L’Arctique n’est pas seulement un des pôles de la planète. Il est un enjeu majeur dans les mutations climatiques, économiques et stratégiques que connaît le monde contemporain. L’intérêt que notre pays a porté à ce sujet en créant, en 2009, un poste d’ambassadeur chargé de la négociation internationale pour les pôles s’en trouve plus que jamais justifié.
Sur le plan climatique, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis 1979, les variations de la superficie et de l’épaisseur des glaces de mer arctiques sont observées au moyen de radiomètres embarqués à bord de satellites. La couche de glace qui se forme à la surface de l’océan Arctique atteint sa surface minimale annuelle en septembre. Celle-ci n’excède pas actuellement 4 à 5 millions de kilomètres carrés. Elle était de plus de 7 millions de kilomètres carrés au début des années quatre-vingt. Dès la fin de l’été, la température de l’atmosphère chute rapidement : elle oscille généralement entre – 30 et – 40 degrés Celsius en hiver. La banquise s’étend durant la période hivernale jusqu’à couvrir environ 15 millions de kilomètres carrés en fin de saison.
Le 15 septembre dernier, la banquise arctique a atteint sa surface annuelle minimale. Celle-ci était seulement cette année de 3,74 millions de kilomètres carrés, une valeur proche du point bas de 3,4 millions de kilomètres carrés enregistré en 2012. La surface annuelle moyenne des glaces de mer arctiques se réduit de 4 % environ par décennie par rapport à la moyenne observée durant la période de référence (1981-2010). La surface minimale annuelle atteinte chaque année en septembre recule à un rythme plus rapide encore : elle recule désormais de 13,3 % par décennie (1).
« Dans l’Arctique, la température atmosphérique moyenne a augmenté deux fois plus rapidement que dans le reste du monde lors des dernières décennies. »
La couche de glace qui recouvre l’océan Arctique tend par ailleurs à s’affiner : son épaisseur moyenne en septembre a chuté de 66 % entre 1958 et 2018 (2). Ce phénomène s’accompagne de la disparition progressive des couches de glace les plus anciennes. Plus de 70 % des glaces de mer arctiques sont à présent saisonnières. Parce qu’elles fondent plus rapidement et se brisent plus aisément que les glaces de mer pérennes, les glaces saisonnières sont nettement plus sensibles aux conditions atmosphériques. Publié en septembre 2019, le Rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur les océans et la cryosphère (3) dans le contexte du changement climatique évoque la possibilité d’un océan Arctique libre de glace durant les mois d’été. Si la hausse de la température moyenne globale était limitée à 1,5 °C, l’océan Arctique serait libre de glace en septembre une fois tous les cent ans. Mais il le serait une fois tous les trois ans si cette hausse atteignait 2 °C (4).
La contraction de la banquise arctique constitue la manifestation la plus spectaculaire du changement climatique engagé voilà cent cinquante ans. Dans l’Arctique, la température atmosphérique moyenne a augmenté deux fois plus rapidement que dans le reste du monde lors des dernières décennies. Connu sous le nom d’« amplification arctique », ce phénomène est produit par un ensemble de facteurs, dont la réduction de l’albédo (5) et l’augmentation de la concentration de valeur d’eau dans l’atmosphère. L’élévation de la température moyenne est responsable non seulement de la réduction du volume des glaces de mer arctiques, qui a chuté de 75 % depuis 1980, mais aussi du recul de l’inlandsis du Groenland et des glaciers (6), de la fonte du pergélisol (7) ainsi que de la multiplication des feux de forêt dans le cercle polaire. Ces différentes conséquences du réchauffement de l’atmosphère et des océans exercent des effets en retour sur le reste de la planète. La réduction de l’albédo se traduit par une augmentation de l’énergie solaire absorbée par la Terre et par une hausse des températures. La fonte de l’inlandsis et des glaciers arctiques (8) contribue par ailleurs à l’élévation du niveau des océans, qui menace tout particulièrement les populations côtières : plusieurs centaines de millions d’individus vivent dans des zones susceptibles de subir des inondations de plus en plus fréquentes lors des prochaines décennies (9). Selon l’expression consacrée, « ce qui se passe dans l’Arctique ne reste pas dans l’Arctique » […] LIRE LA SUITE.
1. Le National Snow and Ice Data Center (États-Unis) produit régulièrement des données relatives à l’évo-lution de la couverture glaciaire des mers arctiques. Elles sont disponibles à l’adresse suivante : https://nsidc.org/arcticseaicenews.
2. Ron Kwok, « Arctic sea ice thickness, volume, and multiyear ice coverage: Losses and coupled variability (1958–2018) », Environmental Research Letters, n° 13, 12 octobre 2018.
3. La cryosphère est l’ensemble des constituants du système terrestre composés d’eau à l’état solide.
4. L’objectif consistant à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 °C à la fin du siècle ainsi que l’engagement à tenter de limiter la hausse de la température moyenne globale à 1,5 °C sont au cœur de l’accord de Paris sur le climat.
5. L’albédo est le pouvoir réfléchissant d’une surface. Une glace épaisse couverte de neige réfléchit 90 % de l’énergie solaire, contre 50 % pour une glace fine et 6 % pour une mer libre de glace.
Voir sur ce point : https://nsidc.org/cryosphere/seaice/processes/albedo.html.
6. Les inlandsis et les glaciers sont des nappes de glace recouvrant la terre ferme. Un inlandsis est un glacier dont la superficie dépasse 50 000 km2.
7. Le pergélisol est un sous-sol gelé en permanence durant au moins deux ans.
8. Contrairement à une idée largement répandue, la fonte de la banquise ne contribue pas à l’élévation du niveau des océans : l’eau produite par la fonte de la glace de mer occupera le même volume que celui qu’occupait la partie immergée de cette glace.
9. Scott A. Kulp et Benjamin H. Strauss, « New elevation data triple estimates of global vulnerability to sea-level rise and coastal flooding », Nature Communications, n° 10, article 4844, 2019.
Publié dans la
Revue des Deux Mondes
décembre 2020 – janvier 2021
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