Anouk Grinberg : "Le mur entre les fous et les bien portants peut devenir tendre et poreux, devenir un pont"

Le livre 'Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?', recueil de textes bruts et non bruts réunis par Anouk Grinberg, a paru chez Le Passeur éditeur - Woytek Konarzewski
Le livre 'Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?', recueil de textes bruts et non bruts réunis par Anouk Grinberg, a paru chez Le Passeur éditeur - Woytek Konarzewski
Le livre 'Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?', recueil de textes bruts et non bruts réunis par Anouk Grinberg, a paru chez Le Passeur éditeur - Woytek Konarzewski
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Anouk Grinberg vient de publier 'Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?', un recueil de textes bruts (et non bruts) dont elle a également tiré un spectacle. Avec ces écrits, la comédienne interroge les notions de santé mentale, d'enfermement et, incidemment, celle de la liberté, de vivre et de créer.

Avec

Anouk Grinberg est comédienne depuis presque 50 ans. Mais elle est également peintre et, en artiste amoureuse et passionnée, elle décide parfois de rendre hommage aux mots des autres, de les mettre en valeur, de les mettre dans sa voix, pour qu'ils résonnent à d'autres oreilles. C'est ce qu'elle a fait en 2009 avec les lettres de prison de Rosa Luxembourg et qu'elle fait aujourd'hui avec le recueil, décliné en spectacle, Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? (Le Passeur éditeur). Cette compilation d'écrits bruts, que l'on doit à des auteurs et des autrices qui ont été considéré·e·s, de leur vivant, comme fous et folles, et pour cette raison enfermé·e·s, expriment pourtant, selon Anouk Grinberg, une liberté absolue.

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Trouver la liberté dans la cécité

C'est l'histoire d'un contraste entre enfermement et liberté qu'Anouk Grinberg a choisi de raconter dans sa « Journée particulière ». Au micro de Zoé Varier, elle se souvient en effet d'une journée du mois de mars 1983, au cours de laquelle, alors qu'elle est sur la scène du Théâtre de Chaillot, pour jouer L'Ordinaire de Michel Vinaver, elle devient aveugle.

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Un soir, sans que je comprenne vraiment rien du tout à ce qu'il m'arrive, subitement, je ne vois plus rien. Je ne sais plus si je ne voyais que du blanc ou que du noir, mais, en tout cas, j'étais absolument aveugle. [...] C'était atrocement douloureux.

Le diagnostic des médecins est alors sans appel : les yeux de la comédienne ont brûlé au dernier degré. Selon eux, elle ne retrouvera jamais la vue. Mais alors que cette perte implique toute une série de catastrophes pour la jeune femme, alors âgée de 20 ans (la perte de son autonomie, la fin de sa carrière, etc.), Anouk Grinberg a le souvenir d'avoir trouvé la paix dans cette cécité et une certaine forme de liberté.

J'ai cru, puisque je ne voyais plus, qu'on ne me voyait plus. Et ça, c'était le pied. C'était, bizarrement, une espèce de libération, comme si mon âme était libérée du regard des autres.

En quelques mois, contrairement à l'avis des médecins, Anouk Grinberg a recouvré la vue. Toutefois, depuis cet événement, elle essaie de reconvoquer en elle le souvenir de ce moment où elle était libre.

Rosa et les oiseaux

La liberté dans l'enfermement, Anouk Grinberg l'a également trouvée en s'intéressant de près à la correspondance de Rosa Luxembourg. La militante socialiste allemande, opposée à la Première Guerre mondiale et détenue en prison pour cette raison, est en effet à l'origine de sublimes lettres, des modèles de générosité, dans lesquelles il n'est question que de liberté, d'oiseaux et de papillons.

Quand je les ai lues, je n'en suis juste pas revenue. Et je n'en suis d'ailleurs jamais revenue.

Compilées dans un livre, Rosa, la vie, et dans un spectacle dans lequel Anouk Grinberg les interprétait, ces lettres ont su toucher au cœur un large public. Anouk Grinberg se souvient des larmes de certain·e·s spectateur·rice·s. 

Je crois que les gens pleurent de retrouver la Gauche, et ce n'est pas rien, parce qu'en fait, ils pleurent de retrouver l'humanité ; c'est comme se baigner dans un lac quand on a chaud.

La lumière au fond du cratère

Plus récemment, Anouk Grinberg s'est intéressée à l'art brut et, plus précisément, aux écrits bruts. Elle en a compilé quelques uns dans un recueil intitulé Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? et publié aux éditions Le Passeur éditeur. Lorsqu'elle a découvert ces textes, elle a été attrapée par la force de la création, la liberté, qui les caractérise. Elle s'est demandé comment des gens enfermés en hôpital psychiatrique pouvaient être aussi libres dans leur expression.

C'est pas un livre sur la maladie mentale, la pathologie ou le malheur. C'est un livre sur l'énergie vitale qui peut jaillir parfois chez des gens.

Parmi les auteurs qui la touchent particulièrement, il y a Samuel Daiber.

Ces artistes n'avaient reçu aucune éducation artistique. Ce qu'ils produisent ne vient que du fond de leur cratère. Et au fond des cratères des gens singuliers, il y a plein de lumière et il y a un amour de la vie qui est peut-être même la raison pour laquelle on les a enfermés.

Boomerang
33 min

Pour aller plus loin

L'intégralité de la captation du spectacle Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? est disponible en ligne pour les abonné·e·s à Médiapart.

Les références des œuvres citées dans l'émission

  • Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?, écrits bruts (et non bruts) réunis par Anouk Grinberg, Le Passeur éditeur, 2020
  • Jacques Lusseyran, Le monde commence aujourd'hui, La Table ronde, 1959 - rééd. Gallimard, coll. folio, 2016
  • Rosa, la vie - Lettres de Rosa Luxembourg, textes choisis par Anouk Grinberg et traduits de l'allemand par Anouk Grinberg et Laure Bernardi, Éditions de l'Atelier, 2009

La programmation musicale du jour

  • Jean Sebastien Bach (compositeur) - Dinu Lipatti (piano) , "Partita pour piano n°1 en Si bémol Maj BWV 825 - Menuets I et II", 1950
  • Leonard Cohen, "Bird on the Wire", 1969
  • Mesparrow, "Différente", 2020
  • et un extrait de Dalida, "Mourir sur scène", 1983

Le générique de l’émission

Isabelle Pierre, "Le temps est bon" (1971), remixé par Degiheugi, 2012

L'équipe

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