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L’érotisme au siècle des Lumières : étude de l’Odalisque, chef-d’œuvre de François Boucher

L’érotisme au siècle des Lumières : étude de l’Odalisque, chef-d’œuvre de François Boucher
François Boucher (1703-1770) Odalisque brune (détail), 1745, Paris, Musée du Louvre, Département des Peintures, Legs Basile de Schlichting © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

François Boucher, maître des scènes galantes, est l’auteur de quelques nus pour le moins osés, dont cette aguichante Odalisque, clou de l’exposition « L'Empire des sens », consacrée à l’érotisme au siècle des Lumières, qui doit ouvrir prochainement au musée Cognacq-Jay à Paris.

Entrée au musée du Louvre avec le legs Schlichting, en 1914, et révélée au public après la guerre, cette toile, qu’on intitula alors L’Odalisque brune, était jusque-là à peu près inconnue. Depuis, elle apparaît comme l’un des sommets de l’art de François Boucher, à la pointe même de cette veine galante dont le peintre de Louis XV fut le maître incontesté – galanterie ici poussée jusqu’à la polissonnerie la plus franche, pour ne pas dire effrontée. Qu’une telle peinture soit demeurée si longtemps secrète était dans l’ordre des choses, car ce qu’on appelait alors les « peintures de nudités » était destiné aux cabinets d’amateurs et non au grand public. Au fil du temps, de mains en mains, ces toiles restaient confinées dans le secret d’appartements privés.

Art et pornographie

Traditionnellement, ces nudités se prévalaient toujours d’un prétexte mythologique, c’étaient des Vénus, des Dianes, des nymphes et des naïades, et le nu en tant que tel n’existait pas –  à de rares exceptions près, dont celle, notable, de Boucher – ou alors dans le domaine parallèle des gravures pornographiques. L’art et la pornographie, d’ailleurs, entretenaient des liens parfois assez étroits. Il existait, au siècle des Lumières, tout un répertoire clandestin de contes libertins, dont les plus brillants représentants, Crébillon, Piron, étaient amis de Boucher. Guillaume Faroult, conservateur au Louvre et spécialiste de la période, a explicité le contexte culturel dans lequel s’insère notre tableau.

François Boucher (1703-1770) Odalisque brune , 1745, Paris, Musée du Louvre, Département des Peintures, Legs Basile de Schlichting © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

François Boucher (1703-1770) Odalisque brune , 1745, Paris, Musée du Louvre, Département des Peintures, Legs Basile de Schlichting © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

À commencer par la mode orientalisante qui marque le goût, sous la Régence et sous Louis XV, mode dont l’ouvrage de Jean-Antoine Guer, Mœurs et usages des Turcs (1746), est un des  marqueurs. Décrivant un sérail, l’auteur, qui n’est jamais allé en Turquie, y évoque tout « un imaginaire de la réclusion lascive ». Or, Boucher donne plusieurs illustrations pour cet ouvrage, au moment même où il travaille à son Odalisque. Celle-ci, cependant, n’a d’oriental que quelques plumes dans les cheveux, un vase chinois sur la petite table, et son oisiveté lascive décrite par Guer… Mais elle a aussi un « sopha », comme on l’écrivait alors : « espèce de lit de repos à la manière des Turcs », selon une définition de 1692. Celui-ci est composé de matelas et de coussins à même le sol. Ce « sopha » ottoman où se prélassent les femmes du harem a si bien captivé l’imaginaire du temps que Crébillon en fait le personnage principal de son conte homonyme (1742), où le héros, jeune homme amoureux, se voit métamorphosé en sofa où vient s’étendre sa belle, à qui, par l’intermédiaire des coussins pressés et des étoffes froissées sous la peau nue, il communique son ardeur… Notre spécialiste voit là une des sources principales du tableau.

Sacrée chute de reins

Et quid du commanditaire ? Il est resté dans l’ombre, vu la nature du tableau. Mais, là encore, une piste s’avère très probable. Alexandre Jean Joseph Le Riche de La Popelinière était un richissime fermier général, et l’un des grands mécènes su siècle, connu surtout pour être le protecteur du compositeur Jean-Philippe Rameau. Il avait un talent de plume et publia en 1750 ses Tableaux et mœurs du temps dans les différents âges de la vie, couplés à une leste Histoire de Zaïrette où transparaît sa passion pour les postérieurs féminins. À l’inventaire de ses biens, figuraient plusieurs toiles de Boucher, dont une femme nue allongée sur le ventre. Notre Odalisque ?

Rien ne serait moins étonnant, car celle-ci se signale par son ostentation fessière. Ce qui saute aux yeux, en effet, c’est le point central et névralgique du tableau : ses lignes médianes et obliques se croisent toutes à la jonction de la raie et des plis des fesses, elles traversent la figure en son fondement. On ne pouvait être plus explicite, et certes le clin d’œil est appuyé. Mais qu’importe ! Il faudrait être bien jocrisse pour bouder son plaisir et jeter l’anathème sur ce morceau divin où la peinture exulte, blonde, lissée, nacrée, onctueuse : on en mangerait ! Fesses, jambes au dessin si juste dans leur abandon, dos à demi drapé dans la chemise relevée qui mousse telle une crème fouettée, épaules, poignets délicats, délicieux minois… Tout cela magnifié par le somptueux écrin que constituent le sofa, son désordre écumant, et cette cascade de velours bleu comme irisé de givre, qui déferle en torrent sur (et sous) la belle. C’est qu’il y a un homme là-dedans ! Enfin, remarquons, comme d’autres avant nous, le foisonnement de plis et replis – peau, chair, chemise, draps, coussins, tapis, rideau… –  qui travaille en tous sens la surface du tableau, et surexcite notre regard.

Un siècle de plaisirs

Le XVIIIe siècle français célébra la recherche du bonheur et des plaisirs, considérée comme une quête légitime et intrinsèque à la nature humaine. Le thème des rapports amoureux traverse tous les domaines, philosophie, littérature, théâtre, musique, arts plastiques, tout au long du siècle, de la Régence à la Révolution. L’exposition en explore les plus notables avatars, les plus audacieux, à travers une centaine de peintures, dessins et estampes, dus aux plus grands maîtres, Watteau, Boucher, Fragonard…, et à de moins connus. Un cabinet d’erotica permet aussi de suivre le dialogue entre « grand » art et pornographie.

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