Un collectionneur catalan leur avait apporté ce petit tableau il y a près de trois ans pour le faire expertiser, sans en connaître précisément l’histoire. Après des analyses poussées, le CAEM, en la personne notamment de Carmen Garrido, directrice technique de l’établissement (décédée le 8 décembre dernier), et de Ximo Company, directeur du CAEM, a confirmé la paternité du tableau. Cette découverte pourrait bien être décisive pour la compréhension de l’art du Greco (1541-1614), ce « byzantin moderne » auquel le Grand Palais rendait hommage en 2019.
Une authentification complexe
Si les chercheurs ont tout de suite noté un air de ressemblance entre ce tableau et les autres originaux connus du Greco, restait à prouver s’il était bien de la main du maître lui-même. En effet, il aurait très bien pu être issu de son atelier, où ses disciples étaient formés à sa technique et produisaient donc des œuvres de style similaire. Il aurait également pu s’agir d’un faux, l’œuvre du Greco ayant été souvent falsifiée au cours du XXe siècle.
Néanmoins, grâce à l’analyse des pigments utilisés, de la signature et même de la torsion des fils de la toile, les chercheurs ont pu conclure que l’oeuvre était bien de la main du Greco. Ces derniers s’appuient également sur un document écrit par le fils de l’artiste, Jorge Manuel Theotocopouli, en 1614. Il s’agit d’un inventaire des biens du peintre, réalisé peu de temps après sa mort, qui fait notamment mention d’un « Christ portant la croix », une description qui, selon les experts du CAEM, évoquerait le tableau retrouvé.
Un modèle conservé dans l’atelier de l’artiste ?
À l’heure actuelle, il est impossible de préciser l’usage de ce tableau. L’hypothèse de Carmen Garrido, spécialiste du Greco, était que ce tableau, compte tenu de ses petites dimensions, devait être un modello, c’est-à-dire une œuvre que l’artiste conservait dans son atelier pour les montrer à ses clients de Tolède et dont il se servait pour créer des tableaux plus grands représentant le même sujet. Ximo Company note cependant que sa taille peut aussi démontrer son usage par un noble ou un clerc pour des offices privés.
Si la thèse du modello est avérée, cela signifierait que de nombreuses œuvres connues du Greco ont été réalisées à partir de ce tableau. Toujours d’après Ximo Company, l’expert Harold E. Wethey aurait identifié pas moins de 11 originaux sur le même thème qui pourraient donc tous dériver de cette première toile.
En mémoire de Carmen Garrido
La chercheuse et ancienne directrice du Cabinet de Documentation Technique du musée du Prado s’est éteinte le 8 décembre à 73 ans. Experte de l’art de la Renaissance, et notamment du Greco, elle lui avait consacré un livre en 2016, intitulé El Greco pintor. Elle avait par ailleurs permis d’identifier la Dama de perfil comme étant une œuvre de Velázquez en 2017. Ses collègues du CAEM lui ont rendu hommage dans leurs conclusions sur le tableau du Greco en saluant son professionnalisme, sa rigueur et son travail acharné.