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La mystérieuse disparition du patron d’Alibaba Jack Ma

L’entrepreneur star n’est plus apparu en public depuis plus de deux mois. Une disparition qui interpelle, alors qu’il est la cible d’une campagne d’intimidation sans précédent du gouvernement. Par ailleurs, Pékin a condamné mardi Lai Xiaomin, ancien patron du conglomérat financier China Huarong, à la peine capitale pour «corruption et bigamie»

Jack Ma n'est plus apparu en public depuis fin octobre. — © Philippe LOPEZ / AFP
Jack Ma n'est plus apparu en public depuis fin octobre. — © Philippe LOPEZ / AFP

Les régulateurs financiers chinois sont «un club de vieux messieurs» qui passent leur temps à élaborer des réglementations anachroniques dans le seul but d’étouffer l’innovation. S’exprimant fin octobre devant un parterre d’investisseurs à Shanghai, Jack Ma n’a pas mâché ses mots. Depuis, il n’est plus réapparu en public. Le fondateur d’Alibaba, l’un des hommes d’affaires les plus en vue de l’Empire du Milieu, s’est volatilisé.

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En novembre, il devait officier en tant que juge lors d’un concours télévisé pour découvrir des entrepreneurs africains prometteurs. Mais sa photo a été retirée du site de l’émission et il a été remplacé par un autre cadre de la firme. L’homme d’affaires flamboyant, qui aime se déguiser en rock star et se mettre en scène en tant que maître de kung-fu, n’est même pas réapparu le 11 novembre pour Singles Day, le Black Friday chinois qu’il a popularisé sur ses plateformes d’e-commerce.

«Il y a deux hypothèses à ce stade, pense Rana Mitter, un expert de la Chine à l’Université d’Oxford. Soit les autorités lui ont fait comprendre qu’il devait faire profil bas durant quelque temps, soit il est entre les mains de la police pour être interrogé.» Jack Ma est en effet dans le collimateur des autorités.

«Trop célèbres et trop critiques»

Début novembre, l’entrepreneur de 56 ans a dû repousser la cotation en bourse du bras financier de son empire, Ant Group, après avoir reçu un avertissement du gouvernement. Fin décembre, les autorités annonçaient l’ouverture d’une enquête contre Alibaba pour «soupçon de pratiques monopolistiques». Ant Group était de son côté placé sous la supervision d’une task force gouvernementale, avec pour consigne de revoir ses activités à la baisse.

«Le gouvernement trouve que les titans chinois de la tech sont devenus trop célèbres et trop enclins à critiquer le régime en public, souligne Rana Mitter. Il a voulu faire de Jack Ma un exemple, afin de rappeler à ses pairs que le parti reste l’autorité suprême à laquelle ils doivent faire allégeance.»

A cela s’ajoute la volonté de mieux réglementer des entreprises devenues «too big to fail». «Alibaba et Tencent possèdent un duopole sur les paiements mobiles, note Benjamin Quinlan, un conseiller financier basé à Hongkong. Alipay a 55% de part de marché, suivi par WeChat Pay qui en détient 40%.»

Ils dominent aussi les prêts et la gestion de fortune en ligne, et tentent de s’imposer dans le domaine de l’assurance. A son apogée, le fonds Yuebao d’Ant Group avait 270 milliards de dollars sous gestion. «La Chine a un grave problème d’endettement que ces firmes ont largement exacerbé avec leurs prêts en ligne, relève Rana Mitter. A terme, cela pourrait devenir une source d’instabilité financière pour le pays.»

Le succès d’Alibaba et de Tencent pénalise en outre les banques étatiques, qui peinent à rivaliser avec les écosystèmes en ligne créés par ces derniers. «Or pour Pékin, les entreprises affiliées à l’Etat doivent rester le socle de l’économie», indique Rana Mitter.

«Si quelqu’un doit aller en prison, ce sera moi»

Le gouvernement chinois a déjà tenté par le passé de réduire l’influence de ces géants de la fintech, obligeant Alipay et WeChat Pay à parquer les fonds déposés dans leurs porte-monnaies virtuels sur un compte bancaire à bas taux d’intérêt et à faire transiter toutes leurs transactions par la plateforme de clearing NetsUnion, créée par la banque centrale chinoise. Mais jamais l’attaque n’avait été aussi agressive. Convaincu de sa suprématie, Jack Ma avait d’ailleurs pour habitude de fanfaronner devant ses collègues que «si quelqu’un doit aller en prison, ce sera moi».

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Reste que sa mystérieuse disparition est loin d’être un cas isolé. En 2015, le fondateur du conglomérat Fosun, Guo Guangchang, surnommé le «Warren Buffett chinois», avait disparu durant une semaine pour «assister les autorités judiciaires» dans le cadre d’une investigation.

En 2017, le patron du Tomorrow Group, Xiao Jianhua, s’était fait enlever au petit matin par des agents chinois, alors qu’il séjournait dans un hôtel de luxe à Hongkong. Il est réapparu quelques mois plus tard en détention, avant de se faire saisir son entreprise. Et en 2018, l’actrice Fan Bingbing a disparu durant trois mois, alors qu’elle était sous enquête pour évasion fiscale. De quoi donner des sueurs froides à Jack Ma.

Un magnat de la finance condamné à mort pour «corruption et bigamie»

Dans la lignée des patrons chinois connaissant des démêlés avec la justice, Lai Xiaomin constitue un cas extrême: il a été condamné mardi à la peine capitale pour «corruption et bigamie». Un verdict exceptionnel dans le monde des affaires

L'ancien patron du conglomérat financier China Huarong a été reconnu coupable d'avoir obtenu 215 millions d'euros de pots-de-vin et tenté d'en obtenir 13 millions supplémentaires. La justice lui a en outre attribué des détournements de fonds publics de 3,1 millions d'euros.

Les montants étaient «extrêmement importants, les circonstances particulièrement graves et les intentions extrêmement malveillantes», a indiqué dans son jugement un tribunal de Tianjin (au nord de la Chine). Lai Xiaomin a également été reconnu coupable de bigamie, pour avoir «vécu longtemps avec d'autres femmes», en dehors de son mariage, dont il a eu des «enfants illégitimes».

Aveux télévisés

En janvier 2020, M. Lai avait fait des aveux diffusés par la télévision publique CCTV. Des images d'un appartement de Pékin, censé lui appartenir, avec coffres-forts et armoires remplies de liasses d'argent liquide, avaient alors été diffusées. Lai Xiaomin, qui avait auparavant travaillé à la banque centrale et pour le gendarme des banques, assurait ne pas avoir «dépensé un seul centime» de cet argent.

China Huarong Asset Management est l'un des plus grands gestionnaires en Chine de créances douteuses, c'est-à-dire présentant une grande probabilité de non-remboursement. Elle fait partie des quatre entreprises créées par le gouvernement en 1999 afin d'assainir le secteur bancaire. Le groupe s'est depuis diversifié dans l'investissement, les prêts et l'immobilier.

Des milliers d'exécutions chaque année

Depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, un seul haut responsable chinois a été condamné à mort. C'était en 2016 pour une affaire de meurtre. D'autres ont aussi été condamnés à la peine capitale, mais avec sursis. La sentence n'est en pratique jamais exécutée sur ce genre de personnalités.

La Chine garde le plus secret sur les exécutions des condamnés à la peine capitale. L'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty international estime que des milliers de prisonniers de droit commun sont exécutés chaque année dans le pays.