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Arti­cle ini­tiale­ment pub­lié en ital­ien sur Altri­tal­iani.

La résis­tance de “pesh­mer­ga de l’art”, sym­bol­es d’é­man­ci­pa­tion et de lib­erté pour toutes les femmes. 

Des femmes comme Sham­sia Has­sani, Zehra Doğan et Parisa Pour­ta­her­ian qui, en Afghanistan, en Turquie et en Iran, n’ont pas bais­sé les bras devant un mur d’ob­sta­cles, créant, dessi­nant, écrivant en prison, pho­tographi­ant, pour sor­tir d’une sit­u­a­tion oppres­sante et injuste. Des artistes qui rêvent de jours meilleurs et de l’é­gal­ité légitime des droits entre hommes et femmes.

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Ce sont des femmes, jeunes et désobéis­santes. Nous par­lons de “pesh­mer­ga de l’art”, des femmes qui, tout en por­tant la burqa pour l’une, ne renon­cent pas à la lib­erté de pen­sée, qui trans­for­ment les restes d’une ville assiégée par la guerre comme Kaboul, en une toile sur laque­lle pein­dre les images d’une révolte silen­cieuse, qui grimpent sur les toits pour pass­er out­re les principes sex­istes de leur pro­pre pays, qui struc­turent leur résis­tance et com­bat­tent le sys­tème patri­ar­cal en prenant un pinceau et en représen­tant une réal­ité nou­velle, dif­férente, par­fois dan­gereuse : l’é­gal­ité entre les hommes et les femmes.

Ce sont des femmes comme Sham­sia Has­sani, la pre­mière artiste de rue en Afghanistan, qui est de plus en plus con­nue sur le web. Pro­fesseur de sculp­ture à l’u­ni­ver­sité de Kaboul, fon­da­trice avec d’autres du col­lec­tif d’art con­tem­po­rain Rosht, son his­toire de lutte et de déter­mi­na­tion com­mence très loin.

Sham­sia Has­sani, la pre­mière artiste de rue en Afghanistan

Has­sani est née en Iran en 1988 de par­ents afghans orig­i­naires de Kan­da­har. Elle se pas­sionne pour le dessin depuis son enfance, mais il ne lui est pas pos­si­ble de dévelop­per son tal­ent immé­di­ate­ment. En Iran, en effet, les études artis­tiques sont inter­dites aux réfugiés afghans. Elle a donc étudié en auto­di­dacte et, à son retour en Afghanistan en 2009, elle s’est inscrite au cours d’art tra­di­tion­nel à l’u­ni­ver­sité de Kaboul. Cepen­dant, le véri­ta­ble tour­nant s’est pro­duit en 2010, lorsqu’elle s’est inscrite à un cours organ­isé par Com­bact Comu­ni­ca­tions et tenu par l’artiste de rue anglaise Cha. À cette occa­sion, elle a appris les bases de l’art du graf­fi­ti et sa pro­duc­tion artis­tique, à par­tir de ce moment, s’est prin­ci­pale­ment con­cen­trée sur les murs en plein air.

Le dessin de Sham­sia Has­sani sur son mur Facebook

Elle com­prend immé­di­ate­ment, en fait, les avan­tages de ce tour­nant artis­tique. Les out­ils de créa­tion de ses œuvres devi­en­nent plus acces­si­bles économique­ment et, enfin et surtout, ses pro­pres œuvres devi­en­nent acces­si­bles à tous ceux qui passent par là. Un fac­teur à ne pas sous-estimer dans un pays comme Kaboul, qui est déchiré par la guerre et où il y a un manque d’e­space pour le partage artis­tique. A par­tir de ce jour, Has­sani a com­mencé à voir les rues de sa ville comme des galeries en accès libre, ses toiles priv­ilégiées devenant des ruines, des murs qui s’ef­fon­drent, des coins de rue oubliés qu’elle peut faire revivre avec ses dessins.

Ses œuvres, en effet, ne passent pas inaperçues, car elles se car­ac­térisent par un fort pou­voir évo­ca­teur et com­mu­ni­catif. Has­sani, inspirée par le style métaphorique de Banksy, crée des dessins dans lesquels, à par­tir de la com­bi­nai­son inhab­ituelle d’élé­ments sim­ples, une nar­ra­tion émerge. Elle ne se lim­ite pas à dessin­er prin­ci­pale­ment des femmes, mais les représente dans des moments pro­fondé­ment mag­iques et évo­ca­teurs : des femmes qui cha­touil­lent les fenêtres des immeubles avec leurs doigts, les trans­for­mant en clavier de piano, les fis­sures qui s’ou­vrent sur les murs devi­en­nent dans ses images des hori­zons, d’où par­tent des routes qui mènent ailleurs, les molécules de Covid, trem­plins pour la pour­suite d’une fleur traînée par le vent.

Banksy - Œuvre d'art de rue de Shamsia Hassani inspirée par Banksy

Œuvre d’art de rue de Sham­sia Has­sani inspirée par Banksy

Il est cer­tain que sa vie n’est pas facile, en tant que femme qui peint et en tant que femme qui peint dans la rue. Ses mou­ve­ments peu­vent cor­rompre les yeux des pas­sants avant même les images qu’elle pro­pose. En fait, bien que l’art de rue ne soit pas illé­gal en Afghanistan, son tra­vail a été con­sid­éré comme offen­sant pour la morale du pays. C’est pourquoi Has­sani doit tou­jours être très rapi­de dans la réal­i­sa­tion de ses dessins. Mais, mal­gré les dif­fi­cultés, son com­bat se pour­suit sans relâche dans les rues de Kaboul, où les femmes qu’elle des­sine dansent, chantent et jouent, résis­tant au nom d’une cer­ti­tude indé­ni­able  qu’au­cune loi, aucune inter­dic­tion, au nom d’au­cune morale, ne pour­ra jamais inter­dire aux femmes de rêver et de dessiner.

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En ser­rant cette même cer­ti­tude entre ses doigts, se des­sine la résis­tance d’une autre femme, celle de Zehra Doğan. Artiste et jour­nal­iste kurde, elle a fondé en 2016 Jin­ha, une agence de presse dont le per­son­nel est exclu­sive­ment féminin. En 2016, elle est à Nusay­bin, une ville turque à la fron­tière avec la Syrie, et c’est là que son des­tin est inex­orable­ment mar­qué. Nusay­bin, en fait, est l’une des villes assiégées par le con­flit kurde-turc. En 2016, Zehra Doğan a fait cir­culer sur les médias soci­aux une pein­ture représen­tant la ville envahie par les chars turcs et déchirée par le con­flit. En mars 2017, elle a été con­damnée à env­i­ron trois ans de prison pour pro­pa­gande ter­ror­iste. En prison, elle a d’abord été privée de ses armes : pein­tures et pinceaux. En 2018, un autre dessin appa­raît sur les murs de Harlem, à New York. Cette fois, l’au­teur est Banksy. Le célèbre artiste de rue bri­tan­nique des­sine quelques lignes pour représen­ter les cel­lules de déten­tion. Der­rière l’un d’eux, le curieux vis­age d’une femme appa­raît. Entre ses doigts, la dernière barre devient un cray­on. Ce vis­age est celui de Zehra Doğan et son his­toire devient donc pop­u­laire dans le monde entier.

zehra dogan

Zehra Doğan au Tate Modern

En octo­bre 2019, les let­tres que Zehra a envoyées de prison à son amie et tra­duc­trice Naz Oke, fon­da­trice du mag­a­zine Kedis­tan, ont été pub­liées en France. Dans les let­tres, pub­liées sous le titre Nous aurons aus­si de beaux jours(Édi­tions des Femmes), elle racon­te ses jours, son désir de lib­erté, le ciel qui se rétréc­it entre les bar­reaux et s’élar­git en reflets. En par­ti­c­uli­er, l’artiste racon­te com­ment ce qui avait été imposé comme un obsta­cle est vite devenu le stim­u­lus pour entre­pren­dre un nou­veau défi : la recherche de matéri­aux alter­nat­ifs sur lesquels dessin­er. En prison, son com­bat devient donc une véri­ta­ble résistance.

Por­trait de Zehra Doğan à La Galerie des Femmes Paris 09/11/2019 ©Patrice Normand/Leextra via Leemage

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En 2018, à l’âge de 26 ans, Parisa Pour­ta­her­ian tente de franchir un autre mur et devient la pre­mière femme pho­tographe de son pays, l’I­ran, à réus­sir à cap­tur­er des images d’un match de foot­ball mas­culin. Nous sommes en fait dans le stade Vatani, à Ghaemshahr, et l’équipe nationale de foot­ball est en train de se pro­duire. Parisa a un rêve : immor­talis­er ces images. Cepen­dant, en tant que femme, il lui est inter­dit d’en­tr­er dans un stade lorsque les ath­lètes sont des hommes. Mais elle n’est pas découragée. Elle se rend au stade plusieurs heures avant le match pour chercher un endroit d’où elle peut encore faire son tra­vail. Elle finit par trou­ver un toit assez haut d’où elle peut cap­tur­er les images. Il lui fau­dra cepen­dant plusieurs heures pour con­va­in­cre les pro­prié­taires de l’im­meu­ble de la laiss­er entr­er. Mais finale­ment, elle réus­sit. Et à ce moment-là, quelque chose a changé dans l’his­toire de l’I­ran. Mais pas seule­ment grâce à son geste.

Parisa Pour­ta­her­ian

La présence de Pour­ta­her­ian sur ce toit attire rapi­de­ment l’at­ten­tion de ses col­lègues, qui ne s’é­pargnent pas de la pho­togra­phi­er, fascinés par cette petite fille qui tient dans ses mains un objec­tif qui sem­ble plus grand que sa tête. Les pho­tos de cette scène sin­gulière sont rapi­de­ment envoyées à des agences pho­tographiques inter­na­tionales. Ces images sont immé­di­ate­ment dev­enues virales, surtout dans les pays où l’en­trée des stades est inter­dite aux femmes. Son entrée en scène sin­gulière, en fait, dans un monde où la présence des femmes est inter­dite, déclenche de nom­breux débats sur l’ab­surde inter­dic­tion faite aux femmes de pou­voir assis­ter aux matchs joués par les hommes. Mais ce n’est pas seule­ment cela qui est surprenant.

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Dans l’une des let­tres que Zehra Doğan a envoyées à son ami Naz Oke, elle écrit : “Il n’y a de lieu totale­ment libre nulle part au monde. Pour­riez-vous me dire que l’endroit où vous vous tenez, est vrai­ment libre ? Je com­prends à tra­vers vos luttes, qu’il n’est pas ques­tion non plus, de lib­erté absolue.”

Zehra Doğan Nous aurons aus­si de beaux jours, écrits de prison — Edi­tions des Femmes

En fait, il y a un enne­mi beau­coup plus dif­fi­cile en jeu : la nature de ces préjugés qui attribuent encore aux femmes une minorité qui n’a jamais été sci­en­tifique­ment prou­vée, mais qui est morale­ment partagée et qui se man­i­feste chaque fois que les femmes reçoivent des salaires inférieurs, qu’elles ont moins de pos­si­bil­ités d’ac­céder au monde du tra­vail ; chaque fois qu’on ne leur recon­naît pas le droit de dire suff­isam­ment, de sor­tir d’une sit­u­a­tion d’op­pres­sion parce qu’elle est con­sid­érée comme vio­lente, de se rebeller con­tre cette vio­lence, de la dénon­cer sans devoir ensuite être tenues pour respon­s­ables de la vio­lence elle-même, d’un sourire de trop, d’une jupe trop courte, de cette démarche trop décisive.

Ain­si, des femmes comme Sham­sia Has­sani, Zehra Doğan et Parisa Pour­ta­her­ian devi­en­nent le sym­bole d’une rébel­lion pos­si­ble même dans les cir­con­stances les plus dif­fi­ciles et le sens de leur com­bat devient recon­naiss­able et partagé même dans des con­textes éloignés du leur.

Les his­toires des pesh­mer­ga de l’art sont en fait des his­toires qui témoignent d’une résis­tance durable, puisqu’il s’ag­it de femmes qui n’ont jamais bais­sé les bras devant rien, qui n’ont jamais été bâil­lon­nées et qui, si néces­saire, ont con­tin­ué à mur­mur­er ce qu’elles avaient à dire sous leur bur­ka ; des femmes qui, face à des murs dressés pour décourager leurs ambi­tions, ont cher­ché des toits plus hauts sur lesquels grimper pour les réalis­er ; des femmes qui, con­finées dans l’en­ceinte d’une cel­lule, se sont accrochées aux bar­reaux pour regarder le ciel comme si elles étaient des crayons avec lesquels élargir leurs hori­zons. Ce sont des femmes qui se sont rebel­lées en créant, des femmes qui ont trans­for­mé leur vie en œuvre d’art, des femmes qui, en fin de compte, n’ont pas gag­né la guerre en tuant leurs enne­mis, mais en traçant des voies alter­na­tives pour tromper leurs pro­pres sort.

Ilar­ia Paluzzi


Ilaria Paluzzi

Ilaria Paluzzi
Écrivaine, autrice chercheuse indépendante, blogueur. Diplômée d’études humanistes à Rom, elle enseigne à l’Institut d’enseignement supérieur Emilio Alessandrini, Montesilvano. Depuis quelque temps, elle collabore avec différents journaux.
Son premier roman, “Riva”, est sorti aux éditions Bookabook. Elle collabore comme auteur pour la série Dafni&Cloe, tout en travaillant sur des projets à venir. En 2016, elle a conçu et édité “Gente di mare”, un projet d’édition itinérant.

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