C’est un nouveau pas dans la compréhension des mécanismes de la dépression, et une preuve de plus du rôle majeur du microbiote intestinal dans le fonctionnement du cerveau. Des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS montrent que, chez des souris, une modification du microbiote peut être à l’origine d’un état dépressif, notamment en provoquant un effondrement de cannabinoïdes endogènes dans le sang et au niveau cérébral. Grégoire Chevalier (Institut Pasteur, Inserm), premier auteur de l’article publié le 11 décembre dans la revue Nature Communications, et ses collègues suggèrent aussi que les troubles de l’humeur des rongeurs peuvent être corrigés en leur apportant des bactéries qui font défaut à leur flore intestinale.
Depuis quelques années, l’étude des liens entre des anomalies du microbiote intestinal et des troubles neuropsychiatriques comme la schizophrénie, l’autisme ou encore la dépression est en plein essor. Cette discipline nommée psychomicrobiotique a déjà conduit à des découvertes surprenantes. En 2016, une équipe irlandaise a ainsi réussi à induire des états dépressifs chez des rats par une transplantation de microbiote fécal provenant d’humains souffrant de ce trouble de l’humeur.
Petits tracas et résignation
En 2015, l’Institut Pasteur de Paris a lancé un vaste programme « Microbiote et cerveau », qui fait collaborer notamment des neuroscientifiques, des microbiologistes et des immunologistes. C’est dans ce cadre qu’ont été menés les travaux publiés dans Nature Communications. Les chercheurs ont eu recours à un modèle de stress chronique imprédictible (UCMS, en anglais) de souris. « On leur fait subir l’équivalent d’une succession de petits tracas quotidiens : un jour leur cage est inondée, un autre elle est penchée…, explique le neuroscientifique Pierre-Marie Lledo, coauteur senior de l’article, avec l’immunologiste Gérard Eberl. Avec ce modèle assez proche de la physiologie humaine, ces rongeurs sont rendus dépressifs, ce qui est attesté par des comportements d’abandon, de résignation, lors de tests. »
Les scientifiques ont ensuite « transmis » ces états dépressifs à des animaux en bonne santé par une simple transplantation de microbiote intestinal, puis ils ont étudié les modifications de celui-ci. Lors d’expériences précédentes, ils avaient mis en évidence un défaut de production à ce niveau des précurseurs de la sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans la dépression.
Cette fois, ils ont découvert que la modification du microbiote entraîne une forte baisse de cannabinoïdes endogènes, dans le sang mais aussi dans le cerveau. Ces métabolites lipidiques sont en particulier déficients au niveau de l’hippocampe, une structure cérébrale qui joue un rôle-clé dans la mémoire et qui est perturbée dans la dépression. « Tout se passe comme si les bactéries intestinales restantes gaspillaient ces métabolites. Quand on amène les probiotiques manquants, ici des bactéries Lactobacillus plantarum, les troubles se corrigent, poursuit Pierre-Marie Lledo. La prochaine étape est de faire produire directement par des bactéries artificielles les métabolites qui font défaut. »