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"En voilant les fillettes, les islamistes cherchent à les formater suffisamment tôt"
Une fillette voilée à Maubeuge
PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP

"En voilant les fillettes, les islamistes cherchent à les formater suffisamment tôt"

Entretien

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Un amendement déposé par des députés La République En Marche (LREM) puis jugé irrecevable a remis sur la table le débat sur le port du voile par les fillettes. Marianne en parle avec Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante et auteure d'un ouvrage sur cette pratique.

Aussitôt déposé, aussitôt retoqué. Quelques jours seulement après son dépôt par les députés LREM Aurore Bergé (Yvelines) et Jean-Baptiste Moreau (Creuse), l'amendement visant à interdire le voilement des fillettes dans le cadre du projet de loi visant à conforter le respect des principes républicains a été jugé irrecevable car dépassant le périmètre du texte. Mais le débat ne s'arrête pas là. Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante et auteure de Combattre le voilement - Entrisme islamiste et multiculturalisme (Cerf) estime que l'interdiction du voilement des fillettes relève de la protection de l'enfance. Entretien.

Marianne :Quelle signification revêt le voilement d’une fillette ?

Fatiha Agag-Boudjahlat : Le voilement, qu’il concerne des enfants ou des femmes adultes, qu’il soit imposé comme en Iran, ou non comme en Europe, ne change ni de sens ni d’effet. La femme est soumise à la sainte trinité patriarcale. Elle doit être vierge, discrète, pudique. Le voilement, que ce soit pour les adultes ou les enfants réduit la femme à un organe génital total. Sa chevelure est présentée comme susceptible d’exciter le désir des hommes.

Le voilement, que ce soit pour les adultes ou les enfants réduit la femme à un organe génital total.

Quand il s’agit d’enfants, quelles sont les conséquences sur leur développement ?

Pour les islamistes, l’enjeu du voilement des fillettes est de les formater suffisamment tôt pour qu’elles ne s’écartent jamais de cette voie. Voiler des enfants vise à les emprisonner dans une ultraorthodoxie. Peu à peu, par cette pratique, on apprend à la fille qu’elle a des obligations que les garçons n’ont pas. On lui inculque l’idée qu’en tant que fille, elle constitue une vulnérabilité pour la famille. On lui impose une situation d’invisibilité pour ne pas exciter les hommes. Le voilement relève de l’hypersexualisation du corps des enfants. Mais le voilement des fillettes produit aussi des effets sur les petits garçons : ils intègrent que les femmes sont différentes. Les garçons apprennent qu’une fille qui se respecte est une fille qui se voile.

Pour les islamistes, l’enjeu du voilement des fillettes est de les formater suffisamment tôt pour qu’elles ne s’écartent jamais de cette voie.

Pourtant, certains défendent de ne pas l’interdire au nom de la liberté religieuse ou parce qu’ils craignent qu’une telle mesure stigmatise.

Je ne supporte plus que l’accusation de stigmatisation soit un prétexte pour ne pas faire avancer les choses. Le voilement ne correspond à aucune pratique musulmane du Maghreb, cela vient d’Afghanistan. En Algérie, par exemple, ceci n’existe pas. Je ne comprends pas comment des féministes peuvent défendre le voile, il n’y a rien de plus patriarcal. Les féministes parlent de consentement, mais la religion est le mécanisme le plus efficace d’emprise sur les êtres. Un enfant ne souhaite qu’une chose : plaire à ses parents.

Sait-on à quel point le voilement des fillettes est répandu en France ? Existe-t-il des chiffres ?

Il n’y a aucun chiffre car les ministères de l’éducation, de la santé et de l’intérieur s’interdisent d’enquêter. On refuse de considérer l’islamisme comme une dérive sectaire. Néanmoins, je constate que lorsque j’étais petite, moi-même fille d’immigrés, je rencontrais très peu d’enfants voilées. Maintenant, je croise des enfants de trois ou quatre ans qui portent le foulard. Ce n’est pas anecdotique, c’est surtout symptomatique d’une normalisation de pratiques ultraorthodoxes. En Algérie, mes parents n’ont jamais vu ça. On introduit l’idée qu’un bon musulman est un islamiste.

Comment lutter contre ce phénomène ?

La mère des réformes serait de remplacer la notion d’autorité parentale par celle de responsabilité parentale. Il faut une commission parlementaire pour revoir la protection de l’enfance. Nous avons hérité d’une pratique bonapartiste qui consiste à sacraliser l’autorité parentale, comme si les parents étaient propriétaires du corps de leur enfant. Il est indispensable de clarifier le statut juridique de l’enfant. La Convention internationale des droits des enfants leur garantit la possibilité de se construire une personnalité mais garantit surtout aux parents le droit de leur transmettre leur culture. Que fait-on s’il y a une contradiction entre les deux ?

Quelle est la distinction entre autorité et responsabilité parentale ?

L’autorité parentale fait croire que le rôle des parents consiste à exercer un pouvoir sur leur enfant. La responsabilité suggère que les parents ont des devoirs vis-à-vis des enfants, et non des droits. Ils ont le devoir de prendre soin de leurs enfants. La protection de l’enfance à l’heure actuelle est un scandale d’État. Il faut réintroduire un défenseur des enfants qui ne dépende pas du Défenseur des Droits. Les enfants radicalisés disparaissent des radars. Ils ne sont pas scolarisés, ou seulement à domicile. Il est urgent de repenser la protection de l’enfance.

Il est urgent de repenser la protection de l’enfance.

Dans ce travail de réforme de la protection de l’enfance, que proposez-vous précisément pour bannir le voilement des fillettes ?

La loi a déjà intégré que la maltraitance ne se limite pas seulement à des atteintes physiques, mais inclut également des violences psychologiques. Je propose d’avancer en interdisant les « exigences éducatives disproportionnées », terme formulé dès 1988 par la commission Jacques Barrot sur la protection de l’enfance. C’est l’argument juridique qui permettrait de bannir le voilement des fillettes. Chantal Jouanno s’était déjà appuyée dessus pour interdire les concours de mini-miss. Les exigences éducatives disproportionnées permettraient également d’interdire les certificats de virginité ou la pratique du ramadan par les enfants. Il y a deux ans, je me souviens avoir envoyé à l’infirmerie un élève qui pratiquait le jeûne et se sentait mal. Quand l’infirmière a appelé les parents, ils lui ont répondu qu’elle laisse dormir leur fils car il ne devait pas casser le ramadan.

Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau ont déposé leur amendement pour interdire le voilement des fillettes dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes républicains. Mais à vous entendre, l’enjeu relève plus de la protection de l’enfance que de la laïcité.

Oui. Je savais que ce que proposait Aurore Bergé était voué à l’échec. La question du voilement des fillettes est une question de maltraitance des enfants. Il ne faut pas convoquer la laïcité à tout bout de champ. Une commission parlementaire sur la protection de l’enfance traiterait aussi bien de l’inceste, des exigences éducatives disproportionnées que de l’accès à la pornographie.

Y a-t-il également une frilosité politique à avancer sur ce sujet ?

LREM n’avance que lorsqu’il y a un attentat. Il faut qu’une tête tombe pour qu’ils bougent. LREM défend une conception multiculturaliste, comme ces sinistres sires de la France Insoumise qui combattent le patriarcat jusque dans les toilettes d’Alain Finkielkraut mais qui n’ont aucun problème avec le voilement des fillettes. Sur la protection de l'enfance, on est en train d’avancer sur la pédophilie. Mais sur le sujet du voile, dès qu’on le mentionne, on ressort l’accusation de stigmatisation. D’autres affirment qu’il faudrait aussi interdire les croix ou les kippas. Or, une kippa ne fait pas des cheveux d’un homme un organe génital qu’il faut cacher. La loi de 1905 visait clairement l’Église. Il faut s’adapter au contexte et aux religions.

LREM n’avance que lorsqu’il y a un attentat. Il faut qu’une tête tombe pour qu’ils bougent.

Tout cela est dramatique car si les islamistes arrivent à contrôler les enfants, l’orthodoxie se banalisera complètement. Il faut agir, il n’y a rien de plus faible que les enfants.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne