Société

Des enseignants contaminés et cas contacts sommés de faire cours

À Paris, différents enseignants ont dû cacher le fait d'être cas contact ou contaminé à la demande de directeurs et inspecteurs.
Justine  Reix
Paris, FR
covid-19 enseignants école élèves
Une professeure de l'école Saint Germain de Charonne à Paris. Mai 2020. FRANCK FIFE / AFP

« Il y a un protocole sanitaire pour tous les Français et on dit aux enseignants de ne pas le respecter. On marche sur la tête », raconte Louis* enseignant à Paris. Dans son école, un de ses collègues, avec qui il mange tous les midis, a été confirmé positif au Covid-19. Alors qu’il pense être remplacé et mis en isolement pendant une semaine pour faire un test comme le demande l’Agence Régionale de Santé, il apprend avec stupeur qu’il doit non seulement retourner travailler à l’école le lendemain mais en plus cacher le fait qu’il est cas contact aux parents.

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Louis n’est pas le seul à être cas contact chez les enseignants et pourtant tous reçoivent la même indication du directeur (par message que nous avons pu vérifier mais que nous ne publions pas par souci de confidentialité) qui leur affirme que l’inspecteur de leur académie leur a demandé de continuer à enseigner aux enfants. Aucune explication ne leur est donnée mais pour le professeur la raison est évidente : « On manque de remplaçant en ce moment avec la crise sanitaire et les absences à répétition. Il n’y a personne pour nous remplacer et ils ne veulent pas fermer les écoles alors on continue de travailler. » Pourtant, le professeur contaminé a donné tous les noms et contacts de ses collègues contaminés à la CPAM qui les a appelés individuellement pour leur demander de s’isoler sept jours et d’ensuite réaliser un test Covid comme le demande les règles sanitaires.

« J’ai peur pour mon travail si je dis non mais je trouve ça grave de nous forcer à aller travailler et côtoyer des enfants alors qu’on est peut-être positif »

Parmi tous ces enseignants cas contacts sommé de continuer à travailler, un seul a refusé catégoriquement d’aller en cours. Particulièrement choqué, Louis, lui, n’a pas osé refuser. « Si l’inspecteur me le demande, je ne peux pas dire non, c’est mon supérieur hiérarchique. J’ai peur de perdre mon travail si je dis non mais je trouve ça grave de nous forcer à aller travailler et côtoyer des enfants alors qu’on est peut-être positif. » Le directeur a lui-même insisté pour que personne ne soit au courant de leur situation et que les enseignants cas contacts mentent. En effet, tous les jours, les parents d’élèves saluent et discutent avec l’enseignant sans savoir qu’il est peut-être porteur du Covid-19 et que leurs enfants ramènent avec eux à la maison le virus.

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Alors que le protocole sanitaire est renforcé et que les écoles représentent toujours un tiers des foyers de contamination, ce genre de pratique fait un pied de nez aux efforts demandés par le gouvernement. Depuis quelques semaines, le taux de positivité des plus jeunes inquiète : 10% pour les moins de 9 ans, 8,5% pour les 10-19 ans. Les chiffres ont triplé en deux semaines et sont plus élevés que la moyenne nationale, située à 6,4%. Une hausse qui s’explique facilement suite au retour des vacances scolaires mais qui peut-être lié également à l’incapacité du rectorat à gérer ce grand nombre d’absence.

« Elle m’a dit que si je ne toussais plus, je devais revenir car il n’y avait pas de remplaçant pour moi. J’ai refusé au début et puis j’ai fini par accepter »

D’autres enseignants dans la capitale témoignent de cette même désinvolture concernant les cas contacts, et même les contaminés. Dernièrement, après avoir ressenti quelques symptômes Gaëlle* a été confirmée positive au Covid-19. Après quelques jours de repos, sa directrice lui demande de revenir enseigner bien que sa semaine d’isolement n’est pas terminée. « Elle m’a dit que si je ne toussais plus, je devais revenir car il n’y avait pas de remplaçant pour moi. J’ai refusé au début et puis j’ai fini par accepter. » Pour ne pas effrayer ses collègues Gaëlle leur raconte donc qu’elle a été autorisée à reprendre le travail par la CPAM, ce qui est, bien entendu, faux. Cette jeune enseignante craint particulièrement pour sa place et son avenir, c’est la raison pour laquelle elle a fini par céder.

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Ces dernières semaines, beaucoup d’écoles cherchent à tout prix à ne pas fermer. Cette semaine, dans l’Oise, l’école élémentaire Louisette Wattier a fermé ses portes suite à la médiatisation de 31 cas positifs, professeurs et élèves confondus, dans les classes. Dans la capitale, la situation n’est guère mieux avec ces enseignants obligés de cacher leurs symptômes. Et pour les directeurs et inspecteurs qui respectent les règles sanitaires, les remplacements sont quasiment impossibles. Selon nos informations, à Paris, une maternelle a dû continuer à ouvrir avec seulement 2 enseignants sur 13 présents ces derniers jours. Et pour une autre école, cette fois dans le 15ème arrondissement, faute de remplaçants, elle a dû poster des annonces sur Pôle Emploi pour trouver des agents de garderie pour éviter la fermeture. Pas facile de jongler entre les demandes gouvernementales et le manque de moyen sur le terrain. Contacté par nos soins, le rectorat de Paris n’a pas souhaité réagir face aux agissements de certains de leurs inspecteurs d’académie.

*Prénoms modifiés par souci d’anonymat.

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