La folle histoire

Où sont passées les œuvres de Jo Hopper ?

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Publié le , mis à jour le
Qui se souvient de Josephine Verstille Nivison ? Avant de devenir Mme Edward Hopper, modèle, complice et imprésario d’un des peintres les plus célèbres du XXe siècle, Jo Hopper fut elle-même une artiste prometteuse. Parmi l’ensemble considérable d’œuvres qu’elle légua au Whitney Museum de New York figurent celles d’Edward, mais aussi les siennes qui ont aujourd’hui pour la plupart disparu…
Edward Hopper, Jo peignant
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Edward Hopper, Jo peignant, 1936

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huile sur toile • 46,2 x 41,1 cm • Coll. Whitney museum, New York • © Scala / © Adagp Paris 2021

New York, 1968. Les yeux de Jo Hopper se ferment sur le monde dans l’indifférence générale. Sans descendance, la vieille femme, devenue presque aveugle, avait décidé dans son testament, quelque temps avant sa mort, de léguer sa fortune au Whitney Museum of American Art. Et quelle fortune ! Un ensemble de plus de 3 000 œuvres signées de son mari, le peintre Edward Hopper, ainsi que ses propres tableaux, dont certains étaient encore montés dans leurs précieux cadres dorés…

Edward Hopper et Josephine « Jo » Nivison
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Edward Hopper et Josephine « Jo » Nivison

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Courtesy Hopper House

Tout le monde connaît Edward Hopper, légende absolue de la peinture américaine du XXe siècle. Mais qui se souvient de son épouse, Jo ? Dans l’ombre de son mari, elle a pourtant, elle aussi, tenté de mener tant bien que mal une carrière de peintre ! Née en 1883 à Manhattan, Josephine Verstille Nivison a suivi les cours du peintre réaliste Robert Henri à la New York School of Art. Grâce à son talent prometteur, la jeune fille a exposé aux côtés des plus grands : Modigliani, Man Ray ou encore Picasso. Mais sa vie comme sa carrière basculent en 1924. Alors qu’elle participe à une résidence d’artistes dans le Maine, elle fait la rencontre d’un homme un brin réservé et à la silhouette élancée, au visage doux et aux yeux clairs : Edward Hopper ! Si la route des deux artistes s’était déjà croisée vingt ans plus tôt à New York, cette fois-ci ils ne se quittent plus et se marient. Jo emménage alors dans l’appartement d’Edward, un logement exigu qui sert également d’atelier. Mais bien vite, elle déchante et comprend qu’elle n’y a pas sa place. Hopper attend de sa femme qu’elle joue la parfaite épouse, au grand dam de cette dernière. Bientôt, le couple s’enferme dans un huis clos explosif…

Edward Hopper, Morning Sun
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Edward Hopper, Morning Sun, 1952

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La plus mélancolique

Peintre de la solitude et du mystère, Edward Hopper (1882–1967) représente ici une femme assise sur son lit (il s’agit en fait de son épouse), le regard perdu au-dehors. Qu’attend-elle ? Impossible de le deviner. Le soleil s’invite dans cette pièce austère, qu’une douce lumière divise en blocs de couleurs intenses. Celle-ci souligne aussi le corps de la femme qui, lui, reste implacablement froid, et son regard, désespérément lointain et impassible.

Huile sur toile • 45,7 x 34,7 cms • Coll. Columbus Museum of Art, Columbus • © Bridgeman Images / © Adagp Paris 2021

Dans ses journaux intimes, Jo confie sa frustration et sa solitude tandis que la carrière d’Hopper décolle. Entre les lignes noircies de sa petite écriture nerveuse se dessine en creux le portrait d’un mari sévère et taciturne, qui dénigre le talent de sa femme. Que ses rêves d’artiste semblent loin ! Jo, désormais, irradie sur les toiles d’Edward dont elle devient le seul et unique modèle. En coulisse, elle joue un rôle prépondérant dans la carrière de son mari : coach, agent, imprésario… Les œuvres de ce dernier sont pour elle comme les enfants que le couple n’a jamais eus. Mais Jo n’abandonne pas pour autant ses pinceaux. Dans l’ombre toujours, elle peint et dessine. Sa maison dans la baie de Cape Cod l’inspire, tout comme les lumineux paysages alentours. Souvent, elle plante son chevalet non loin de celui d’Edward, à tel point que parfois, la ressemblance entre la toile de l’un et l’autre est troublante… Que sont alors devenues toutes ses œuvres ?

Jo Nivison Hopper, Provincetown
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Jo Nivison Hopper, Provincetown, 1930

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Coll. particulière • © Heirs of Josephine N. Hopper – Adagp Paris 2021

Revenons en 1968. Peu de temps avant la mort d’Edward Hopper, Jo convient avec son mari de léguer toutes les œuvres tardives de ce dernier au Whitney Museum of American Art, qui lui a consacré ses deux dernières grandes rétrospectives, en 1950 et en 1964. Lorsque le couple décède (Edward en mai 1967 et Jo seulement dix mois plus tard), sans doute le musée ne s’attendait-il pas à recevoir une telle donation, comprenant également les œuvres de Jo Hopper ! Pendant près de trois ans, l’ensemble est stocké dans une réserve à l’abri des regards, avant que le musée ne se décide finalement à vendre certaines toiles – celles d’Edward. Et Jo ?

Edward Hopper, Jo dessinant à Good Harbor Beach
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Edward Hopper, Jo dessinant à Good Harbor Beach, 1923-1924

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aquarelle et craie sur papier • 35,2 x 50,6 cm • Coll. Whitney museum, New York • © Scala / © Adagp Paris 2021

Selon l’historienne, cela ne fait aucun doute : l’institution n’a jamais cru à la valeur de l’œuvre de Jo.

Quelques années plus tard, en 1976, l’historienne de l’art Gail Levin, aujourd’hui professeure éminente à la City University de New York, rejoint l’équipe curatoriale du Whitney Museum afin de rédiger le catalogue raisonné d’Edward Hopper et découvre l’ampleur du désastre : les œuvres de Jo se sont évaporées. Elle apprend alors que le musée a donné, de façon expéditive, une partie de celles-ci à des hôpitaux de la ville (probablement emportées par des employés, elles ont aujourd’hui disparu) ainsi qu’à l’université de New York… Et qu’il se serait purement et simplement débarrassé du reste ! Selon l’historienne, cela ne fait aucun doute : l’institution n’a jamais cru à la valeur de l’œuvre de Jo. Et pourtant, si certaines œuvres (tardives et non signées) ont pu être sauvées, c’est parce qu’elles ont été pendant longtemps attribuées, à tort, à Edward !

Josephine Nivison Hopper, Obituray
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Josephine Nivison Hopper, Obituray, 1948

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Huile sur toile • 61,3 × 50,6 cm • Coll. Whitney museum, New York • © Scala / © Heirs of Josephine N. Hopper – Adagp Paris 2021

D’autres encore ont pu être conservées car vendues ou données par Jo de son vivant. Certaines ont d’ailleurs rejoint les collections du Provincetown Art Museum, qui a acquis en 2018 69 dessins et aquarelles de Jo Hopper ainsi que 22 journaux de la période 1933–1956. Les seules preuves attestant de l’existence des autres toiles de l’artiste, probablement disparues à jamais, sont des photographies en noir et blanc réalisées par le photographe professionnel initialement engagé par Edward pour lui-même. Quant au Whitney Museum, qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien, il conserve aujourd’hui trois œuvres de Jo, dont une intitulée Obituary, retrouvée par hasard sur un marché aux puces de Brimfield, dans le Massachusetts… Jamais elles n’ont été montrées au public.

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À voir

Edward et Jo Hopper : un si violent silence

Documentaire écrit et réalisé par Catherine Aventurier, coécrit par Alexia Gaillard (2020, 55 min)

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À lire

Edward Hopper: An Intimate Biography

Par Gail Levin

Ed. Rizzoli (réédition de 2007) • 780 p.

Retrouvez dans l’Encyclo : Edward Hopper

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