Covid-19 : Venise se meurt

La place Saint-Marc vide, la basilique Saint-Marc fermée, pas une âme n'erre ©Radio France - Bruce de Galzain
La place Saint-Marc vide, la basilique Saint-Marc fermée, pas une âme n'erre ©Radio France - Bruce de Galzain
La place Saint-Marc vide, la basilique Saint-Marc fermée, pas une âme n'erre ©Radio France - Bruce de Galzain
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Venise peut-elle vivre sans culture et sans tourisme ? Alors que Florence ou Naples rouvrent leurs musées, à Venise tout reste fermé. Le Carnaval aurait dû débuter la semaine prochaine et ainsi une nouvelle saison pour les Vénitiens. Mais rien. Venise ne voit pas d'issue à cette crise.

Pas un chat, pas même une mouette sur la place Saint-Marc... pas un bruit non plus quand Renato Costantini, le directeur du célèbre Florian, nous ouvre la porte de son café vieux de 300 ans, mais fermé désormais : "Les portes sont historiques donc un peu fragiles et puis on entre directement dans le café" explique Renato Costantini qui éteint l'alarme avant d'allumer les lumières des nombreuses pièces du café. Les fresques s'illuminent alors et nous traversons le Florian de salon en salon, seuls, comme si le temps s'était arrêté. Puis le directeur s'installe à une table, là où d'habitude 2 000 personnes se croisent chaque jour : 

Nous faisons un chiffre d'affaires de 8 millions et demi d'euros par an normalement. Mais en 2020, on a fait 6 millions de moins. Et l'État nous a donné seulement 160 000 euros ; on demande des aides plus consistantes car on doit payer les frais fixes, le loyer. Sans tourisme, Venise meurt ! Mais nous, au Florian, et moi comme Vénitien, je souhaite un tourisme plus responsable quand ça repartira : pas tous ces groupes, moins de touristes mais avec plus de pouvoir d’achat. C’est maintenant qu’il faut y penser…

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Renato Costantini, directeur du Florian place Saint-Marc, nous ouvre son café vide alors qu'en saison 2000 clients y passent chaque jour
Renato Costantini, directeur du Florian place Saint-Marc, nous ouvre son café vide alors qu'en saison 2000 clients y passent chaque jour
© Radio France - Bruce de Galzain

Dépité et sans grand espoir, Renato Costantini referme les portes du Florian. A quelques pas de là, une autre institution nous ouvre ses portes : la Fenice. Le théâtre est vide aussi mais au travail car l'orchestre donne quelques concerts gratuits sur internet. Fortunato Ortombina est le surintendant et directeur artistique du théâtre, il a installé les fauteuils sur la scène qu'il a transformé en bateau : "Sur scène, nous sommes au milieu de la quille d'un bateau. Mais attention ce n'est pas une épave après un naufrage, c'est un bateau que la Fenice s'est construit elle-même pour naviguer vers un monde nouveau" lance Fortunato Ortombina, poète mais poète triste et inquiet lorsqu'il pense à l'année qui débute :   

J'ai bien plus peur pour 2021 que pour pour 2020. Au niveau économique, ce sera une année compliquée car un tiers de nos ressources provient de la billetterie et nous n'avons pas de public. Donc nous devons compenser et trouver un système pour avoir une saison viable. Mais nous n'avons pas de visibilité, c'est très difficile ! 

La scène de la Fenice transformée en quille de bateau et sur laquelle les fauteuils d'un éventuel public sont installés à au moins un mètre de distance
La scène de la Fenice transformée en quille de bateau et sur laquelle les fauteuils d'un éventuel public sont installés à au moins un mètre de distance
© Radio France - Bruce de Galzain

Ouvrir les musées coûte cher à la ville 

Mais si les musées et les théâtres sont fermés à Venise, c'est aussi parce que la mairie l'a décidé et pas seulement l'État. Afin de savoir pourquoi, nous prenons le vaporetto direction la gare Santa Lucia puis Mestre sur la terre ferme où l'adjoint au tourisme Simone Venturini nous attend :

Il faut savoir quand cela a un sens économique d'ouvrir les 19 musées. Il y a ceux qui sont gérés par l'État et ont des ressources entre guillemets "infinies", puisque l'Etat paye. Mais les musées de la ville ont des règles et doivent être à l'équilibre. Si on les ouvrait aujourd'hui, ça nous coûterait des millions. Et comme on ne peut pas sortir de chez soi et que tout est fermé ça n'a aucun sens d'ouvrir les musées !

Un gondolier devant le pont Rialto au petit matin, il tentera de trouver un client aujourd'hui. Hier il n'a pas réussi.
Un gondolier devant le pont Rialto au petit matin, il tentera de trouver un client aujourd'hui. Hier il n'a pas réussi.
© Radio France - Bruce de Galzain

Venise est devenue ville morte qui se referme. Il y a 250 000 habitants au total car Venise s'étend sur la terre ferme mais ils sont seulement 50 000 sur l'île. Plusieurs quartiers sont habités comme Canareggio, le marché du Ponte Rialto où quelques Vénitiens viennent encore faire leurs courses. Mais dans le quartier de la place Saint-Marc il n'y a plus un habitant, tout est loué à la journée ou à la semaine aux touristes normalement ! Devant le palais des Doges, le musée le plus visité de Venise, Fabio Marzari, journaliste au magazine culturel Venezia News pointe ce paradoxe vénitien :

Venise paye aujourd'hui le fait de ne pas avoir d'habitants. Une ville ne peut se définir comme telle si personne n'y vit vraiment ! Venise est une ville où depuis des années on n'a pensé uniquement au tourisme, où les gens qui ont travaillé dans le tourisme ont gagné énormément mais sans réinvestir dans la ville. Venise pourrait être la capitale d'institutions culturelles, Venise aurait besoin d'une agence de l'Union européenne. Venise a énormément de richesses mais n'a misé que sur le tourisme et maintenant tout le monde peut en voir les conséquences.

Les masques du Carnaval resteront en vitrine cette année, les touristes et carnavaliers ne courent pas les ruelles ni les ponts
Les masques du Carnaval resteront en vitrine cette année, les touristes et carnavaliers ne courent pas les ruelles ni les ponts
© Radio France - Bruce de Galzain

Venise convoitée par des investisseurs louches ?

Sans touriste, Venise n'a plus un sou. Le tourisme rapporte 3 milliards d'euros par an normalement. L'an dernier, elle a perdu 2 milliards et demi selon Claudio Scarpa, le directeur de l'association vénitienne des hôteliers. Il voit Venise fragile, à la merci d'investisseurs pas toujours recommandables :

On nous appelle de France, d'Allemagne, d'Autriche, et ça on l'accepte même si l'on craint de devoir vendre à des prix inférieurs à la valeurs réelle. Mais le problème c'est qu'il peut aussi y avoir des capitaux illicites. Récemment, on a eu une alerte sur les Chinois - surtout pour les restaurants, les petits magasins et les kiosques à journaux - mais franchement ils m'inquiètent beaucoup moins que la 'Ndrangehta de Calabre et les Casalesi de Campanie. Le ministère public a fait un travail exceptionnel et a découvert des infiltrations mafieuses. Et ça, c'est vraiment angoissant !

Venise s'est vidée de ses touristes mais aussi de ses habitants, ils sont moins de 50.000 à vivre sur l'île de la Lagune
Venise s'est vidée de ses touristes mais aussi de ses habitants, ils sont moins de 50.000 à vivre sur l'île de la Lagune
© Radio France - Bruce de Galzain

Dans la brume de l'hiver, Venise perd finalement sa magie. Venise qui ne peut pas vivre sans tourisme cherche encore le tourisme de demain...

Venise à 18h sans âme qui vive même le charme n'opère plus
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