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Deux militaires français tués au Mali : la menace permanente des engins explosifs
Le sergent Yvonne Huynh, 33 ans, et le brigadier Loïc Risser, 24 ans.
AFP

Deux militaires français tués au Mali : la menace permanente des engins explosifs

Opération Barkhane

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Deux militaires du 2ème Régiment de Hussards de Haguenau sont tombés le 2 janvier, lors d’une mission de reconnaissance. Les IED (Improved explosive devices) sont la principale menace au Mali, où Barkhane accumule les succès tactiques mais où la France peine à définir une stratégie.

Deux attaques en une semaine, cinq soldats français tués. L’année 2020 s’est mal terminée pour la force Barkhane au Mali, avec l’attentat par IED (Improved explosive devices) contre un convoi logistique à proximité de la base d’Hombori, et la mort de trois militaires du 1er régiment de Chasseurs le lundi 28 décembre à bord de leur VBL (Véhicule Blindé Léger). 2021 a mal commencé : le samedi 2 janvier ce sont cette fois deux hussards du 2ème RH de Haguenau, spécialisés dans le renseignement, qui ont perdu la vie lorsque leur détachement, en mission de recueil d’information près du village de Tabagoute, à deux kilomètres au nord de Ménaka, a été visé, à nouveau, par une IED : le sergent Yvonne Huynh, 33 ans, et le brigadier Loïc Risser, 24 ans. Des professionnels aguerris, qui n’en étaient pas à leur première mission et connaissaient très bien le terrain.

Selon le journaliste de France 24 Wassim Nasr, spécialisé dans les mouvements djihadistes, cette attaque a été revendiquée par le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), affilé à Al-Qaïda, le 3 janvier, comme l’a été celle du 28 décembre, dans un long communiqué où les terroristes, dans un texte très politique, appellent les Français « à faire pression sur leurs chefs pour se retirer du Mali ».

Lieux et moments symboliques

Coup dur pour la France, et frappes qui ne sont en rien dues au hasard, tant les lieux et le moment choisis sont symboliques : Hombori, base qui venait d’être visitée par le chef d’état-major des armées, François Lecointre, au mois de décembre. Menaka, que Barkhane partage avec la Mission des nations unies et les Forces armées maliennes, et où la Force Takuba, qui regroupe les forces spéciales de plusieurs pays européens venus prêter main forte à la France, s’apprête à s’installer. Une zone d’intense activité pour le GSIM, qui servirait également, toujours selon notre confrère de France 24, de plate-forme de tir pour des lance-roquettes artisanales.

Ces opérations surviennent alors que la France a mené avec succès un grand nombre d’opérations contre les groupes terroristes, et neutralisé plusieurs de ses chefs. Mais si les opérations aériennes, les frappes par drones armés ou les missions de forces spéciales permettent d’affaiblir considérablement les islamistes, la supériorité numérique et la puissance de Barkhane ne la rendent pas invincible.

Mobile, puissant, mais vulnérable

Depuis le déclenchement de l’opération Serval en 2013, à laquelle Barkhane a succédé en 2014, un peu plus de 40 % des soldats français tués l’ont été par attaque à l’explosif. 41,5% exactement, soit 22 sur les 53 recensés sur le blog « Le mamouth » du journaliste Jean-Marc Tanguy, qui rassemble les deux opérations. Et dans leur grande majorité les militaires se trouvaient à bord de VBL, véhicule certes très mobile et puissant, mais vulnérable, malgré les multiples aménagement en matière de blindage et de brouillage qui lui ont étés apportés.

Pour le colonel Michel Goya, expert en stratégie, cet aspect n’a rien de nouveau : « C’était la même chose en Afghanistan, en Irak et au sud-Liban pour les israéliens, où ce mode d’action a commencé à être employé. Le Hezbollah est d’ailleurs la matrice de beaucoup de modes d’action qui sont toujours employés aujourd’hui. » En menant un combat de type « cumulatif », comme il le définit, où l’on ne s’affronte plus directement mais où l’on assène des coups à l’ennemi, qui nous en assène à son tour, et ainsi de suite, le protagoniste le plus puissant s’expose à des attaques de ce type. Contrairement à une guerre « séquentielle », comme celle qui fut menée lors de l’opération Serval, qui correspond plus au modèle de la guerre classique, entre deux adversaires qui s’affrontent.

Actions d'embuscade

« Le vrai dilemme c’est la protection des forces » explique l’officier, « instinctivement on va se mettre dans des bases, et on va se protéger, en augmentant toujours plus les mesures de protection et de blindage. Mais ce faisant, on s’alourdit, on reste dépendant des axes routiers, on doit sortir tout de même, et on devient prévisible, et vulnérable des actions d’embuscade et aux IED. »

Le fait qu’un certain nombre d’attaques aient eu lieu sur deux des grands axes de la zone dite des trois frontières, la RN20 et la RN16, qui passent par Gao et Menaka, est directement à mettre en lien avec ce risque. Mais sur des terrains beaucoup plus reculés et isolés, le risque existe également : les soldats du 2ème RH effectuaient une mission de reconnaissance à proximité d’un petit village.

Les équipages des VBL partent chaque matin avec le risque d’IED en tête, et quand ils ne sont pas sur une route goudronnée parce qu’ils y sont obligés, ils font tout pour éviter les pistes. Pas de carrefour, pas de sentier, des itinéraires qui changent en permanence : l’engin a la capacité de passer là où ni les gros véhicules ni les motos ne passent. Mais « un engin explosif improvisé, ça ne s’improvise pas ». Cela coûte cher, demande des connaissances techniques et stratégiques : « C’est un combat, ils sont intelligents, se renseignent, surveillent. Si les moyens sont pauvres, la technique ne l’est pas. Il y a une différence entre le niveau des moyens et l’impact. » Si le VBL a sa vitesse pour atout, qui peut lui éviter de sauter sur une charge même en passant dessus, il sera bien obligé de ralentir à l’approche d’un village, et les terroristes le savent. Les brouilleurs peuvent être efficaces sur un RCIED (Radio command IED), c’est à dire un engin déclenché à distance, généralement à l’aide de téléphones portables, il est impossible de déjouer les « pressure plate », qui s’actionnent automatiquement par pression entre plaques métalliques.

Une unité essentielle et exposée

Le 2ème RH est un outil essentiel de Barkhane, il est présent sur le théâtre en auto-relève tous les quatre mois depuis 2013. La spécificité de sa mission, le recueil de renseignement humain à fin de déploiement du reste de la force, en fait une unité essentielle et exposée : « Sans être des forces spéciales, ce sont les premiers capteurs sur le terrain » explique un militaire.

« Se protéger contre les IED ? Les Américains ont tout essayé » note le colonel Goya. « La structure qui s’occupait de cela avait un budget de trois milliards de dollars par an. Les VBL ont quarante ans, c’est un super engin, très mobile, mais vulnérable. On paie des années de crise budgétaire et de réduction des moyens. Les économies se paient aussi en vies humaines. » Pour lui, la meilleure protection consiste à garder l’initiative en contrôlant le terrain et en évitant les routes, « en se baladant léger, on est mieux protégé, même si cela peut paraître contre-intuitif ».

En frappant les Français de Barkhane à la suite d’une importante séquence de défaites et d’échecs, Al-Qaïda a voulu créer un choc psychologique, alors même que la France envisage de rapatrier les 600 soldats supplémentaires qui avaient été envoyés sur le théâtre à la suite du sommet de Pau : « Ils ont voulu signifier : « Barkhane gagne du terrain, ils ont des victoires, mais on peut les toucher ». Mais nous, nous devons comprendre que ce n’est pas parce que nous perdons des soldats que nous sommes en train de perdre ! Bien-sûr en s’exposant plus, on prend des risques, mais on fait du bilan ! Reste à déterminer une stratégie globale plus claire, car aujourd’hui nous sommes encore dans le flou. »

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne