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"Si j'étais un homme, je demanderais pardon" : le féminisme "Facile" de Camélia Jordana
Camélia Jordana
Capture d'écran L'Obs

"Si j'étais un homme, je demanderais pardon" : le féminisme "Facile" de Camélia Jordana

Gloubi-boulga

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L'artiste engagée, interrogée par "L'Obs" ce jeudi 14 janvier à l'occasion de la sortie de son quatrième album, Facile, étale un militantisme de bon ton, certain de sa supériorité morale, quitte à sombrer dans la caricature.

Autant l'écrire d'emblée : on aurait préféré ne pas rédiger cet article. Le combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes, l'analyse du sexisme ordinaire et du poids des représentations de genres dans les rapports de force sociaux mériteraient mieux que cela. Hélas, la lecture de l'interview de la comédienne et chanteuse Camélia Jordana dans le numéro de L'Obs daté de ce jeudi 14 janvier (pas encore publié sur leur site à l'heure où nous écrivons ces lignes) nous amène à ce triste constat : le féminisme est une chose trop sérieuse pour être caricaturée à ce point.

L'artiste engagée, interrogée à l'occasion de la sortie de son quatrième album, Facile, dans lequel elle "affiche son féminisme" selon nos confrères, étale un militantisme de bon ton, quitte à friser le ridicule. On peut bien sûr partager le constat navrant dressé par la chanteuse, renforcée dans son cas par sa célébrité précoce (Camélia Jordan a été sous les feux de la rampe dès sa participation, à 16 ans, à l'émission Nouvelle Star) : "Aujourd’hui, une femme en contact avec le monde extérieur subit forcément du sexisme. Quand j'étais plus jeune, en plus du sexisme, je subissais l’infantilisation", raconte-t-elle.

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Mais la suite n'est pas d'aussi bon aloi. Camélia Jordana adopte en effet la position, un rien condescendante, d'éducatrice de ses contemporains, pas assez éveillés à son goût : "Quand j'entends des propos scandaleux, sexistes ou racistes, je prends le temps d’expliquer les choses avec des exemples et de l’humour. J’adore la pédagogie. Généralement, les gens comprennent. C’est juste un travail d’éducation."De discussion, de dialogue, voire de contradiction, il n'est déjà plus question : l'interlocuteur est prié de recevoir la bonne parole et de s'y conformer.

Le drame de la trottinette

L'agacement que le lecteur trop orgueilleux pourrait alors ressentir se mue vite en dédain lorsque l'héroïne césarisée du Brio relate la genèse de la chanson "Si j’étais un homme", dont le titre détourne celui du vieux morceau de Diane Tell. L'œuvre est née d'une "agression" dont Camélia Jordana a été "victime" alors qu'elle se rendait à son studio en trottinette électrique. Attention, traumatisme : "Il y avait un énorme embouteillage, je circulais entre les voitures à l’arrêt, je suis passée devant un chauffeur de taxi qui ne pouvait pas avancer. Il l’a fait pourtant, et c’est là qu’il a touché ma trottinette. Je suis descendue, je l’ai regardé, interloquée, et il s’est permis de me gueuler dessus."

Le drame inspire à Camélia Jordana cette réflexion : "Si j’avais été un mec haut de 2 mètres, est-ce que cet homme se serait permis de rouler sur une trottinette et de hurler ? J’ai écrit cette phrase : 'Si j’étais un homme', et le reste de la chanson est sorti en dix minutes." Que c'est beau, la lutte. Notons tout de même qu'un homme de la même taille que Camélia Jordana - l'auteur de ces lignes, à dix centimètres près -, aurait lui aussi été agoni d'injures. Comme dit Audiard : "Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent."

Le meilleur reste toutefois à venir. "L’ensemble de ces chansons disent que si j’étais un homme, je demanderais pardon, je questionnerais les peurs, et je prendrais le temps de m’interroger", affirme-t-elle, sans que L'Obs juge bon de lui faire développer sa pensée. Un homme est-il fautif par nature ? Est-il forcément complice du patriarcat ? N'est-il qu'une brute épaisse, inconscient des inégalités entre hommes et femmes ? Pourquoi devrait-il s'excuser ? La réponse est toute trouvée : "Car les hommes blancs sont, dans l’inconscient collectif, responsables de tous les maux de la Terre." Si c'est l'inconscient collectif qui le dit… Camélia Jordana glisse discrètement, au passage, de la catégorie des hommes à la catégorie des "hommes blancs", comme si ces derniers avaient le monopole de l'oppression des femmes, ou jouissaient, comme certains le pensent, d'un privilège indu, qu'on peut plutôt décrire comme la norme auquel chacun devrait avoir droit.

"Déconstruction"

Qu'on se rassure, la pensée de Camélia Jordana aura tout le temps d'être étayée dans un "documentaire féministe" en préparation, dans lequel l'intéressée "donne la parole aux hommes". "Le but du féminisme est d’obtenir l’égalité́ des droits entre les hommes et les femmes. Ça ne va pas plus loin que ça", déclare justement la chanteuse, qui ajoute : "Les courants du féminisme peuvent renfermer plein d’avis différents, mais cette quête d’égalité́ est ce qui nous rassemble." Les propos régulièrement tenus par des militantes comme Alice Coffin ou Pauline Harmange – autrice de Moi les hommes, je les déteste - invitent toutefois à relativiser cette vision un tantinet angéliste de ces mouvements.

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Camélia Jordana invite donc à une grande "déconstruction" du patriarcat, laquelle "n’aura lieu que si elle est aussi masculine". "Pour ce faire, même si les femmes tiennent à cette déconstruction et à cette égalité́, je pense que le travail doit être fait par les femmes vers les hommes et pour les hommes", assure-t-elle encore. Ebouriffante analyse, selon laquelle changer les hommes nécessite… d'interagir avec ces derniers, encore une fois essentialisés, et n'étant manifestement pas des citoyens assez éclairés pour se déconstruire eux-mêmes.

Leur cause n'est pas perdue pour autant, selon la comédienne, qui sait "que les hommes ne sont pas non plus en accord avec les diktats masculins que la société leur impose". Ouf ? Non ! "Je ne peux pas croire qu’ils soient tous d’accord avec le fait d’avoir forcément un énorme sexe, de devoir être capables de faire l’amour pendant des heures, de devoir faire jouir leur partenaire par pénétration, d’être très musclés, de gagner plus d’argent que leur femme, de ne pas passer du temps avec leurs enfants, de ne pas aimer cuisiner", continue Camélia Jordana. À croire que les codes de la masculinité n'ont pas évolué depuis les années 50… Et de conclure : "Parlons des pissotières : est-il normal de partager la vision de son sexe avec des inconnus ?" Il est décidément temps de prendre du champ…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne