Différents scénarios sont toujours envisagés pour empêcher la propagation du Covid-19, « du maintien du cadre actuel jusqu’à un confinement très serré », a déclaré, mercredi 27 janvier, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, à l’issue d’un conseil de défense sanitaire à l’Elysée.
Le gouvernement de Jean Castex tente depuis des mois de rester sur une ligne, celle de la « proportionnalité » de la réponse à l’épidémie. « Nous avons une stratégie qui est claire, qui consiste à avoir une riposte graduée et territorialisée à la crise », avait ainsi dit M. Castex le 12 octobre 2020 sur Franceinfo – il a réitéré cette position le 14 janvier.
A l’automne, la deuxième vague épidémique de Covid-19 avait été pour le gouvernement l’occasion de tester des mesures alternatives au confinement total. Le 14 octobre, après plus de deux mois d’un lent rebond de l’épidémie, Jean Castex avait annoncé un couvre-feu pour seulement certains territoires.
La mesure, qui devait durer quatre semaines, est venue trop tard. Onze jours après son application, et quatre jours seulement après avoir été étendu aux deux tiers de la population française, Emmanuel Macron annonçait un deuxième confinement. Un échec pour le président, comme pour de nombreux épidémiologistes, qui, plusieurs mois durant, ont alerté les pouvoirs publics sur la circulation croissante du virus et sur la nécessité de prendre des mesures avant que la dynamique épidémique ne devienne incontrôlable.
Car il est un fait bien connu en santé publique : la prévention coûte nettement moins cher que le curatif. Fin mai 2020, l’épidémiologiste Mircea Sofonea et son équipe ont publié leurs travaux de modélisation consacrés à la première vague épidémique de Covid-19 en France. Selon leurs calculs, l’application du confinement national sept jours plus tôt aurait permis un gain significatif tant en matière de pression sur le système hospitalier que de mortalité. Ainsi, un confinement au 10 mars aurait abouti à un pic en réanimation à moins de 1 500 lits, nettement inférieur aux 7 019 lits de réanimation occupés le 8 avril. Et une meilleure anticipation aurait abouti à environ 13 300 morts en moins au printemps.
« La croissance de l’épidémie est exponentielle »
A contrario, un confinement appliqué une semaine plus tard (le 24 mars) aurait eu des effets catastrophiques. Les chercheurs estiment que le pic en réanimation aurait atteint plus de 32 000 lits, ce qui dépasse de très loin les capacités hospitalières françaises. La surmortalité par rapport au bilan humain constaté au printemps aurait été de presque 53 000 vies perdues.
Les conséquences sont ainsi démultipliées et ne sont pas proportionnelles aux intervalles de temps. Dans une situation épidémique où la circulation du virus prend réellement de la vitesse, chaque jour de plus à attendre coûte plus que le précédent. « La relation n’est pas linéaire parce que la croissance de l’épidémie est exponentielle, plus vous confinez tardivement, plus vous laissez le temps à l’épidémie de se développer et de monter haut », confirme Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l’Ecole des hautes études en santé publique à Rennes.
« La même mesure restrictive peut avoir un impact drastiquement différent si elle est prise précocement ou tardivement, ou dans un autre pays », conclut une équipe de chercheurs autrichiens
La relation entre le délai temporel d’adoption de mesures sanitaires et leur efficacité est relativement bien connue en épidémiologie. En novembre, une équipe de chercheurs autrichiens a publié dans Nature une étude sur l’efficacité des mesures de lutte contre la pandémie prises par les gouvernements nationaux, et a montré l’intérêt des restrictions préventives. « Une combinaison appropriée de plus petites mesures prises dans le bon tempo peut égaler l’efficacité d’un confinement national tout en permettant de réduire les effets négatifs sur la société, l’économie et l’environnement », écrivaient les auteurs. Tout l’enjeu, donc, est de les appliquer suffisamment tôt.
Les travaux de Nils Haug, Lukas Geyrhofer et Alessandro Londei, fondés sur l’analyse des décisions prises par 226 pays, soulignent aussi la relation non linéaire entre la capacité d’une mesure (appelée « intervention non pharmaceutique ») à réduire le nombre de reproduction du virus, et le délai plus ou moins long avec lequel la mesure est appliquée. Les gains sont souvent nettement plus spectaculaires dans les premiers jours, comme le montrent les graphiques ci-dessous pour six mesures différentes.
« La même mesure restrictive peut avoir un impact drastiquement différent si elle est prise précocement ou tardivement, ou dans un autre pays », concluent les chercheurs, qui soulignent que le contexte local est aussi un facteur modifiant l’efficacité desdites mesures.
Le fait d’agir de manière préventive n’a pas que des bénéfices sanitaires dans le cadre d’une épidémie, mais participe aussi à limiter davantage les dégâts sur les économies nationales. Santé et économie ne s’opposent pas, mais sont en réalité interdépendantes. « Les pays qui ont agi plus précocement au cours de la pandémie – en prenant des mesures bien avant que les premiers morts liés au Covid-19 soient comptabilisés – ont subi de moindres pertes économiques associées aux confinements de leurs populations, en partie parce que ceux-ci ont été moins stricts », ont ainsi observé trois économistes de la Banque mondiale, dans un article publié en mai.
« Nos résultats suggèrent que plus tôt les mesures non pharmaceutiques sont prises, meilleurs sont les résultats sanitaires et économiques », concluent-ils. Un constat que les données économiques en lien avec les bilans nationaux de la pandémie mettent bien en évidence : les pays ayant le mieux contrôlé l’épidémie sur leur sol sont mieux parvenus à limiter la casse.
La raison est simple : « Plus les pays agissent tôt et plus efficacement, plus les restrictions peuvent être assouplies rapidement. (…) Chaque réduction supplémentaire de la contagion (…) compte, car elle réduit plus que proportionnellement la durée nécessaire des mesures strictes », expliquait un collectif de scientifiques menés par la neurologue allemande Viola Priesemann dans la revue The Lancet le 18 décembre. Ces derniers plaidaient pour une meilleure anticipation des pays européens face à la menace que font peser les nouveaux variants sur le vieux continent.
« Etant donné l’intervalle d’au moins sept jours entre l’infection et la déclaration d’un nouveau cas, la déclaration est toujours retardée, et les mesures d’atténuation, si elles ne sont prises qu’après le début de l’augmentation du nombre de cas, peuvent déjà avoir une efficacité réduite », rappelaient-ils à l’adresse des pays de l’Union européenne.
« A partir du moment où les pays européens ont choisi de vivre en partie avec le virus, nécessairement, on s’expose à son évolution. La course n’est plus seulement épidémiologique mais aussi évolutive, prévient Mircea Sofonea. Si vous êtes plus réactifs, vous confinez moins longtemps et vous épargnez les territoires moins touchés. Là, on met en péril aussi bien l’économie que la santé. » L’épidémiologiste plaide pour un reconfinement capable d’enrayer la dynamique de croissance du variant britannique.
« On a deux semaines pour réagir »
« Si le gain de contagiosité de ce variant [anglais] est réel, d’ici trente-cinq à cinquante jours, dans certaines régions, on aura plus de 50 % des infections causées par ce variant. Et là, on se retrouvera dans une situation où on aurait du mal à freiner l’épidémie avec un confinement assoupli, comme celui de novembre. Ce qu’on montre dans nos travaux, c’est qu’on a deux semaines pour réagir si on s’en tient à la situation actuelle. »
« Plus une mesure comme un confinement est prise tôt plus elle est efficace, ça c’est assez clair. Plus on le met en place tôt, moins il a besoin d’être long pour atteindre son objectif, confirme Pascal Crépey. Mais nos élus ont des équations parfois plus complexes que celles des modélisateurs. » Ce qui explique les hésitations du pouvoir exécutif devant un troisième confinement, qui paraît pourtant inéluctable face aux variants du Sars-CoV-2 en circulation.
La question de la perception du risque sanitaire par l’opinion publique sera centrale pour l’action du gouvernement dans les mois à venir
« L’équation qu’ils ont à résoudre, c’est celle de la perception du risque, qui va être liée à l’acceptabilité sociale du confinement. Et c’est un aspect qui dépasse malheureusement les modèles épidémiologiques », estime Pascal Crépey. Pour l’enseignant-chercheur, « il est fort probable qu’un confinement qui soit perçu comme préventif ait moins d’efficacité qu’un confinement mis en place parce que la situation sanitaire est dégradée. Or, perdre de l’efficacité sur le confinement, c’est prendre le risque d’émousser la dernière arme que l’on a dans notre arsenal pour lutter contre l’épidémie, c’est prendre le risque de se retrouver désarmé ».
Un confinement préventif pourrait ainsi se montrer moins efficace si l’adhésion faiblissait, et prêterait le flanc aux critiques qui jugeraient la mesure disproportionnée à la menace (puisque la gravité de la situation évitée est difficilement perceptible).
La question de la perception du risque sanitaire par l’opinion publique sera donc centrale pour l’action du gouvernement dans les mois à venir, comme l’explique Mircea Sofonea : « La situation où [le nombre de reproduction de base, le fameux R] tourne autour de 1, comporte de nombreuses incertitudes et implique des changements de politique sanitaire très fréquents, ce qui complique la mesure de leur efficacité. » Et peut au passage éroder la confiance de la population face à une gestion sanitaire jugée court-termiste ou confuse.
Malgré tout, certains chercheurs font valoir qu’il est possible de faire adhérer l’opinion publique à des mesures préventives en en exposant clairement les enjeux. L’étude comparative des chercheurs autrichiens parue dans Nature en novembre soulignait à ce sujet que « l’éducation et une communication active avec le public sont une des mesures préventives les plus efficaces ».
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