En partenariat avec Musée Marmottan-Monet
Qui d’autre, mieux que Claude Monet, a su saisir la féérie des paysages de neige ? D’Étretat à Giverny, le maître de l’impressionnisme n’a jamais hésité à braver le froid pour détailler, du bout de ses doigts gelés, les subtiles irisations de couleur décelées dans le ciel et à la surface du manteau blanc. Durant l’hiver 1874–1875, c’est Argenteuil, ville des boucles de la Seine où il s’est installé avec sa famille en 1871, qui lui inspire une suite de 16 paysages enneigés. Parmi ces délicieuses symphonies de blanc, de gris perle et de mauve, illuminées de jaune et de rose pâle, et où les maisonnettes et les arbres frêles ne croisent que quelques promeneurs solitaires, Le Train dans la neige fait figure d’ovni.
Tel un invité inattendu, une locomotive à vapeur surgit du décor hivernal ! Nous voici nez à nez avec la machine qui vient s’arrêter en gare. Et dont la silhouette anthracite, presque noire, se détache avec force sur la blancheur de la neige et la pâleur du ciel. À l’avant, au-dessus d’une grille rouge sang, ses phares jaunes brillent comme les yeux ronds d’un prédateur… D’une main enlevée, l’artiste brosse le panache de vapeur qui s’échappe de sa cheminée et s’élève dans le ciel comme un tourbillon de nuages, étudiant son mouvement et ses nuances avec autant d’attention que les phénomènes atmosphériques éphémères qu’il s’emploie à saisir en plein air !
L’œuvre est un bel exemple de l’audace impressionniste, qui ne repose pas seulement sur l’adoption d’une touche plus libre, mais aussi sur des choix de sujets novateurs : des bribes de quotidien et de vie moderne. Motifs longtemps jugés peu pittoresques et indignes d’être peints ! Produit de la révolution industrielle né en 1812 en Angleterre, la locomotive à vapeur entre dans cette catégorie. Relativement récent – il a fallu attendre 1837 pour qu’une première ligne de chemin de fer relie Paris à Saint-Germain-en-Laye, et les années 1840 pour que la fièvre du rail s’empare de l’Europe –, l’engin constitue à l’époque un sujet peu conventionnel pour les peintres.
Longtemps, ce moyen de transport n’est représenté que dans des gravures ou des dessins de presse à visée publicitaire, documentaire ou satirique. Ce n’est qu’en 1844 qu’il fait son entrée fracassante en peinture avec Pluie, vapeur et vitesse de William Turner ! Passionné par les nouvelles technologies, l’artiste britannique brosse un paysage bruineux d’où émerge une locomotive incandescente (la Firefly Class) lancée à toute allure vers le spectateur. Un puissant symbole du progrès en marche !
En France, la première ligne reliant Paris aux Yvelines est une aubaine pour les peintres amateurs de plein air, qui peuvent désormais se rendre rapidement à Chatou, Bougival ou Louveciennes pour peindre la nature. Mais le train lui-même ne s’immisce que timidement dans leurs toiles. Pourtant pionniers de la représentation de la vie moderne, Édouard Manet (Le Chemin de fer, vers 1870) et Gustave Caillebotte (Sur le Pont de l’Europe, 1877) évitent de dévoiler la locomotive qui reste un « monstre » tapi à l’arrière-plan, derrière une grille ou des poutres métalliques, et masqué par un nuage de vapeur !
C’est l’impressionniste Camille Pissarro qui, le premier, ouvre la voie avec un tableau peint en Angleterre, Lordship Lane Station, Dulwich (1871). Sans doute inspiré par son séjour à Londres, capitale du monde industriel où il s’est, lui aussi, réfugié en 1870–1871 pour fuir la guerre franco-prussienne, Monet lui emboîte le pas avec Le Train (1872) et Le Pont du chemin de fer à Argenteuil (1873). Deux toiles où l’engin, bien que visible, reste encore à distance… contrairement au Train dans la neige (1875) dont elles sont le prélude. Critiquant la vision « romantique » de Turner, l’impressionniste n’aborde pas le train comme un symbole mais simplement comme une chose vue à étudier.
« Nos artistes doivent trouver la poésie des gares, comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves. »
Émile Zola
En 1877, Monet s’intéresse de nouveau au train auquel il consacre l’une de ses séries les plus célèbres. Muni d’une autorisation officielle, il plante son chevalet dans l’effervescence de la gare Saint-Lazare. Depuis différents points de vue, il peint 12 tableaux variés montrant l’arrivée d’une locomotive dans un nuage de vapeur, surgissant de face ou pointant son nez dans un coin de la toile. « Nos artistes doivent trouver la poésie des gares, comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves » s’enflamme, admiratif, l’écrivain naturaliste Émile Zola qui s’inspirera plus tard de ces œuvres pour son roman La Bête Humaine (1890).
Au tournant du siècle, le monde ferroviaire donne lieu à quelques paysages inquiétants, décors de la réalité sociale des cheminots et de la noirceur des faubourgs, avant d’inspirer des visions plus positives telles que Air, fer, eau de Robert Delaunay (réalisé pour le Pavillon des Chemins de fer de l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937) où la modernité de l’art rejoint celle de la machine, dont la puissance est célébrée par un éclatement cubiste de formes et de couleurs vives. La même année, Raoul Dufy glisse dans La Fée Électricité, décor monumental réalisé pour l’Exposition universelle de 1937, un train à vapeur surgissant de la gare Saint-Lazare, esquissé à l’encre avec la vivacité d’un auteur de bande dessinée. Un hommage festif au pionnier qui lui a ouvert la voie !
Musée Marmottan-Monet
2 Rue Louis Boilly • 75016 Paris
www.marmottan.fr
Vous aimerez aussi
Carnets d’exposition, hors-série, catalogues, albums, encyclopédies, anthologies, monographies d’artistes, beaux livres...
Visiter la boutique