégé !

Repoussez l’épidémie du VIH et soutenez la lutte contre le sida en donnant 5€, 20€, 50€ ou plus si affinités à la collecte de AIDES.

Participez aussi aux côtés d’Usbek & Rica : pour tout abonnement acheté entre le 30 novembre et le 6 décembre, 20€ seront reversés à l’association. 

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