Pas de cueilleurs, pas de café : comment Covid menace la récolte colombienne

  • Manuel Rueda
  • Antioquia, Colombia
Gloria Piedrahita en train de cueillir du café au domaine de Santa Isabel le 20 novembre 2020.

Crédit photo, Simon Echavarria

Légende image, Gloria Piedrahita est nouvelle dans la cueillette du café. Elle a commencé après la faillite de son magasin.

Depuis près de quatre décennies, le domaine de Santa Isabel cultive le café et le torréfie dans ses locaux avec des machines alimentées par de l'eau et du charbon.

Mais la production pourrait chuter cette année dans cette immense ferme, qui couvre une montagne escarpée presque entièrement recouverte de caféiers.

Les cueilleurs de café sont devenus plus difficiles à embaucher en raison de la pandémie de coronavirus. Les prix bas du café signifient qu'il n'y a pas beaucoup d'argent pour attirer plus de travailleurs en offrant des salaires plus élevés.

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"Si nous ne pouvons pas avoir plus de travailleurs, nous pourrions perdre une partie de notre récolte", dit Ángel García, le directeur de la ferme. "Les grains vont tomber et pourrir sur le sol", explique-t-il, alors qu'une équipe d'environ 50 travailleurs remonte une pente couverte de buissons de 1,8 m de haut.

Ángel García, l'un des gérants du domaine de Santa Isabel, surplombe une pente recouverte de caféiers le 20 novembre. La ferme compte 900 000 plantes.

Crédit photo, Simon Echavarria

Légende image, Ángel García est l'un des directeurs de Santa Isabel, une ferme de 900 000 caféiers.

Santa Isabel, qui compte 900 000 caféiers, est l'une des nombreuses exploitations de la province colombienne d'Antioquia qui se débattent cette année avec une pénurie de main-d'œuvre.

Cette province, qui abrite la ville de Medellín, a besoin chaque année d'environ 32 000 cueilleurs venus d'autres régions du pays pour récolter son café, entre septembre et décembre.

Mais elle a actuellement un déficit de 7 000 cueilleurs de café, selon la Fédération nationale des producteurs de café de Colombie.

Des pénuries de main-d'œuvre similaires ont touché les plantations de café du Costa Rica au début de l'année.

Plus de risques

Les travailleurs de la ferme Santa Isabel disent que moins de gens se présentent parce que le travail est devenu plus risqué.

"Cet endroit a des travailleurs qui viennent de différents endroits", a souligné Luis Giraldo, un cueilleur de café de 40 ans.

Luis Giraldo ramassant du café au domaine de Santa Isabel

Crédit photo, Simon Echavarria

Légende image, Luis Giraldo dit qu'il peut récolter environ 100 kg de grains par jour, ce qui lui rapporte environ 15 dollars

"Même si vous essayez d'éviter le contact avec les autres, vous ne pouvez pas vraiment", dit-il, en désignant un groupe d'une douzaine de travailleurs assis les uns à côté des autres, en bavardant après avoir pris leur petit-déjeuner. Aucun d'entre eux ne porte de masque.

L'épouse de M. Giraldo, Gloria Piedrahita, se dit heureuse d'avoir un emploi. Son petit magasin de vêtements à Medellín a fait faillite au début de l'année. Mais elle reconnaît aussi qu'il y a un risque d'infection par le coronavirus.

"Nous devons dormir dans des dortoirs ici", explique-t-elle. "Et tous les travailleurs ne sont pas prudents", renchérit-elle.

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Pour prévenir les épidémies et rendre le travail plus sûr pour les cueilleurs de café, les exploitations agricoles colombiennes ont pris des mesures de sécurité dont l'ajout de kits de lavage des mains et le contrôle des températures.

Certaines des plus grandes exploitations ont également agrandi leurs dortoirs ou ajouté des tentes afin que leurs travailleurs soient plus espacés, leurs lits superposés étant désormais placés à deux mètres les uns des autres.

Les travailleurs du domaine de Santa Isabel partagent un repas le 20 novembre 2020.

Crédit photo, Simon Echavarria

Légende image, Les travailleurs ne pratiquent pas toujours la distanciation sociale ou ne portent pas de masque pendant leurs pauses

Mais ces mesures n'ont pas attiré autant de travailleurs que les agriculteurs l'espéraient, même si le taux de chômage en Colombie est environ 50 % plus élevé qu'il y a un an.

Des camions vides

M. García indique que son exploitation agricole engage généralement 500 travailleurs temporaires pour récolter ses caféiers en novembre, lorsque les grains sont prêts à être cueillis. Cette année, il n'a pu en embaucher que 200.

Le temps froid et pluvieux a ralenti le rythme de maturation des grains de café dans de nombreuses régions de Colombie cette année. Cela a permis à Santa Isabel d'éviter des pertes importantes. Mais la ferme continue à recruter activement des gens, avant que ses grains ne tombent par terre.

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"Nous faisons de la publicité à la radio, nous envoyons un camion en ville avec un mégaphone et nous proposons d'amener des travailleurs à la ferme", explique M. García. "Le camion revient souvent vide", ajoute -t-il.

José Álvaro Jaramillo, le directeur d'Antioquia de la Fédération des producteurs de café de Colombie, affirme que pénurie de travailleur existe depuis plusieurs années, bien que dans une moindre mesure, car des industries mieux payées comme la construction d'autoroutes et la culture illégale de la coca attirent les travailleurs ruraux loin des champs de café.

Un travail physiquement exigeant et peu sécurisé

En Colombie, les cueilleurs de café sont payés environ 0,15 $ pour chaque kilogramme de grains qu'ils ramassent. Dans les bons jours, un cueilleur de café expérimenté peut gagner environ 30 dollars par jour, en ramassant 200 kg de grains.

Luis Giraldo et Gloria Piedrahita reçoivent l'aide d'une collègue cueilleuse de café au domaine de Santa Isabel le 20 novembre

Crédit photo, Simon Echavarria

Légende image, En temps normal, l'exploitation agricole engage environ 500 travailleurs temporaires pour effectuer les travaux physiquement exigeants

C'est trois fois plus d'argent que ce que gagne un travailleur au salaire minimum national. Mais le travail est physiquement exigeant et ne permet pas de bénéficier d'un revenu fixe ou d'une assurance maladie.

Fernando Morales de La Cruz, un expert de l'industrie du café qui dirige l'initiative "Café for Change", affirme que la pénurie de main-d'œuvre continuera à poser problème tant que "le modèle commercial sur lequel repose l'industrie mondiale du café ne sera pas modifié".

M. Morales de la Cruz souligne que le café se vend actuellement à environ 2,40 $/kg sur les marchés mondiaux, soit moins que le prix auquel il se vendait en 1983, lorsque les pays producteurs de café ont cessé d'imposer des quotas d'exportation.

Il affirme que quelques entreprises, dont Starbucks et Nestlé, achètent la majeure partie du café dans le monde et maintiennent des prix bas grâce à leur pouvoir de négociation.

Pour que les salaires s'améliorent sensiblement dans l'industrie, il faudrait que les prix de gros des grains de café tournent autour de 12 dollars par kilo, déclare M. Morales de la Cruz, qui est également un militant des droits de l'homme. Il affirme que cette forte hausse des prix pourrait être en partie couverte en faisant payer aux consommateurs 10 cents supplémentaires pour chaque tasse de café achetée dans les cafés ou les restaurants.

"Nous ne pouvons pas laisser le coronavirus nous effrayer"

Alors même que les producteurs se battent pour obtenir des prix bas pour leur café, il y a des gens qui sont prêts à travailler pour les salaires modestes proposés.

Rafael Avendaño déjeune à Santa Isabel

Crédit photo, Simon Echavarria

Légende image, Rafael Avendaño a besoin de travailler pour envoyer de l'argent au Venezuela

À la ferme de Santa Isabel, beaucoup des cueilleurs de café qui sont venus cette année sont des migrants vénézuéliens, qui doivent envoyer de l'argent à leurs parents dans leur pays d'origine. Au Venezuela, le salaire minimum mensuel est actuellement d'environ un dollar.

"Nous ne pouvons pas laisser le coronavirus nous effrayer", a déclaré Rafael Avendaño, un travailleur vénézuélien de 25 ans qui travaille dans la ferme depuis un mois.

Il vivait depuis trois ans sur la côte caribéenne de la Colombie où il travaillait comme chauffeur de taxi-moto, mais la pandémie l'a poussé à la faillite. "J'ai plus peur de dévaler une de ces pentes que de la pandémie", a-t-il plaisanté.

"Pour des gens comme nous, la priorité est de travailler", conclut M. Avendaño.

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