Alors que les dirigeants européens se réunissent cette semaine pour convenir d’un nouvel objectif de réduction des gaz à effets de serre pour 2030, une nouvelle étude d’Oxfam dresse un constat accablant sur l’origine de ces émissions parmi la population. Elle révèle que depuis 1990, la baisse de celles-ci au sein de l’Union Européenne (UE) n’a été obtenue que parmi les citoyens à revenu faible et moyen. A l’inverse, les émissions totales de CO2 des 10% les plus riches sont en constante augmentation. Cette analyse démontre une fois de plus l’importance de la lutte contre les inégalités sociales et économiques pour atteindre les objectifs de la transition climatique et environnementale.

L’économie libérale mondialisée a des conséquences évidentes sur la répartition des richesses, tant entre les différents pays à l’échelle du globe qu’au sein de leur population. En Europe, les inégalités se creusent de manière généralisée depuis les années 1980. D’après une étude du Laboratoire mondial des inégalités, la part des revenus des 10% les plus riches a connu une nette augmentation ces quarante dernières années. A l’échelle du continent, elle correspond à l’heure actuelle à un tiers du total des revenus. Cette hausse est encore plus flagrante en ce qui concerne les 0,001% les plus riches, qui ont vu leur revenu augmenter de 200% en moyenne depuis 1980.

Inégalités et émissions directement liées

Au vu de ces données, les effets néfastes des réformes libérales successives de ces dernières décennies pour la justice sociale sont indéniables. Mais leurs conséquences sur l’environnement et le climat sont tout aussi alarmantes. Or les deuxièmes sont directement liées aux premières, comme le confirme un nouveau rapport de l’ONG Oxfam, intitulé « Combattre les inégalités des émissions de CO2 dans l’Union européenne ». D’après cette analyse, la réduction des gaz à effet de serre de l’Union européenne (UE) depuis 1990 résulte d’une baisse des émissions des Européens à revenu faible et intermédiaire, tandis que les émissions des 10 % les plus riches ont augmenté sur la même période.

Parmi la population de l’UE, les 10 % les plus riches sont responsables d’autant d’émissions que la moitié la plus pauvre. Source : « Combattre les inégalités des émissions de CO2 dans l’Union européenne », Oxfam

Ce rapport s’appuie sur le travail mené avec l’Institut de l’Environnement de Stockholm (SEI), un organisme international de recherche et d’analyse des politiques, à but non lucratif. Les recherches portent sur les émissions liées à la consommation de la population, selon différentes catégories de revenus, entre 1990 et 2015. Au cours de cette période de 25 ans, ces émissions ont diminué de 12 %. Une forte disparité existe néanmoins entre les citoyens à l’origine de cette baisse. La moitié la plus pauvre de la population européenne a ainsi réduit ses émissions de près d’un quart, et les citoyens « à revenus moyens » (entre 20 000 et 40 999 € par an) de 13 %. En revanche, les émissions ont augmenté de 5% en ce qui concerne les 1% des Européens les plus aisés.

Le transport comme secteur critique

Au total, les 10 % des citoyens européens les plus riches sont ainsi responsables de plus d’un quart (27 %) des émissions de l’UE, soit autant que la moitié la plus pauvre de la population de toute l’UE. En ce qui concerne les Européens ayant des « revenus moyens » (soit 40% de la population), ils sont responsables de 46 % des émissions. Quant aux 1 % les plus riches, ils émettent 7 % des gaz à effet de serre de l’UE. Au final, alors qu’elle n’abritait que 7% de la population mondiale en 2015, l’Union Européenne était collectivement responsable de 15 % des émissions mondiales cumulées liées à la consommation.

D’après le rapport d’Oxfam, qui s’appuie également sur d’autres études récentes, la part la plus importante (30 à 40 %) de l’empreinte carbone des Européens les plus émetteurs est liée aux voyages en avion et en voiture. De manière plus globale, les émissions dues au transport, en augmentation dans la grosse majorité des Etats-Membres, sont responsables d’environ un quart de toutes les émissions de l’UE. Cela s’explique par la forte croissance du secteur de l’aviation, dont les émissions ont plus que doublé depuis 1990, mais également par l’essor de la demande de véhicules de luxe polluants tels que les SUV, qui représentent aujourd’hui un tiers des voitures neuves vendues dans l’UE. En ce qui concerne les plus faibles émetteurs, ce sont la nourriture et le chauffage domestique qui représentent plus de la moitié de leur empreinte écologique.

Les émissions liées au transport représentent un quart des émissions totales de l’UE. Image d’illustration Unsplash

Des disparités entre Etats-Membres

« Désormais, chacun doit prendre sa part de l’effort pour parvenir aux réductions plus importantes qui sont nécessaires au cours de la prochaine décennie, déclare Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat à Oxfam France. « Les inégalités en matière d’émissions de CO2 risquent de mettre à mal l’atteinte des objectifs climatiques de l’Europe si les dirigeants européens n’adoptent pas une approche commune pour réduire les émissions et lutter contre les inégalités. »  Pour maintenir le réchauffement planétaire à 1,5 °C, objectif fixé aux Accords de Paris, l’empreinte carbone des 10 % d’Européens les plus riches devrait en effet être divisée par dix d’ici 2030, et celle des 1 % les plus riches devrait être 30 fois moins élevée qu’aujourd’hui.

En comparaison, l’empreinte des 50 % d’Européens les plus pauvres devrait « seulement » être réduite de moitié. A noter toutefois que ces chiffres reflètent des moyennes à l’échelle de l’UE, de fortes inégalités en matière d’émissions existant tant à l’intérieur des États membres qu’entre ces pays. D’après le rapport d’Oxfam, les 10 % de citoyens les plus riches d’Allemagne, d’Italie, de France et d’Espagne (soit quelque 25,8 millions de personnes) auraient par exemple émis autant de gaz à effet de serre que l’ensemble de la population de 16 États membres de l’UE réunis (soit environ 84,8 millions de personnes).

« Cibler les émissions des plus riches »

Particulièrement révélatrices, ces données sont publiées à l’approche de la réunion du Conseil européen les 10 et 11 décembre, au cours de laquelle les dirigeants européens vont examiner une proposition de réduction des émissions territoriales de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Un objectif qui demeure trop peu ambitieux selon Oxfam, dont les estimations préconisent des baisses de plus de 65 % pour que l’Europe contribue à sa juste part aux réductions mondiales nécessaires pour limiter le dérèglement climatique.

De fortes disparités existent entre chaque Etat-Membre de l’UE. Source : « Combattre les inégalités des émissions de CO2 dans l’Union européenne »., Oxfam

L’ONG appelle l’UE à se servir du Green Deal pour atteindre cet objectif, en plaçant la lutte contre les inégalités au cœur de cette politique. « Un objectif climatique ambitieux pour 2030, associé à un Green Deal européen équitable, aidera l’Europe à rebondir après la crise du COVID-19, grâce à des économies plus durables et plus résilientes qui fonctionnent pour tout le mondeLe Green Deal européen peut cibler les émissions des citoyens les plus riches tout en bénéficiant directement aux Européens à faible revenu, en investissant par exemple dans la rénovation des logements et les transports publics » poursuit Armelle Le Comte.

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Cette nouvelle étude d’Oxfam confirme donc que les émissions de gaz à effet de serre sont largement imputables aux plus riches, tandis que les citoyens les plus pauvres sont les moins émetteurs. Pourtant, ces derniers sont souvent les premières victimes des effets parfois dévastateurs du dérèglement climatique, comme l’ont montré les nombreuses catastrophes naturelles survenues au cours de l’année 2020 : inondations, vagues de chaleur et incendies de forêt sans précédent. La lutte contre les inégalités apparaît donc aujourd’hui plus que jamais essentielle pour préserver l’environnement et contribuer à l’émergence de sociétés plus justes et plus résilientes, en Europe comme ailleurs.

Raphaël D.

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