Staline et le Livre noir, la persécution des Juifs d’URSS

Solomon Mikhoels, président du Comité antifasciste juif, lauréat du prix Staline, le jour de la remise du prix à Moscou en 1947. Il est assassiné sur ordre de Staline en un an plus tard. (Photo : Sovfoto) ©Getty
Solomon Mikhoels, président du Comité antifasciste juif, lauréat du prix Staline, le jour de la remise du prix à Moscou en 1947. Il est assassiné sur ordre de Staline en un an plus tard. (Photo : Sovfoto) ©Getty
Solomon Mikhoels, président du Comité antifasciste juif, lauréat du prix Staline, le jour de la remise du prix à Moscou en 1947. Il est assassiné sur ordre de Staline en un an plus tard. (Photo : Sovfoto) ©Getty
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De 1941 à 1945, 1,5 million de Juifs sont assassinés en URSS par les nazis. La rédaction d'un Livre noir, rassemblant les témoignages de ces atrocités, est d'abord soutenue par Staline qui se fait à son tour bourreau quand le livre révèle la participation des populations locales aux massacres.

Avec
  • Antoine Germa Professeur agrégé d’histoire, formateur au Mémorial de la Shoah à Paris
  • Guillaume Ribot Réalisateur de documentaire et photographe
  • Cécile Vaissié Historienne, professeure d'études russes et soviétiques à l'Université Rennes-II et chercheuse au CERCLE à l'Université Nancy II

Staline aimait-il lire ? Énormément, et cela depuis sa jeunesse. Il a été formé à l’école de Gori, en Géorgie, sa ville natale, puis il a étudié au séminaire de Tbilissi, toujours en Géorgie. Il lisait beaucoup, sans aucun doute, comme nombre de ses contemporains, mais que lisait-il ? La presse évidemment et les grands classiques, et bien sûr les ouvrages qui ont construit sa pensée Marx, Engels… mais les a-t-il bien compris ?

Le Livre noir faisait-il partie de ses lectures ? Il s’agit d’un ouvrage élaboré dès la Seconde Guerre mondiale pour documenter le massacre des Juifs par les nazis. L’ouvrage, un recueil de témoignages, a été utilisé par Staline pour prouver les atrocités, puis il a été interdit au point que ses auteurs ont été, à leur tour, persécutés. Prêt à tout pour affermir son pouvoir, Staline a très bien compris l’importance du Livre noir qu’il l’ait lu ou pas. (Xavier Mauduit)

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« Nous nous sommes retrouvés entourés de soldats qui pointaient leurs fusils sur nous. On a commencé à nous oter nos vêtements de dessus et à nous pousser vers la fosse. À ce moment-là, des coups de feu ont retenti. On a entendu des hurlements terribles. Les soldats nous faisaient tomber vivants dans la tombe pour éviter d'avoir à traîner nos corps. Je dis adieu à ma femme. Nous étions enlacés lorsqu'une balle l'a atteinte à la tête. Son sang m'a giclé au visage. ».

Ce témoignage glaçant est extrait du Livre noir, un ouvrage constitué à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour documenter la destruction des Juifs dans les territoires soviétiques conquis par les nazis. Ce livre qui recueille des textes et témoignages de survivants ne sera finalement publié qu'à partir de 1993. Qui sont Ilya Ehrenbourg, Solomon Mikhoels et Vassili Grossman, les trois personnages essentiels à la construction de ce livre ? Quels étaient les liens entre littérature et politique en URSS ? Et comment expliquer la censure du Livre noir et les campagnes antisémites commandées par Staline ?

Pour nous en parler, nous recevons Guillaume Ribot, réalisateur, photographe, il est le coauteur avec Antoine Germa du documentaire Vie et Destin du Livre noir. La Destruction des Juifs d’URSS diffusé le dimanche 13 décembre 2020 à 22h40 dans La case du siècle sur France 5. 

Et Antoine Germa, historien, scénariste, il a co-dirigé avec Benjamin Lellouch et Evelyne Patlagean l'ouvrage Les Juifs dans l'histoire : de la naissance du judaïsme au monde contemporain (Champ-Vallon, 2011).

Avec nous aussi, Cécile Vaissié, professeure d'études russes et soviétiques à l'université Rennes 2, autrice notamment de Les ingénieurs des âmes en chef. Littérature et politique en URSS (1944-1986) (Belin, 2008) .  

Le Livre noir a été réédité aux Éditions Actes Sud/ Solin en 2019 : 

Réalisée sous la direction d’Ilya Ehrenbourg et de Vassili Grossman,  cette relation “sur l’extermination scélérate des Juifs par les  envahisseurs fascistes allemands dans les régions provisoirement  occupées de l’URSS et dans les camps d’extermination en Pologne pendant  la guerre de 1941-1945” est assez avancée en 1945 pour être envoyée au  procureur soviétique du procès de Nuremberg, puis aux États-Unis où elle  est publiée. L’édition russe du “livre noir”, elle, ne verra jamais le jour : d’abord censurée, elle sera définitivement interdite en 1947. En 1952, les principaux dirigeants du Comité antifasciste juif sont condamnés à mort et exécutés d’une balle dans la nuque. Après l’écroulement de l’URSS et grâce à Irina Ehrenbourg, la  première édition intégrale en russe du Livre noir a enfin pu être publiée  en 1993 à Vilnius. La présente édition se veut le plus fidèle possible à ce livre  retrouvé, terrible page d’histoire directe et témoignage bouleversant (présentation par l'éditeur Actes Sud/ Solin)

Le livre noir. Textes et témoignages réunis par Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman.
Le livre noir. Textes et témoignages réunis par Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman.

Le livre noir, un document terrifiant

Livre noir c'est le premier vrai document qui documente le génocide. C'est un document réalisé en direct par un certain nombre d'auteurs chapeautés par Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg. C'est un document de 1000 pages difficile à lire tellement il est gorgé de tout ce qui a fait la destruction des juifs d'URSS. (Guillaume Ribot)

Et Staline devint critique vis-à-vis du Livre noir

Le problème de la collaboration des Lettons ou des Ukrainiens aux exactions nazies est un problème extrêmement grave pour Staline parce qu'il signifie que les Lettons ou les Ukrainiens n'ont pas soutenu la grande patrie soviétique. Cela est un problème qui est immédiatement soulevé. Le comité de censure envoie des notes aux auteurs du Livre noir en disant "Attention, On insiste trop sur les collaborations". Très vite, on utilise un argument un peu fallacieux : on dit que ce livre est un peu obscène, qu'il décrit trop les violences, qu'il est trop dur alors que l'objectif précisément du Livre noir et de décrire réellement ce qui est arrivé aux populations juives. Staline qui craint que les exactions commises contre les juifs soit un argument pour obtenir réparation.(Antoine Germa)

Sons diffusés :

  • Extraits du documentaire de Guillaume Ribotet Antoine Germa, Vie et Destin du Livre noir. La Destruction des Juifs d’URSS (2020) : Lettre d’un soldat envoyée à Ilya Ehrenbourg qui témoigne du déchainement de violence contre les juifs. Texte de Vassili Grossman dans laquelle il dresse liste les personnes massacrées. Texte de Vassili Grossman, un des premiers à découvrir Treblinka après génocide.
     
  • Archive - 29/04/1980 - France Culture - Extrait de l'émission Agora - Métamorphoses de la civilisation - Elie Wiesel parle de Staline et de son antisémitisme. 
  • Musique : Paul Robeson - Ol' Man River (Showboat - 1936).

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La série "Une vie, une oeuvre" proposait en 2001 un documentaire sur  Vassili Grossman, "Les manuscrits ne brûlent pas" : des montages  d'entretiens de spécialistes sur sa vie et des lectures d'extraits de  "Vie et destin" et d'autres œuvres de l'écrivain soviétique, (1ère  diffusion : 16/09/2001), un documentaire de Michel Parfenov réalisé par Anne Fleury : Vassili Grossman, ou "Les manuscrits ne brûlent pas" 

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