Accueil

Société Écologie
« Retirer nos bêtes serait comme enlever des enfants » : le monde du cirque se rebiffe
Risquant de perdre leur activité, les professionnels du cirque ont manifesté contre le projet de loi visant à améliorer le bien-être animal.
© Vincent Geny / Marianne

« Retirer nos bêtes serait comme enlever des enfants » : le monde du cirque se rebiffe

Maltraitance animale

Par

Publié le

Tandis que les députés examinent une proposition de loi contre la maltraitance animale, les professionnels du cirque manifestaient ce mardi à Paris pour exiger le maintien de leur activité. Reportage.

Ce mardi, huit véhicules de police bloquent la rue de l'Université, qui mène tout droit à l'Assemblée Nationale. Face à eux, deux groupes de manifestants veulent interpeller les députés. D'un côté des chauffeurs taxis, musique à fond et voitures garées, qui demandent la régulation de l'activité VTC. De l'autre, le monde du cirque avec ses camions colorés et ses banderoles.

Il est à peine 12 h 30 lorsqu'une trentaine de professionnels circassiens commence à se réunir pour protester contre la proposition de loi 3661 qui vise « à renforcer la lutte contre la maltraitance animale ». En discussion à l'Assemblée nationale, cet ensemble de mesures signerait, entre autres, la fin du cirque tel qu'on le connaît, avec l'interdiction de « détenir, en vue de les présenter au public dans des établissements itinérants, des animaux des espèces non domestiques ».

"Une relation d'amour"

« On veut garder nos traditions » s'inquiète Sacha Krosemann, 20 ans et fils d'un gérant de cirque. Le jeune homme, qui se présente comme le plus jeune dompteur d'Europe, détaille : « Les animaux naissent avec nous, on a une relation d'amour avec eux, nous les retirer serait comme enlever des enfants. Si le projet passe ce sera très dur pour nous. »

Au fil des minutes, le groupe s'étoffe. Un barbecue de fortune s'allume et l'odeur des grillades embaume l'assistance. Certains apportent des pancartes, accusant « l'écologie » de vouloir « la mort de notre pays ! »

Franky est l'un d'eux. Il a 19 ans mais sa vie est toute tracée. « Je veux bosser dans un cirque depuis que je suis petit » explique ce jongleur et magicien spécialisé dans l'escapologie, discipline consistant par exemple à s'échapper d'une malle cadenassée. « Je ne viens pas d'une famille de cirque mais ça reste ma passion » ajoute-t-il. Pour lui, la maltraitance est un faux sujet. « Depuis mes 16 ans, j'ai travaillé pour plusieurs cirques, jamais je n'ai vu de maltraitance, sinon je ne serais pas resté, j'aime les animaux et c'est le cas de tout le monde au cirque. »

Avec près d'une centaine de protestataires au plus fort, la manifestation n'attire pas les foules. Un homme, gilet jaune sur le dos et cigarette au bec passe tout de même soutenir un univers qu'il adore depuis son enfance. « J'ai été marqué par les fauves, j'adore voir ces bêtes en vrai, sans animaux il n'y a pas de cirque, on sera plutôt sur un cabaret, un théâtre, c'est un peu de la merde » estime Florent Pinot, 28 ans, pour qui « ce qui compte, c'est la bête vivante ».

Les écologistes ciblés

13 h 16, il est temps de concurrencer la manifestation des taxis adjacente. Dessin de clown et couleurs flashys, les gérants d'un cirque familial font cracher les enceintes postées sur leur camionnette. Des sirènes assourdissantes annoncent un discours. « Venez applaudir nos animaux », « ne soyez pas dupes, venez voir par vous-même » entend-on avant que ne démarre le générique du film Austin Power, Soul Bossa Nova de Quincy Jones pour les puristes. Ambiance burlesque que perturbe bientôt une bagarre entre deux manifestants, dont l'un finit au sol.

« Ce projet de loi nous condamne » s'étrangle William Kerwich, directeur du cirque Royal Kerwich et président du Syndicat des Capacitaires d'animaux de cirque et spectacle (SFCACS) qui a appelé au rassemblement. Il déplore l'absence de concertation avec le gouvernement et ne compte pour l'instant que sur le soutien du député Julien Aubert et à travers lui du groupe Les Républicains. « J'ai échangé avec Loïc Dombreval [coauteur du projet de loi ; N.D.L.R.] pour modifier l'intitulé mais nous n'avons eu aucun retour ». La discussion n'est pas plus féconde avec la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili. « Nous ne sommes pas consultés, on a envoyé des courriels, fait rédiger un rapport scientifique par des experts canadiens qui sont venus, ont observé la manière dont on travaille et personne ne l'a pris en compte » s'étonne Dumas Solovich, gérant du cirque de Rome.

Ce dernier vient de déclamer un discours enflammé dénonçant le « racisme contre la profession, la dictature » ou encore les « associations animalistes qui veulent nos bêtes uniquement pour les dons » . « La raison est simple, le gouvernement ne souhaite que faire plaisir aux associations et gagner des voix » juge-t-il.

Frédéric Edelstein, gérant du cirque Pinder, ajoute son analyse. « Nous ne sommes plus dans le bien-être animal mais dans la politique » déplore le dompteur de fauves. « Le sacrifice du cirque est un gage donné par le gouvernement aux écologistes. En échange, ces derniers doivent calmer leurs revendications sur le nucléaire » avance-t-il, sans plus de précisions.

Absence d'alternatives

Pour ces protestataires, le retrait du texte est la seule voie possible. Parcs zoologiques, réserves ou fin de l'itinérance : aucune solution ne trouve grâce à leurs yeux. Le projet de loi met pourtant l'accent sur les déplacements des animaux, mais la sédentarisation n'est pas une solution miracle comme l'explique le dirigeant du Comité du Club du Cirque, Jorge Freitas. « Il faut déjà trouver une commune qui accepte, c'est loin d'être gagné et surtout, ça voudrait dire qu'il ne pourrait n'y avoir qu'une représentation de temps en temps, les gens ne viendront pas au cirque tous les week-ends, l'itinérance est la base du métier » plaide-t-il sous les approbations d'un collègue, badge « Club du Cirque » jaune sur la veste.

Reste une question majeure : que faire si la loi passe ? Déterminé, Dumas Solovich veut continuer le combat. « Si députés et sénateurs votent la loi nous irons jusqu'au conseil d'État. Tous les courriels sans réponse, toutes nos revendications sans réactions sont consignés, nous avons de quoi prouver que l'on ne nous a pas entendus. »

Pour Kerwich, c'est la résignation qui prime. « Si la loi nous interdit de maintenir nos traditions nous la respecterons. Pour ma part, si la France supprime notre liberté, je pourrai être amené à vivre ailleurs, dans un pays où nous serons acceptés. Nous ne sommes pas des délinquants. »

À moins que les cirques ne deviennent clandestins ? On l'imagine en écoutant Steeve Prein, fils d'un patron de cirque familial dont il préfère taire le nom. En cas d'interdiction, il estime que sa réaction « sera une surprise » d'un air enigmatique. Les députés ont jusqu'au vendredi 29 janvier avant de procéder au vote et d'acter, ou non, les revendications exprimées.

A LIRE AUSSI : Chasse, élevage, cirque : le bien-être animal, enjeu électoral pour 2022

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne