Prenez une femme en 2020. Elle a 15 ou 40 ans, 20 ou 60 ans. Observez-la : son style, l'éclat de sa peau, sa coiffure, son maquillage, mais aussi la manière dont elle sait jouer avec ses atouts, assume ses défauts, sait jongler avec les codes et les produits malins, prendre soin de son corps… Imaginez maintenant une femme au même âge en novembre 1945, date du premier numéro de ELLE. Hier la beauté sage et réservée de la modèle Ruth Mangelson, aujourd'hui la splendeur voluptueuse d'une Ashley Graham. Entre-temps ? Soixante-quinze ans de beauté dans ELLE. Soixante-quinze ans qui ont révolutionné la place des femmes dans la société. À travers des styles et des modes, c'est toute l'histoire de l'empowerment au féminin qui s'écrit. Futile, la beauté ? Jamais ! Plus qu'une affaire d'apparence ou de séduction, à ELLE nous avons compris avant tout le monde que c'est la manière qu'ont les femmes d'inventer leur vie et d'assumer leur destin.

Elle Macpherson par Gilles Bensimon en 1986 - Rosemary McGrotha en 1981

Elle Macpherson par Gilles Bensimon en 1986 ; Rosemary McGrotha en 1981

Au travers d'égéries et de top-modèles, de modes d'emploi et de conseils de pros, l'histoire intime et collective de quatre générations de femmes se lit dans ELLE. Entre la ménagère coquette de l'après-guerre et la femme émancipée de 2020, souhaitant faire coïncider son image avec qui elle se sent vraiment, il y a un monde. Ce monde, nos journalistes beauté, mi-expertes, mi-grandes sœurs amicales, l'ont arpenté en déculpabilisant les femmes et en dédramatisant les diktats. « Nous avons inventé une manière de raconter la beauté avec un ton joyeux, tonique, bienveillant, pour décrypter ce marché devenu pléthorique, explique Élisabeth Martorell, tendre patronne de nos pages beauté. Sans jamais perdre de vue notre mission depuis le début : rendre service à notre lectrice. » Au fil du temps, une certaine idée de la fille ELLE s'est imposée : décomplexée dans ses choix, refusant de dissocier le fond de la forme, assumant ses envies multiples et parfois paradoxales, toujours en quête de liberté. Démonstration en épluchant nos riches archives, décennie après décennie.                                            

Jourdan Dunn en 2008 © Lee Broomfield ; Monica Bellucci en 1990 © Oliviero Toscani

Jourdan Dunn en 2008 © Lee Broomfield ; Monica Bellucci en 1990 © Oliviero Toscani.

Années 1945 - 1950 : apprendre à se faire belle

Ruth Mangelson en 1948 en couverture © Chevalier

Ruth Mangelson en 1948 en couverture © Chevalier

Quand notre premier numéro paraît en 1945, c'est la fin de la guerre et les Françaises n'ont qu'une envie : vivre, voter… et se faire belles ! Depuis leur cuisine, puisque beaucoup ne travaillent pas encore, elles rêvent aux looks sophistiqués des stars de Hollywood. La beauté est un luxe réservé à une élite ? Pas pour Hélène Lazareff, fondatrice du journal, qui en a une idée plus décomplexée, joueuse et accessible. Révolutionnaire, elle donne le ton dès 1945 : « Choisir ce qui vous va, ne pas suivre les lois de la mode comme un aveugle son chien, voilà l'élégance nouvelle. » Pédagogue, ELLE propose aussi de « laisser tomber les postiches, garder les cheveux plats et mi-longs, mais brossés avec un soin jaloux, merveilleusement brillants et soignés. Maquillage léger, mais parfait. Et voilà ! » Expertise, humour et conseils précieux : pour être « Ni trop grosse, ni trop maigre » en 1947. Seule certitude ? « Vous pouvez toutes avoir du succès. » Rappel du b.a.-ba (« La beauté en 47 lois : se laver, s'épiler, s'hydrater le corps »), éloge de la sobriété (« À bas le maquillage vamp »). À partir de 1947, le corps libéré se montre en couverture, choquant les unes, réjouissant les autres : l'apparition du premier Bikini signe le début du soin que l'on va y apporter.

Un tuto de 1948 © Chevalier

Un tuto de 1948 © Chevalier

                                                                                                    

Années 50 : belles et populaires 

Brigitte Bardot en 1956 © Jean-François Clair

Brigitte Bardot en 1956 © Jean-François Clair

Si, à l'époque, les femmes sont avant tout des mères, l'envie de séduire est là. Avec les super-modèles Bettina Graziani, Sophie Litvak ou Sylvie Gélin, le journal insuffle le désir d'une féminité joyeuse… Et il y a du boulot ! Tout commence par l'hygiène. En 1951, Françoise Giroud publie une enquête qui fait scandale : « La France est-elle propre ? » 30 % des femmes d'alors n'utilisent jamais ni savon ni dentifrice… La grande journaliste se révolte : « Dans beaucoup de milieux très catholiques, on a confondu longtemps hygiène et coquetterie, et on a négligé la première pour ne pas favoriser la seconde. » Un conseil ? « Se laver pas seulement le dessus des bras, mais aussi le dessous » ! Le journal a le moral au beau fixe, incarné en 1951 par une fille radieuse : Brigitte Bardot. On veut sa taille de guêpe, son œil de biche, sa fraîcheur. ELLE plaide sans relâche pour la beauté « petits prix », la « routine allégée », le « make-up sans surcharge ». Dès 1951, le journal brise déjà le tabou de la chirurgie esthétique, avec un récit dédramatisant une opération du nez. Avant-gardiste.                                                                                  

Années 60 : le coup d'éclat

Nicole de Lamargé par Peter Knapp en 1966

Nicole de Lamargé par Peter Knapp en 1966

Twiggy en 1967 © Rik Van Glintenkamp:Seventeen

Twiggy en 1976 © Rik Van Glintenkamp/Seventeen

                                                                                              

 

En 1965 © John Stewart-Duffy

En 1965 © John Stewart-Duffy

                                                                  

La jeunesse explose et aspire à une beauté moins contrainte. Comme les idoles yéyé de l'époque ou du Swinging London, on veut une chevelure libérée, un corps délié et doré. ELLE apprend aux mères et aux filles les bons gestes pour « bronzer sans faner ». Côté make-up, crayons, liners et poudres envahissent les trousses de maquillage. Le journal célèbre les produits cultes : le premier mascara automatique (Long Lash de Helena Rubinstein) et la laque Elnett, idéale pour le chignon choucroute. Avec Twiggy en couverture en 1967, Françoise Hardy, Jane Birkin, Jane Fonda ou Jean Seberg et sa coupe à la garçonne, la féminité se réinvente. Le magazine crée les « avant/après » prouvant que la beauté s'apprivoise, comme avec la mannequin Nicole de Lamargé en 1966. Marilyn Monroe est célébrée en 1967 comme « la plus belle des rondes ». Et quand arrive la minijupe, on a soudain envie de prendre soin de ses jambes (« Comment embellir vos jambes » en 1969). En Mai 68, un vent de rébellion souffle sur la beauté : « Ne demandez la permission à personne pour porter vos cheveux longs ou courts, choisissez ce qui vous va le mieux. » Dès 1969, un reportage jusque dans un bloc opératoire dévoile les coulisses de la chirurgie esthétique. La liberté d'être soi est le nouveau mot d'ordre, repris par les couturiers de l'époque, comme Yves Saint Laurent.

 

Jane Fonda en 1968 © Just Jaeckin

Jane Fonda en 1968 © Just Jaeckin

                                           

Années 70 : la quête du naturel

En 1974 © Otto Stupakoff

En 1974 © Otto Stupakoff

Il en aura fallu du temps ! « Des psychiatres réhabilitent la coquetterie : vouloir être belle, c'est un besoin vital ! » se réjouit ELLE en 1971. Avec le droit à la pilule et à l'avortement, on veut séduire et jouir. La beauté s'est démocratisée ? Le journal insuffle l'audace : « Les coiffures de l'après-bain » en 1970, « Vivez en beauté avec vos défauts » en 1973, « Bronzer en hiver » en 1974, « Ce soir, on sort ? Soyez belle à votre façon » en 1978. La mode du topless sur les plages donne envie de prendre soin de sa poitrine dès 1972 (« Les seins, médecine et chirurgie »). Foin des carcans : « Le maquillage ne doit pas être une prison gardée par des canons sans cesse démodés », confie en 1975 Serge Lutens, alors maquilleur des stars. En 1976, on célèbre le génie des inventeurs de l'anti-coiffure (Jean-Marc Maniatis et Jean Louis David) et la joie de laisser sécher sa chevelure au naturel. La révolution par les cheveux !                                                        

Années 80 : une nature conquérante 

                                                                              

La top Elle Macpherson en 1987 © Gilles Bensimon

La top Elle Macpherson en 1987 © Gilles Bensimon

Les femmes travaillent, divorcent, veulent tout… Et aussi rester canon. Maîtriser leur vie, comme leur apparence. La fille ELLE sculpte son corps dans les salles de gym, adopte le carré culte « coiffé décoiffé » de Dessange. Les top-modèles sont les nouvelles héroïnes de la modernité : Elle Macpherson (en cover seins nus et cheveux au vent en 1987), Cindy Crawford, Stephanie Seymour, Yasmin Le Bon mènent la danse. Les codes beauté se métissent l'air de rien : quelque part entre Carla Bruni et Naomi Campbell, la sculpturale Grace Jones trône en couverture en 1983. La beauté des rondes est célébrée grâce à la top Rosemary McGrotha, chemise d'homme et regard azur, en 1983. En cosméto, les acides de fruits réveillent l'éclat. Et, pour la première fois dans l'histoire, une nouvelle vie recommence en beauté à 40 ou 50 ans (« Chirurgie esthétique : à quel âge, à quel prix ? » en 1984). Sublime, Carole Bouquet pose en 1986 en jean et veste Chanel rouge, sous le titre « La beauté accessible ». Bonne nouvelle !

Carole Bouquet en 1986 © Gilles Bensimon

Carole Bouquet en 1986 © Gilles Bensimon

                                                            

Années 90 : la féminité réconciliée                                                                                                                          

Laetitia Casta © Sylvie Lancrenon

Laetitia Casta © Sylvie Lancrenon

                                                            

En quête d'une vie plus harmonieuse, les femmes refusent les places assignées et assument une identité plurielle au fil de leurs désirs : un jour, un parfum capiteux et sexy, le lendemain, une eau florale. Kate Moss, Linda Evangelista ou Claudia Schiffer électrisent l'époque. ELLE découvre et lance une petite bombe : Laetitia Casta, qui incarnera cette décennie sexy. Stressées entre boulot et enfants, les superwomen rêvent d'une vie plus harmonieuse sans rien lâcher (« Marre de l'hiver ! Plan d'attaque pour retrouver le punch » en 1997). La rondeur, la vraie, est célébrée par le photographe Oliviero Toscani en 1996 (« Elles sont rondes et elles nous plaisent »), tandis qu'un « Spécial seins » glorifie « la folie des rondeurs » un an plus tard. Au rayon make-up, déferlement de fards et de fonds de teint novateurs : effet naturel bluffant. On court tout le temps ? Le shampooing « 2 en 1 » allège la routine du matin. « On veut rajeunir ! » clame un numéro spécial en 1995 : à 50 ans, la reine Catherine Deneuve confie : « Toutes les femmes qui disent se moquer de l'âge sont des femmes qui mentent. » Sur la chirurgie esthétique, l'actrice culte a raison avant tout le monde : « Je trouve terrible de se sentir obligée de se justifier, comme s'il fallait avouer une faute. » Le sujet est en plein boom : « Chirurgie esthétique : les 50 questions à se poser avant de dire oui » en 1997, ou « Faut-il croire aux miracles ? » en 1999. Belles, oui, naïves, jamais !    

Années 2000 : l'éloge de toutes les féminités

Emmanuelle Béart en 2003 © Sylvie Lancrenon

Emmanuelle Béart en 2003 © Sylvie Lancrenon

             

Le siècle nouveau sera métissé ou ne sera pas. La globalisation accélère le mix mondial de tous les codes. ELLE célèbre les beautés plurielles, tout est permis. Jourdan Dunn sublime la coupe afro en 2008. La fille ELLE revendique son authenticité, comme sur ce Spécial Beauté de 2003 devenu culte avec l'actrice Emmanuelle Béart, ou encore avec ces trois covers « Stars sans fards » qui célèbrent sans complexe le naturel. La top Carre Otis (taille 44-46) et la reine callipyge Jennifer Lopez permettent à ELLE de plaider sans relâche la fin de la dictature de la minceur : « Le triomphe des courbes » en 2003, « Montrer ses rondeurs : la nouvelle sexy attitude » en 2007, « Zéro complexe : ronde et bien dans mon corps » en 2010… Le journal continue à briser les tabous, et choque parfois, comme avec cette enquête sur l'épilation du sexe : « Intégrale, parfumée, colorée… Les secrets de beauté de l'épilation maillot » en 2002. Une femme de 50 ans n'a plus rien à voir avec sa mère au même âge, mais on ne veut plus rajeunir n'importe comment : « 10 trucs pour paraître dix ans de moins » en 2000, « La folie du Botox » en 2002, « Ni Botox ni chirurgie : ces femmes bien dans leur âge » en 2007. Explosion de nouveautés côté soins : enzymes régénérants, pigments soft focus pour des néo-fonds de teint seconde peau, BB et CC Creams… « La beauté est devenue une industrie puissante, portée par un marketing habile, raconte Élisabeth Martorell. Notre mission est d'aider chacune à s'y retrouver. »

                                                               

Sophie Marceau, Eva Herzigova et Monica Bellucci en 2009 © Peter Lindbergh

Sophie Marceau, Eva Herzigova et Monica Bellucci par Peter Lindbergh en 2009

                                                          

Dupe de rien et libre de tout, la femme ELLE dit haut et fort ses envies : un soir, elle se fait un make-up sophistiqué « Faux cils, œil moka, rouge pulpy » (2010), le lendemain, elle est « plus vraie, plus simple, plus belle », selon les préceptes d'un Spécial Beauté de 2008 : dans ce « retour à l'essentiel », une top ravissante porte un simple jean blanc. Une beauté éclatante.                            

2010 : La fin des diktats

Beyoncé en 2019 © Melina Matsoukas

Beyoncé en 2019 © Melina Matsoukas

                                                                                                                                                                           

Les tops changent : nez proéminent, visage ridé, fesses charnues, cheveux d'argent… Tout est beau. ELLE défend la singularité, la personnalité et la puissance personnelle. La diversité est culturelle, sexuelle ou générationnelle… En 2013, un Spécial Mode se décline avec trois filles : la Chinoise Xiao Wen Ju, la Suédoise Frida Gustavsson, et l'Afro-Américaine Jasmine Tookes. Lauren Hutton, 69 ans, pose en madone sous le titre « Ces femmes qui donnent envie de vieillir ». Liya Kebede partage ses secrets beauté, tout comme la ronde Ashley Graham (« La top phénomène qui révolutionne le Body Activism »). Valentina Sampaio et Andreja Pejic, modèles transgenres, deviennent un symbole de l'époque. Les nouveaux tops, surnommées par les Anglo-Saxons « les jolies laides », connaissent leur heure de gloire : Lily McMenamy, Jamie Bochert, Lindsey Wixson. Sur le fond, la fille ELLE veut être moins parfaite, mais plus heureuse. Les fesses XXL de Kim Kardashian sont passées par là, et Beyoncé enjoint les femmes à s'aimer telles qu'elles sont. ELLE enfonce le clou en 2014 (« Anti-blues : les 12 trucs beauté pour s'aimer mieux » en 2011, « Vive les nouveaux canons de beauté » en 2014). Avec #MeToo, le féminisme se renouvelle, ravivant la guerre du poil (« S'épiler ou pas ? »). C'est aussi l'heure de la prise de conscience green, accélérée par la crise du coronavirus. La beauté se met à penser bio, local et vegan : « Depuis 2010, on enquête sur les étiquettes, on compare bio et non bio, on scrute les nouvelles influenceuses, on raconte l'explosion des petites marques green, éthiques et super pointues, conclut Élisabeth Martorell. Le luxe est en pleine innovation. L'avenir ? Une beauté encore plus inclusive, encore plus responsable de l'environnement, encore plus joyeuse. » ¦