Médias

Plus de 70% des scientifiques interrogés dans la presse écrite sont des hommes

Aucun des sept titres, spécialisés comme généralistes, analysés par l'Association des journalistes scientifiques, ne parvient à la parité.
par Marlène Thomas
publié le 28 janvier 2021 à 18h14

Les résultats sont accablants. Une étude, réalisée par l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information (AJSPI) à l'occasion de la journée Sciences et Médias ce vendredi, alerte sur la très faible présence des femmes scientifiques interrogées dans la presse écrite. 70% à 80% des chercheurs interrogés dans les sept titres analysés, spécialisés comme généralistes, durant le mois de janvier sont des hommes. L'AJSPI a décompté le nombre de chercheurs et chercheuses cités dans les articles et ceux mis en valeur dans une interview, un portrait ou via une chronique.

«Aucun journal n'est paritaire», résume l'étude en notant des différences peu significatives entre les journaux. Cécile Michaut, journaliste scientifique membre de l'AJSPI, à l'origine de cette enquête, réagit : «Ce n'est pas glorieux. Je ne m'attendais pas à une telle différence.» Côté presse scientifique, Sciences et Avenir a interrogé 75% d'hommes pour 25% de femmes, suivi de près par Pour la Science (26% de femmes) et la Recherche (29% de chercheuses). Science & Vie se retrouve en bas du classement avec 80% d'hommes interrogés pour seulement 20% de femmes. Dans ce titre, 100% des scientifiques mis en valeur ce mois-ci dans une interview ou un portrait étaient des hommes.

«Dans la tête de beaucoup, les "gens compétents" sont des hommes»

Les scores des titres généralistes ne sont pas plus brillants. Le Figaro n'a ouvert ses pages qu'à 23% de femmes scientifiques, pour 77% de leurs confrères masculins. Du côté de Libération, 30% de chercheuses sont citées pour 70% de chercheurs. Le Monde a donné la parole à 26% de femmes contre 74% d'hommes. L'AJSPI relève pour le quotidien du soir une différence entre la rubrique «Sciences» et le reste du journal. Dans le détail, 32% de femmes sont citées dans les articles de la rubrique «Sciences» et 35% sont mises en valeur dans d'autres formats comme une interview ou un portrait.

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Des chiffres qui chutent de manière assez significative dans le reste du quotidien en janvier, qui traite essentiellement des sujets liés au Covid-19. 22% de chercheuses ont été citées dans un article et 12,5% ont été mises en valeur dans un autre format. «Le traitement du Covid semble moins paritaire que le reste de la science», conclut l'étude. Cécile Michaut précise : «Ce n'est pas tant une histoire de Covid que de crise. On l'a vu en politique, à partir du moment où le coronavirus est arrivé, toute la task force du président n'était que des hommes.» Elle ajoute : «Quand des choses "sérieuses" surviennent, il y a cette tendance à dire "c'est bien beau la parité mais là il faut des gens compétents". Et dans la tête de beaucoup, les "gens compétents" sont des hommes.»

«Il faut se rendre compte de nos biais»

L'association remarque aussi que trois articles de Sciences & Vie, sur la 5G, l'épidémiologie et les bactéries, citent respectivement 11, 7 et 9 hommes. Dans ces articles, tous écrits sous des plumes masculines, aucune femme n'est citée. «Les journalistes hommes sont-ils plus "machos" dans leur choix d'interlocuteurs ?», interroge l'étude. Le genre du journaliste influence dans certains cas la parité. Du côté de Sciences et Vie, 87% des hommes citent des hommes et 13% des femmes. Alors que les femmes journalistes arrivent à un 50-50. A contrario au Monde, 71% des hommes et 78% des femmes citent des chercheurs et 29% des hommes et 22% des femmes citent des chercheuses.

Si le sujet de la représentation des femmes dans les médias couve depuis plusieurs années, la prise de conscience est encore lente. «Avant de résoudre un problème, il faut se rendre compte de nos biais et de leur ampleur. A ma connaissance, aucun journal français n'a entrepris de comptages, pas seulement des chercheuses interrogées mais des femmes en général, comme a pu le faire le Temps en Suisse», expose Cécile Michaut. Mais les médias sont-ils les seuls à blâmer ? «Les journaux pourraient dire "on interroge peu de femmes scientifiques car elles existent peu". On regarde donc aussi dans le cadre de cette journée Sciences et Médias côté sciences, ce qu'ils font et ne font pas, si les recrutements sont un peu plus paritaires, la manière dont les femmes sont mises en avant.» Elle évoque l'exemple de la Société savante de physique, qui a décidé d'instaurer la parité dans ses prix. «Mais il faut aussi balayer devant notre porte à nous de journalistes. Même s'il y a plein de femmes scientifiques accessibles, le réflexe est souvent d'appeler un homme.» Elle rappelle l'existence de l'annuaire en ligne Les Expertes, qui permet d'envoyer valser l'excuse «je n'ai pas trouvé».

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