Onze mois ont été nécessaires à l’artiste brésilienne Juliana Notari, aidée d’une vingtaine de personnes, pour créer Diva, une gigantesque vulve d’un rouge vif, en béton armé recouvert de résine, mesurant 33 m de long, pour 16 m de large et 6 m de profondeur. L’œuvre a été dévoilée la semaine dernière dans le parc artistique et botanique Usina de Arte, crée sur le site d’une ancienne usine sucrière dans l’État du Pernambouc, au Nord Est du Brésil. Cette représentation en XXL d’un sexe féminin en pleine menstruation, fait depuis scandale et génère de nombreuses polémiques sur les réseaux sociaux qu’il s’agisse de celle, particulièrement virulente, menée par les partisans du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, des reproches adressés à l’artiste pour n’avoir employé que des travailleurs noirs ou encore des critiques envers le caractère invasif de cette œuvre de Land Art.
Perspective féminine
Mais quelle est l’idée de Juliana Notari derrière ce geste audacieux ? L’artiste a expliqué sa démarche sur les réseaux sociaux : « J’utilise l’art pour engager des questions relatives à la problématisation de genre à partir d’une perspective féminine alliée à une vision du monde qui questionne la relation entre nature et culture dans notre société occidentale phallocentrique et anthropocentrique ». L’artiste travaille depuis de nombreuses années sur ces thématiques. Dès le début des années 2000, elle réalise ainsi la performance Dra.Diva durant laquelle elle crée des fissures dans un mur à l’aide d’un marteau et les baigne de sang animal avant d’y introduire des spéculums. Diva s’inscrit dans le prolongement de ce travail en provoquant le débat autour de la représentation du sexe féminin et des tabous sexuels que l’on impose aux femmes.
Symbole monumental de l’origine de la vie (on pense bien évidemment à l’illustre précédent créé par Courbet), cette installation prend également la forme d’une plaie béante, creusée à la main dans le flanc d’une colline verdoyante, et évoque ainsi la brutalité avec laquelle l’homme (et plus particulièrement le capitalisme) entend dominer la nature.
Pour Juliana Notari « c’est par un changement de perspective dans notre relation entre humains et non-humains [comprendre « le reste du monde vivant » NDLR] que nous pourrons vivre plus longtemps sur cette planète, qui plus est dans une société moins inégale et moins catastrophique ».
Phallocentrisme et guerre culturelle
Les sujets explorés par Juliana Notari, qu’il s’agisse aussi bien du féminisme que de la question des genres ou du rapport de l’homme à son environnement, sont devenus critiques dans la société brésilienne depuis la prise de pouvoir du parti social-libéral de Bolsonaro. Parmi la cohorte d’insultes et de commentaires orduriers qu’a provoqués la révélation de l’œuvre sur les réseaux sociaux, on peut ainsi tout particulièrement apprécier la réaction d’Olavo de Carvalho, philosophe polémiste d’extrême droite et proche du président brésilien, « Pourquoi est-ce qu’ils critiquent tous cette chatte de 33 m de haut au lieu de lui opposer une bite ? », une formule d’une élégance rare qui résume à elle seule la culture phallocentrique dénoncée par l’artiste.
Por que estão falando mal da buceta de 33 metros em vez de enfrentá-la com um pirocão?
— Olavo de Carvalho (@opropriolavo) January 2, 2021
Lorsqu’il a été élu en octobre 2018, avec plus de 55% des voix, l’actuel président de la République fédérative du Brésil avait promis de lutter contre « le socialisme, le communisme [et] le populisme de gauche ». Or, selon lui, la gauche, c’est la culture. Ainsi, comme il l’avait annoncé lors de son premier discours en tant que président, il a supprimé le ministère de la Culture trois mois après sa prise de pouvoir, le remplaçant par un « secrétariat d’État chargé de la Culture » dirigé par une star de télénovelas. Une décision qui n’a fait que renforcer l’animosité qui préexistait entre l’ancien militaire et les acteurs du monde de l’art et de la culture.
Bolsonaro n’a pas encore exprimé son ressenti face à l’œuvre de Notario, mais, en deux ans, son gouvernement s’est acharné sans répit contre la culture. On a vu ainsi se multiplier les censures de toute œuvre abordant « la dictature militaire, les politiques d’éducation sexuelle [ou encore] la promotion des droits des femmes », ainsi que les coupes budgétaires (ordonnées par le ministre de la Citoyenneté ) visant les financements de projets artistiques.