Récit : L’excentrique Mademoiselle Rachel, l’actrice qui a séduit Napoléon III, Flaubert et De Musset

Véritable célébrité de la première moitié du XIXème siècle, Mademoiselle Rachel pouvait se vanter de jouer sur les scènes du monde entier, et d’accueillir dans son lit les hommes les plus convoités de son époque.
Mademoiselle Rachel cover
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Même Sarah Bernhardt, l’une des premières stars de l’Histoire, considérait Mademoiselle Rachel comme son modèle. Pour cause, la vie de cette petite apatride juive, sans le sou, devenue la plus grande comédienne de son époque, convoitée par tous les plus illustres hommes, politiques comme artistes, a de quoi inspirer. Née dans une famille de marchands ambulants, le 21 février 1821, Élisabeth-Rachel Félix, de son vrai nom, a connu la misère et la mendicité. Enfant, elle doit chanter et danser dans les villes où la charrette de ses parents s’arrête, pour glaner quelques pièces et croûtons de pain. En 1831, sa famille s’installe enfin à Paris, et la jeune Élisa - ainsi la surnomme t-on - est repérée par un certain Alexandre-Étienne Charron, musicien et pédagogue, qui va changer le cours de son destin.

Pourtant analphabète, elle prend des cours au Conservatoire et débute sur les planches du théâtre du Gymnase, avant d’intégrer, à dix-sept ans seulement, la prestigieuse Comédie Française. Là, elle connaît immédiatement le succès. On lui offre les plus grands rôles du répertoire : elle interprète les héroïnes de Racine et Corneille. Superbe en Bérénice ou en Chimène, elle est rapidement saluée par la presse, qui la considère comme la plus grande tragédienne de son temps.

On se presse pour l’applaudir. Et une fois le rideau tombé, le Tout-Paris veut venir l’embrasser dans sa loge. Victor Hugo l’admire passionnément, tandis que Gustave Flaubert frissonne à chacune de ses apparitions sur scène. « Les plus rustres se sont sentis émus, les plus grossiers étaient touchés, les femmes applaudissaient dans les loges, le parterre battait de ses mains sans gants, la salle trépignait; et à l’heure où j’écris ceci à la hâte j’en suis encore tout troublé, tout ravi, j’ai encore la voix de la grande tragédienne dans les oreilles et son geste devant les yeux », rapporte l’auteur de Madame Bovary.

Des princes et des empereurs pour amants

En 1850, le roi de Prusse demande à la rencontrer, et, pour l’occasion, fait ériger une statue en son honneur dans le jardin de son château de l’île des Paons. Parmi ses admirateurs, Mademoiselle Rachel - c’est désormais son nom d’actrice - compte d’autres illustres personnages, à commencer par Alfred de Musset, avec lequel elle entretient une longue liaison. Le poète lui dédie même un sonnet, qui se termine par ces vers : « Mon génie était dans ta gloire ; Mon courage était dans tes yeux. »

Après une représentation au théâtre Saint-James à Londres, en 1846, Mademoiselle Rachel reçoit dans sa loge un Monsieur qui insiste pour la voir : il s’agit de Louis-Napoléon, qui deviendra président de la République deux ans plus tard, puis empereur. « Je n’ai pas pu refuser de le recevoir », assure Rachel à une de ses amies. Elle entretiendra avec le futur empereur une brève relation, qui durera le temps d’un été. La rumeur veut qu’ils se soient retrouvés quelques mois plus tard, et qu’ils aient été de nouveau amants.

Dans la famille Napoléon, Mademoiselle Rachel collectionne les conquêtes. Elle aura également une aventure avec Napoléon-Jérôme Bonaparte, cousin germain de Napoléon III, et avec le comte Walewski, fils naturel de Napoléon Ier, dont elle eut un enfant. François d’Orléans, prince de Joinville et héritier du roi Louis-Philippe, fut aussi l’un de ses amants. En 1848, elle accouche d’un second fils, fruit de son aventure avec Arthur Bertrand, fils du Maréchal Bertrand.

Hambourg, Amsterdam, Brest, Vienne, Moscou, Varsovie… Mademoiselle Rachel est désormais acclamée dans l’Europe entière. Libre comme l’air, elle trouve dans chaque ville un nouvel aimé. Elle est pourtant foudroyée au sommet de sa carrière et de sa beauté : en 1858, à seulement trente-six ans, elle meurt de la tuberculose. D’elle, il restera longtemps l’image d’une icône de théâtre, certes, mais aussi d’une femme qui brûlait allègrement la chandelle par les deux bouts.