LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Alain Duhamel : "Macron est un président rapide qui commande une machine lente"

Dans le bureau d'Alain Duhamel, les figurines militaires disputent la moindre surface libres aux livres et aux journaux.
Dans le bureau d'Alain Duhamel, les figurines militaires disputent la moindre surface libres aux livres et aux journaux. © Alvaro Canovas/Paris Match
Bruno Jeudy , Mis à jour le

L'éditorialiste, qui a connu huit présidents, voit en Macron un héritier moderne de Bonaparte dans un système devenu vermoulu. 

Il avait 22 ans quand il a voté « oui » au référendum de 1962 instaurant l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Soixante ans plus tard, Alain Duhamel, qui a couvert les dix campagnes présidentielles, passe au tamis la personnalité et l’action de l’actuel président dans son dernier livre*. Par sa pratique du pouvoir, plus bonapartiste que monarchique, Emmanuel Macron a séduit cet incomparable observateur de la Ve République. Il dresse le portrait d’un président « hardi » et « intrépide » mais aussi imprudent et bavard. L’éditorialiste de 80 ans s’inquiète pour la pérennité de notre régime politique. « Il faut sauver la Ve République », écrit ce sage. L’auteur suggère de rendre nos institutions plus sincères. Il plaide en faveur d’une présidentialisation complète et – oh surprise – rallie le camp de ceux qui réclament la suppression du poste de Premier ministre.

Publicité

Paris Match. Pourquoi ce titre d’“Emmanuel le hardi” ?
Alain Duhamel. Emmanuel Macron a deux spécificités : sa hardiesse et son intrépidité. Ce qui le caractérise c’est qu’il choisit toujours le risque. Son élection en est la démonstration première. Ce qu’il a tenté et réussi à ce moment-là était proprement inimaginable. Un inconnu qui se lance dans la bataille présidentielle sans parti, sans mandat, sans culture et expérience politique, on n’avait rien vu de comparable. Son élection est une charge romanesque. Au pouvoir, il a démontré son goût pour la prise de risque. Que l’on soit d’accord ou pas, le rythme des réformes entre 2017 et 2020 est une prise de risque perpétuelle, d’où les gilets jaunes, la litanie des grèves et la pandémie. Il n’y est pour rien mais, dans cette crise sanitaire, c’est lui qui prend les décisions et les risques. Il est à l’aise dans le risque.

La suite après cette publicité

Lire aussi : Baromètre de l'exécutif: Macron résiste à la polémique sur la vaccination

La suite après cette publicité

Le hardi ou le bavard ?
C’est un actif bavard. Contrairement au général de Gaulle qui savait parler de manière brève, imagée et accessible, Emmanuel Macron est trop long, trop abstrait et parfois trop sélectif. Il aime s’exprimer et ce n’est pas ce qu’il fait de mieux. D’un côté, il élabore de longs discours de bonne qualité et, de l’autre, il multiplie des interventions spontanées qui sont des catastrophes en général. Il est plus à l’aise dans la réflexion.

Ce qui frappe, c’est le décalage entre ses discours et la réalité sur le terrain.
C’est un président rapide qui commande une machine lente. Et la machine France est trop lente, trop bureaucratique et de droit écrit. On le voit avec la crise du Covid et cette manie française pour les attestations, consentement, etc. L’organisation du système de santé est hallucinante.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

N’avait-il pas promis plus d’efficacité ?
Son action a été freinée par la multiplication de crises sans précédent. Ce président est un déclencheur de crises. Il est un actif obsessionnel.

Certains de ses choix (comité citoyen sur le vaccin, convention climat) ne relèvent-ils pas du techno-populisme ?
Non, c’est autre chose. Le recours aux citoyens est le choix d’une forme de démocratie directe. Plutôt que du populisme, ces choix illustrent ce face-à-face entre le président et les Français, sa façon de balayer Parlement, syndicats, élus locaux, tout ce qui forme les corps intermédiaires. Cela a déjà été une tentation sous la Ve République mais lui la pousse beaucoup plus loin. Ça pourrait être à son actif si ça débouchait sur des changements rapides. Ça pourrait aussi se retourner contre lui si rien ne change sur le terrain et que perdure ce décalage entre un volontarisme pressé et une capacité d’exécution poussive.

"

Il faut supprimer le poste de Premier ministre

"

A vouloir ménager les pros et anti-vaccin, est-ce qu’on ne touche pas aux limites de son “en même temps” ?
Sur les vaccins, il a commis une erreur de psychologie massive et il en porte la responsabilité puisque c’est lui qui décide. L’exécutif s’est trompé de risque. Ils ont cru que le risque c’était le rejet du vaccin par les Français. Ils ont opté pour une stratégie délibérément lente et précautionneuse alors qu’il fallait aller vite pour entraîner ceux qui étaient d’accord. Emmanuel Macron est un débutant brillant mais c’est un débutant quand même. Il n’avait pas d’expérience politique et s’est entouré de gens souvent de bonne qualité mais n’ayant pas davantage d’expérience politique, ni aucun sens de la psychologie politique. Or, dans l’action, c’est un facteur essentiel surtout à l’heure de l’information continue et des réseaux sociaux.

Emmanuel Macron est, selon vous, un “bonapartiste du XXIe siècle”. Audacieux parallèle ?
Notre pays n’a pas de regret monarchique. Les Français sont davantage sensibles à la nostalgie du bonapartisme, c’est-à-dire cette courte période où la France était le premier pays d’Europe. Ce courant a traversé notre Histoire et s’est incarné dans des personnages successifs. Quand on reprend les caractéristiques du bonapartisme – le goût du chef, de l’exploit, de l’héroïsme, du changement – et qu’on les confronte à Emmanuel Macron, on voit que ça colle. Comme un bonapartiste, il dispose de la hardiesse, de l’autorité, de l’hyper-volontarisme. Il incarne une forme de rupture et il a la passion de la réforme.

Pour l’instant, le compte n’y est pas. Il y a de fortes chances qu’il ne réforme pas la Constitution et ne refonde pas le système de retraites…
Il voulait la transformation de la France. Or, elle ne se transforme pas en un quinquennat. C’est un réformiste au sein d’un pays qui n’est pas réformateur. Ne soyons pas de mauvaise foi. La crise du Covid balaie les réformes des retraites et institutionnelles.

Malgré ses efforts sur le régalien, il n’est pas un président rassurant ?
C’est un personnage double. D’un côté, il y a l’intellectuel qui a le sens des nuances. De l’autre, l’homme d’autorité qui s’est confronté à la réalité de la délinquance, du terrorisme, de l’islamisme et du communautarisme. Le bonapartisme de Macron s’impose progressivement à son intellectualisme.

Vous écrivez que Macron a ravagé “la vieille société politique, mais en un peu moins de trois ans il n’a eu ni le répit ni les moyens de reconstruire un nouveau monde politique”. A quoi ça sert de tout casser si on ne sait pas reconstruire ?
Ce qu’il a chamboulé c’est un système de forces politiques et de forces sociales. Il a détruit mais il n’a pas reconstruit. Sur le plan institutionnel, il a des idées mais elles ne sont pas mises en œuvre. Sur le plan des forces sociales, il n’a pas su les revigorer, ni les transformer, d’où ses difficultés avec les syndicats et les élus locaux, y compris ceux qui le soutiennent. Le meilleur exemple de cet échec est son parti. La République en marche, ça n’existe pas. Un parti s’est construit derrière de Gaulle. Et Mitterrand avait reconstruit un parti. Emmanuel Macron, lui, se retrouve donc dans un face-à-face direct avec les Français. Un pari périlleux.

“Il faut sauver la Ve République”, dites-vous. Serait-elle à bout de souffle ?
La Ve République, c’est le pire des régimes après tous les autres. Autrement dit, elle correspond au tempérament politique français qui a besoin à la fois de démocratie, de participation et d’autorité. Mais notre régime doit évoluer en profondeur. Il faut aller jusqu’au bout de la logique de la présidentialisation. Notre système actuel a besoin d’être plus représentatif. Il faut une dose de proportionnelle. Reprenons le mode de scrutin des municipales pour élire les députés. Le Parlement ne doit plus être marginalisé. Il doit retrouver un vrai pouvoir de contrôle, de débat et d’initiative. Enfin, il faut supprimer le droit de dissolution et le poste de Premier ministre.

Mais Macron ne l’a-t-il pas déjà supprimé de facto en faisant de son Premier ministre une sorte de secrétaire général bis ?
Disons qu’il a augmenté les pouvoirs du président et réduit ceux du Premier ministre. Comme ce n’est pas un bon équilibre, je crois qu’il vaut mieux carrément le supprimer. Ce serait la Ve jusqu’au bout. Pas une VIe République. Il faut plus de sincérité dans les institutions, la seule façon de ressusciter le lien de confiance avec les Français.

La combinaison des chaînes d’info et des réseaux sociaux contribue-t-elle vraiment aux difficultés des gouvernants ?
L’information instantanée est une forme de mise en cause perpétuelle. Avec les réseaux sociaux, elle constitue le cinquième pouvoir. C’est une raison supplémentaire pour aller vers un régime intégralement présidentiel. Le premier pouvoir doit donc être renforcé, avoir une responsabilité directe, affichée et assumée face à cette nouvelle forme de pouvoir populaire.

Vous écrivez qu’Emmanuel Macron n’est pas le favori pour 2022. Les sondages ne sont pas si mauvais…
Il n’y a pas de favori installé car la pandémie change tout. Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire vont submerger la fin du mandat. Soit il arrive à piloter les choses de manière positive avec une reprise de la croissance, soit il n’y parvient pas et tout peut arriver. Aujourd’hui, il est le mieux placé mais personne ne sait où on en sera dans un an. D’autre part, s’il y a un surgissement, je crois qu’il viendra de la droite. C’est pour cette raison que si Emmanuel Macron se retrouvait en grande difficulté, Edouard Philippe serait son substitut.

A-t-il plus de chances d’être réélu que Giscard ou Sarkozy qui ont échoué de justesse ?
On est en cohabitation. Mais une cohabitation avec le Covid. Tout se jouera donc sur la capacité du président à piloter la crise sanitaire et économique qui suivra. Cela rend totalement imprévisible la fin du quinquennat. Ça se terminera par un vote émotif pour ou contre Macron. 

«Emmanuel le hardi», d'Alain Duhamel, éd. de L'Observatoire

Contenus sponsorisés

Publicité