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Glottophobie : leur accent ne les pénalisera plus au travail grâce à une nouvelle loi

Une nouvelle loi sanctionne les discriminations fondées sur l'accent. Phénomène mal connu, la glottophobie peut pourtant mettre les employés en difficulté…

Marre des remarques sur votre accent ? Désormais, vous pourrez dire gentiment aux recruteurs (et à vos collègues) que la discrimination sur l'accent est maintenant sanctionnée par la loi.
Marre des remarques sur votre accent ? Désormais, vous pourrez dire gentiment aux recruteurs (et à vos collègues) que la discrimination sur l'accent est maintenant sanctionnée par la loi. (iStock)

Par Camélia Echchihab

Publié le 8 déc. 2020 à 13:01Mis à jour le 8 déc. 2020 à 13:02

« Avec votre accent, ce ne sera pas possible » : désormais, cette phrase ne passera plus, au terme d'un processus de recrutement… et pourra coûter jusqu'à trois ans de prison et 45.000 euros d'amende.

L'Assemblée nationale a voté, fin novembre, le projet de loi du député de l'Hérault Christophe Euzet, professeur à l'université de Perpignan, qui veut « promouvoir la France des accents » et lutter contre la glottophobie. Les discriminations fondées sur l'accent, qui seront dorénavant reconnues et sanctionnées dans le code pénal et le code du travail aux côtés d'autres critères comme le genre, la race, le handicap...

Selon un sondage Ifop mené en janvier dernier, 16% des Français disent avoir été victimes de glottophobie. Et si cela touche toutes les catégories socioprofessionnelles, c'est particulièrement prégnant dans les secteurs où on s'exprime en public. Sans aller jusqu'à la discrimination à l'embauche, les accents régionaux peuvent être raillés, moqués, bref, mener à une stigmatisation qui complique les conditions de travail.

« Oh ! c'est mignon. On entend le soleil »

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Toulousaine d'origine, Marion*, 27 ans, est allée à Paris pour faire son premier stage dans une boîte de conseil en communication pour des grands groupes du CAC 40. Elle incarne, aux yeux de ses collègues, la provinciale qui monte à la capitale. Son accent n'est pas très fort, mais tout de suite, la prononciation de certains mots suscitent des remarques. « Souvent, on me disait : 'on entend le soleil, ça fait du bien!' ou alors, si je prononçais 'rose', on s'arrêtait pour me dire : 'c'est mignon ! redis 'rose' pour voir?'. Mais moi, je ne suis pas un clown! » s'insurge-t-elle. « C'est un accent connoté positivement, ça fait penser au soleil, aux vacances… ils croient me faire plaisir, mais moi je n'ai pas envie qu'on me reprenne sur ce que je suis. Non seulement, j'étais jeune, j'étais une femme, mais en plus je me sentais infantilisée avec ces remarques' » explique-t-elle.

L'accent n'est pas qu'une affaire de prononciation des mots : cela peut aussi être plus subtil. Stéphanie, d'origine alsacienne, a été stupéfaite d'apprendre que son débit de parole pouvait poser problème à Paris, lors de son premier job d'attachée de presse. « On m'a clairement reprochée de parler trop lentement, ainsi que des tournures de phrases qui ne m'avaient jamais posé aucun problème, quand je travaillais en Alsace. Des fautes de français qui ne sont pas vraiment considérées comme des fautes d'où je viens, comme dire 'à' à la place de 'de' dans certaines expressions ». Sans s'être jamais sentie en danger à son poste pour ces raisons, Stéphanie a quand même subi des corrections quelque peu intrusives de sa supérieure. « Je parlais souvent au téléphone avec des journalistes, et quand ma cheffe entendait une faute, elle me collait un post-it sur mon bureau, avec la correction »

Gommer son accent, une injonction implicite

Les remarques et les moqueries, à force d'être répétées, peuvent souvent conduire les employés à changer leur façon de parler, pour éviter d'avoir à les subir. David*, originaire des Yvelines, a été surpris de voir un de ses collègues subitement prendre un accent du Sud, au détour d'une défaite au babyfoot. « Il m'a expliqué qu'il était toulousain, que c'était comme ça qu'il parlait en réalité, mais qu'il faisait exprès, à Paris et spécifiquement au travail, de ne pas laisser transparaître son accent, pour éviter les remarques ».

« Perdre » son accent peut apparaître comme une nécessité pour être considéré positivement au travail, même si l'injonction à parler sans n'est pas directement faite. Marion aussi, a activement travaillé pour « perdre » son accent toulousain : « Je m'entrainais à gommer mon accent, pour qu'on me prenne au sérieux. J'essayais d'esthétiser les phrases, selon le modèle de la bonne communicante parisienne : avec beaucoup d'adverbes, et une voix la plus neutre possible ».

Le français de la bourgeoisie parisienne a été érigé comme le modèle neutre, à partir de la Révolution, et les différents patois et dialectes se sont transformés en accents régionaux. Philippe Blanchet, le linguiste à qui l'on doit le terme de glottophobie, l'explique dans une passionnante interview à France Culture… et précise aussi que certains accents sont plus méprisés que d'autres : « Les accents de type méridional, du Pays basque à la Provence en incluant la Corse sont les seuls accents qui ont à la fois une connotation positive et négative. Ils sont considérés comme sympathiques, 'chantants', 'jolis' et dans le même temps perçus comme 'pas sérieux', des accents de gens du Sud, qui ne font rien, des brigands… Les autres prononciations, en revanche, n'ont que des connotations négatives en étant considérées comme grossières ou grotesques. C'est le cas entre autres des accents franc-comtois, Ch'ti, berrichon… »

Journaliste, métier le plus exposé à la glottophobie ?

S'il y a bien un domaine où l'accent peut être discriminant, c'est à la télévision ou à la radio, secteurs où la parole est cruciale. Lionel*, journaliste web passé par la télévision, a lui aussi eu une expérience désagréable à cause de son léger accent toulonnais : « un chef était venu me corriger en sortant d'un direct parce que j'avais dit 'Jérome' et non 'Jérôme' (un son qui n'existe pas dans le sud-est). En précisant 'si tu veux travailler à la télé, il faut perdre l'accent' ».

Justine, originaire de la région de Toulouse, a eu une expérience similaire pendant ses études de journalisme, en module radio. « Le professeur n'arrivait même pas à écouter mes sons de manière objective, car il bloquait uniquement sur l'accent », raconte-t-elle. Pourtant, elle ne s'est pas découragée et aujourd'hui, Justine réalise de nombreux reportages vidéo, avec sa voix, pour la télévision. Même si entre-temps, précise-t-elle, son accent s'est beaucoup atténué.

Accepter la diversité des accents pour mieux s'épanouir au travail

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La crainte d'être stigmatisé à cause de son accent pourrait-elle empêcher les individus d'exprimer pleinement leur potentiel au travail ?

Derrière la glottophobie, il y a souvent les stéréotypes négatifs vis-à-vis de la région… ou du pays d'origine, lorsqu'il s'agit d'accent étranger. En fonction de la provenance peut s'immiscer une suspicion d'incompétence au travail. On le voit encore plus lorsqu'il s'agit de travailleurs expatriés. Hélène Langinier, docteure en Sciences de gestion et enseignante-chercheuse à l'EM Strasbourg, s'est intéressée à leur cas : « Les stéréotypes liés à la nationalité sont déterminants dans l'exclusion des expatriés, et peuvent influencer la performance et l'adaptation de l'individu dans son pays d'accueil... Et de précis encore plus quand ils viennent de pays émergents pour s'installer dans des pays développés. »

En tout cas, une étude menée en Allemagne en janvier 2020 a démontré que les stéréotypes négatifs attachés aux accents régionaux pourraient expliquer des écarts de salaire pouvant aller jusqu'à 20%. Il était donc plus que temps qu'une loi vienne remédier à ces discriminations.

*les prénom ont été modifiés

Camélia Echchihab

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