En ce  27 janvier nous célébrons le 76e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau par l’armée soviétique, le 27 janvier 1945. À cette occasion Fabien Vie* a réalisé « Rivesaltes, Les Milles, terminus Auschwitz », un court documentaire qui évoque l’univers concentrationnaire à partir des camps dans nos Régions. Entretien.


 

Il n’y a pratiquement plus de survivants du camp d’extermination nazi pour témoigner. Un million cinq cent mille juifs, tziganes et homosexuels sont morts. Plus de neuf cent mille juifs furent assassinés méthodiquement à Auschwitz, dans ce plus grand centre d’extermination industriel nazi.

En France, sur les 76 000 juifs déportés, 74 000 le furent à Auschwitz. Le Sud de la France n’a pas été épargné. Les actuelles régions Occitanie et région Sud-PACA avec la complicité de l’État, de sa police et gendarmerie livrèrent aux Allemands près de 4 000 juifs français et étrangers, résidents, réfugiés, puis parqués dans les deux plus grands camps de concentration de la zone dite libre.

Au départ du camp de Rivesaltes, près de Perpignan, les convois représentèrent un total de 1 771 à 1 778 personnes juives déportées jusqu’à la fermeture du camp le 22 novembre 1942. Ils transitaient par Drancy avant d’être envoyés majoritairement vers Auschwitz.
Du mois d’août au mois de septembre 1942, le camps des Milles1 près de Marseille voit la déportation via Drancy ou Rivesaltes de plus de 2 000 juifs, dont l’écrasante majorité eurent pour destination finale Auschwitz.

 

 

 

Entretien avec le réalisateur Fabien Vie

 

 

Quelle motivation inspire ce retour sur un épisode sombre de notre histoire ?

Je suis né en 1970. Les gens de ma génération connaissent un peu cette histoire. Je me souviens qu’on parlait du génocide au lycée, au collège, à la Fac. À l’époque il y avait aussi des films, de nouveaux livres, des études, des reportages à la télé. Il y avait un intérêt pour cette histoire qui correspondait aux derniers nazis poursuivis en justice. On disait « plus jamais ça ». Mais ce processus de violence de masse ne s’est jamais arrêté. Il y a eu le Grand Bond en avant en Chine, les camps de Staline, les génocides au Cambodge et au Rwanda. En fait, les massacres à grande échelle n’ont jamais cessé. Ils se succèdent les uns aux autres. Pourtant j’ai le sentiment qu’on y attache une moindre importance. Le fascisme à le vent en poupe et les médias soufflent dans les voiles.

 

C’est un des messages que vous souhaitez faire passer dans votre film ?

Oui, revenir sur les faits, et aussi une manière de lutter contre le négationnisme qui reprend de la vigueur dans l’univers quotidien des fake news dans lequel nous sommes entrés. Au-delà des réseaux sociaux souvent mis en accusation, la sphère des masses médias y participe pleinement. Des organisations comme Acrimed estime que 20 % des personnes invités sur les plateaux télé sont proches de l’idéologie d’extrême droite qui repose sur la négation de l’humanité de certains groupes et a conduit à la perpétration des plus grands crimes de masse.

 

À qui s’adresse votre documentaire ?

Je l’ai fait pour les jeunes, d’où le format court qui prend en compte un rapport à l’information qui privilégie le zapping. On m’a demandé de faire plus long mais je tenais à condenser pour aller à l’essentiel en trois minutes. Dire qu’il y avait des camps de concentration en France et notamment dans notre région à Rivesaltes en Occitanie et au Milles en PACA. Dire que ce n’étaient pas les Allemands mais bien les Français qui gardaient les camps. Parler des Sonderkommandos, c’est-à-dire les prisonniers, juifs dans leur très grande majorité, forcés à participer au processus de « la solution finale ». Le travail de documentation m’a permis de récupérer auprès des familles les quatre seules photos qui le prouvent.

 

Vous évoquez aussi Léon Bronchart un des seuls cheminot qui refusa de conduire un train de déportés en 1942 ?

Je tenais à ce que le film pointe l’implication directe de notre pays dans les crimes mais il était central de parler de l’aspect humain. J’ai mis dans le film les dessins des quelques survivants des camps de la mort récupérés auprès de leur famille pour transmettre une mémoire individuelle. Souligner l’action de Léon Bronchart c’était faire resurgir l’importance de ce qu’a fait cet homme que l’histoire n’a pas retenu. Suite à son acte il a été déporté avec son fils. C’est aussi l’occasion de rappeler que sans la SNCF, la Deutsche Bank et les entreprises du Reich il n’y aurait pas eu de déportation. On doit aussi se souvenir que les Alliers qui étaient informés ont refusé de bombarder les voies de chemin de fer qui conduisaient les déportés vers « la solution finale ».

 

Quel regard portez-vous sur la patrimonialisation des camps devenus des lieux de commémoration ?

Conserver les vestiges et ce qui reste de l’héritage du passé est une bonne chose, cela peut participer à la construction de notre mémoire individuelle et collective. En même temps on voit aujourd’hui des gens qui font des selfies à Auschwitz ce qui pose la question du sens. Il faut un travail d’accompagnement. Je pense aussi qu’en France nous ne devons pas lier systématiquement la mémoire des camps à Israël, simplement parce que l’empreinte laissée par ce sombre passé nous concerne tous. Actuellement dans le monde aucune minorité n’est à l’abri d’une ségrégation de masse. On le voit aujourd’hui avec les Ouïghours2, mais ça peut très bien se passer demain en Europe.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

  • Fabien Vie est inclassable. Il a plus vécu loin de sa terre entre Paris, Marseille et les rives méditerranéennes.  C’est un touche-à-tout guidé par la curiosité et les passions qui l’ont conduit à exercer mille métiers, plongeur en mer, professeur, publicitaire, chroniqueur radio, cuisinier, chargé d’événementiel, de production audiovisuelle, de mécénat et, bien sûr, d’écritures. Aujourd’hui, auteur, scénariste, réalisateur, Fabien VIE écrit pour des médias indifféremment en français, en italien et en espagnol, des nouvelles, réalise des BD, des films docu-fiction expérimentaux, des clips vidéo, des court-métrages historiques et de fiction. « Raconter, transmettre, écrire des histoires, partager des émotions, c’est le fil conducteur de ma vie ».

Notes:

  1. Les Milles est le nom d’un écart de la commune d’Aix-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, dont il dépend.
  2. Dans la province autonome chinoise du Xinjiang, les velléités indépendantistes se heurtent depuis des décennies à la politique de sinisation du gouvernement. Les Ouïghours sont victimes de répression : stérilisations forcées, viols, déportations, emprisonnements, camps de rééducation…
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.