La scène se déroule dans une boutique de prêt-à-porter féminin en plein centre de Bordeaux, à la fin du mois de novembre. Les clientes – jeunes femmes, adolescentes et mères avec leurs enfants – profitent de l’assouplissement du second confinement en France.

Dehors, des manifestants défilent dans la rue. Ils protestent contre les violences policières et le nouveau projet de loi de sécurité globale. Deux jeunes femmes se détachent du cortège et commencent à écrire avec des marqueurs sur la vitrine de la boutique. L’une d’elles tente vainement de dissimuler son visage, tout en inscrivant : “Je vomis sur vos normes.”

Un jeune homme s’approche, le visage masqué, et frappe sur la vitrine avec un objet contondant. Un autre, grand, le visage découvert, la mine aristocratique et les cheveux blonds rassemblés en queue-de-cheval, jette un regard méprisant à travers la vitrine fissurée en direction des clientes et des vendeuses.

Puis, un autre jeune homme – ou plusieurs – se met à frapper contre toute la devanture du magasin. Il y a du verre brisé partout, des cris, des pleurs, de la panique, des rires nerveux…

La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux, et ce qu’elle montre n’est pas un cas isolé. Les incidents de ce genre se sont multipliés dans de nombreuses villes de France depuis le début des manifestations des “gilets jaunes”, il y a deux ans – et même avant.

Les affaires reprennent

Les policiers sont visés par des jets de pierres ou de cocktails Molotov ; des voitures sont brûlées ou renversées ; des vitrines de banque et de magasin sont fracassées ; des abribus sont détruits. Les auteurs de ces dégradations disent viser des “symboles du capitalisme” mais semblent avoir une dent contre les abribus pourtant utilisés par les catégories les plus modestes et vulnérables de la population.

La crise sanitaire a brièvement suspendu les activités de cette France anticapitaliste. Mais depuis la fin du second confinement, les affaires reprennent.

De nouveau, on voit des groupes de jeunes gens encapuchonnés – pour la plupart des hommes, blancs, entre 20 et 40 ans – envahir les cortèges de manifestations bien organisées. Certains sont des révolutionnaires à temps plein. D’autres sont des révoltés du dimanche, s’adonnant à une forme de hooliganisme politique. D’autres – pas tous – sont des jeunes gens hautement diplômés issus de milieux plutôt favorisés.

On a coutume de les appeler “black blocs”, en référence à un mouvement anarchiste apparu en Allemagne dans les années 1970. Ce terme est toutefois trompeur, rappelle Olivier Cahn, professeur en criminologie :

Le black bloc est une méthode, pas un mouvement.”

“L’idée de départ était de former un bloc de manifestants vêtus de noir représentant de manière symbolique, et parfois violente, la résistance au contrôle de l’État dans l’espace public et sur toute la société”, poursuit-il.

“Tout a débuté avec le mouvement anarchiste allemand apparu dans les années 1970 et dont les méthodes ont été adoptées et adaptées dans d’autres pays, de l’Italie aux États-Unis. Mais ce n’était pas un mouvement organisé et il n’y avait pas de tête pensante.” Une bonne partie du vandalisme attribué aux blacks blocs relève pourtant d’un tout autre phénomène. “Il s’agit de groupes disparates de l’ultragauche qui reprennent les méthodes du black bloc mais vont bien au-delà.”

Un pouvoir paradoxal

Ils ont des points communs avec ceux que l’on appelle “Antifa” aux États-Unis. S’ils sont tout particulièrement actifs en France, c’est parce que ce sont des passionnés de politique. Leur truc : infiltrer les manifestations des autres. Et comme la France