Révolution tunisienne, dix ans après : les combattantes

Les combattantes ©Getty -  FETHI BELAID
Les combattantes ©Getty - FETHI BELAID
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Raouda a 70 ans, Henda en a 37 et une même aspiration: vivre libres. Y compris libres de penser contre le pouvoir en place. Elles racontent chacune, le chemin parfois dangereux qu'elles ont emprunté, emprisonnées, ou licenciées, mises à l'écart de la société, et toujours dans l'attente de changement

Raouda et Henda ont une même aspiration: vivre libres. Elles agissent avec conviction contre le pouvoir en place. Chacune raconte le chemin parfois dangereux qu'elles ont emprunté : emprisonnées, licenciées, mises à l'écart de la société, et toujours dans l'attente de changement.

Raouda appartient à la direction de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. Au tournant des années 70, elle est étudiante et fait partie d’une mouvance de gauche, marxiste et critique du pouvoir en place.

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On est venu m'arrêter car j’avais contribué à un Congrès tenu contre le pouvoir. Ils arrêtaient par vagues, jusqu’à arriver à certains noms qu’ils considéraient comme responsables. (...) Ils sont venus me chercher chez moi pour enquêter sur la manière dont nous avions organisé le Congrès. 

Harcelée par le régime de l’époque, elle raconte les sévices et les chasses à l’homme menées par la police politique.  

“Je crois que j’ai bien passé deux mois chez la police politique, qui sont une terreur incommensurable. On a fait intrusion chez moi, on m'a violenté devant ma famille et on m'a arrêté pour une durée indéterminée : cela peut durer des mois.

Dans les locaux, on vous attrape au col, on vous met à nu, on vous bastonne. C’était atroce, disproportionné par rapport à la menace que nous représentions.” 

Après cet évènement, la vie n'a plus jamais été pareille pour Raouda. La peur de la police ne la quitte plus. 

Je préférais aller en prison plutôt que chez moi : tout est perturbé quand vous savez qu’un flic peut rentrer chez vous à n’importe quel moment de la journée.

Aujourd’hui, Raouda continue de militer, envers et contre tout. Elle a une fille, partie en Allemagne pour poursuivre sa carrière. Raouda est consternée par la situation, elle ne comprend pas comment un pays peut construire son futur si sa jeunesse doit partir ailleurs pour étudier et travailler décemment. 

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C’est une aberration que, cinquante ans après l’indépendance, pour construire son avenir, on doive quitter sa terre natale. Il y a un dysfonctionnement, ce n’est pas normal : on a besoin des compétences de ces jeunes. C’est dramatique.”

Henda a 37 ans. Elle vit à Tunis, elle est journaliste et activiste. Lorsque la révolution a éclaté, elle avait 27 ans. 

“Souvent, les gens oublient ce qu’est une dictature. Moi, je l’ai connue : Ben Ali est parti lorsque j'avais 27 ans. J’ai passé plus de la moitié de ma vie sous la dictature, et je n’oublierai jamais ce que c’est.” 

Ben Ali a été à la tête de la Tunisie pendant 23 années consécutives. Bien que pendant cette période, la Tunisie affiche un visage prospère, économiquement parlant, certaines organisations non gouvernementales ainsi que des médias étrangers dénoncent le recours à la torture et à l'emprisonnement d'opposants politiques. 

C’est une violence psychologique difficile à supporter. Lorsque je disais en avoir marre de ce discours propagandiste, je voyais la colère dans les yeux de certains. Ces yeux disaient : “Tu n’es pas un vrai Tunisien, tu n’es pas une vraie tunisienne, tu n’aimes pas ton pays et tu veux le chaos.”

Avant la chute de Ben Ali, Henda travaille pour une radio privée et fréquente certains cercles militants. Lorsque les choses commencent à bouger, Henda constate l’écart qui se creuse, entre ce qu’elle observe sur Facebook et ce que les médias relaient. 

J’’ai écrit sur mon blog, pour dire qu’en tant que journaliste, nous devions réagir et parler de ce qu’il se passe réellement dans les régions. Il fallait faire bouger les choses, même un petit peu, ne serait-ce qu’en changeant la programmation musicale des émissions, pour montrer qu’on était toujours là, qu’on était solidaires.

A la suite de la diffusion d’une vidéo devenue virale, elle finit écartée de la radio. 

Ma vie a complètement changé avant même le 14 janvier, le jour où j’ai quitté la radio. J’ai été dans la rue avec les gens, j’ai vu des scènes qui m’ont marquées à jamais

Aujourd’hui, Henda refuse d’être pessimiste : il s’agit d’agir, et de résister. 

Je n’ai pas le droit de me positionner entre l’espoir et le désespoir. Il y a des choses à faire : une résistance, une vigilance à assumer. C’est tout. Si on pense juste à des résultats concrets, de notre vivant, on va lâcher très vite et on sera épuisés et démoralisés.

Reportage : Emilie Chaudet 

Réalisation : Cécile Laffon

Merci à Emna Charki et Lilia Blaise. 

Musique de fin : "Emel" de Kaddesh.  

Il y a dix ans, nous avions déjà les yeux rivés sur la Tunisie : 

Une série de sept épisodes à propos de la révolution Tunisienne par Charlotte Bienaimé. 

Tunisie : Tenir la Révolution

Episode 1 : Manifester

Episode 2 : Se souvenir

Episode 3 : S’organiser

Episode 4 : Amnistier

Episode 5 : Rendre justice

Episode 6 : Renaître

Episode 7 : Se libérer

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