Inceste : "La justice criminalise les victimes !"

"J'avais 13 ans, lui 26. Officier dans la Marine, la justice l'a condamné à un an avec sursis. Père d'une petite fille de 13 ans, il vit sa meilleure vie. #metooinceste" Tweet de Camille Gillet le 16 janvier 2021 ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
"J'avais 13 ans, lui 26. Officier dans la Marine, la justice l'a condamné à un an avec sursis. Père d'une petite fille de 13 ans, il vit sa meilleure vie. #metooinceste" Tweet de Camille Gillet le 16 janvier 2021 ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
"J'avais 13 ans, lui 26. Officier dans la Marine, la justice l'a condamné à un an avec sursis. Père d'une petite fille de 13 ans, il vit sa meilleure vie. #metooinceste" Tweet de Camille Gillet le 16 janvier 2021 ©Radio France - Cécile de Kervasdoué
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Un enfant sur dix serait victime d'inceste. Ces victimes obtiennent rarement gain de cause en justice puisque moins d'un millier d'agresseurs sont condamnés chaque année. Violée par son oncle à 13 ans, Camille Gillet raconte son long parcours judiciaire qui n'a abouti qu'à du sursis. Témoignage.

Sortir l’inceste du silence, montrer l’ampleur du phénomène en France où un enfant sur 10 serait victime de viol et d’agression sexuelle dans sa propre famille ; c'était là l'objectif du hashtag #metooinceste qui a embrasé les réseaux sociaux depuis la mi-janvier. Des dizaines de milliers d'internautes ont tenu à témoigner des violences sexuelles subies par leur pères, leurs grands-pères, leurs frères, leurs oncles, leurs cousins et beaucoup plus rarement leur mère. Tout se passe comme si le scandale provoqué par le livre de Camille Kouchner qui accuse son beau père Olivier Duhamel d'avoir violé sont frère jumeau alors adolescent, avait délié les langues. Comme si la France découvrait ou plutôt redécouvrait l'immense banalité de l'inceste. Car loin des puissants, des cercles intellectuels, des livres et des films, l'inceste est bien là, même dans les familles respectables. Camille Gillet, âgée aujourd'hui de 31 ans, est en la preuve vivante.

Si j'ai voulu témoigner, c'est pour dire combien l'inceste n'a rien à voir avec cette idée de famille libertaire ou soixante-huitarde. Ma famille à moi était la plus convenable, la plus stricte et ordonnée qu'on puisse trouver.      
Camille Gillet, victime d'inceste

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Une famille tellement convenable

Elle a le regard noir mais rieur. Des bonnes manières et une forme de douceur qui accompagne la finesse de son analyse lorsqu'elle parle de son enfance. Camille grandit dans la région bordelaise. Un père informaticien, une mère qui étudie l'histoire de l'art, une petite sœur née dix ans après elle. 

Ces chrétiens orthodoxes sont pratiquants sans excès mais cultivent le respect de l'adulte, des diplômes et du drapeau. Le grand-père maternel est un haut gradé dans la marine et son dernier fils qui a dix ans de moins que la mère de Camille est officier de Marine lui aussi.

Je l'adorais et je l'adulais. Il était tout ce que ma famille vantait. Drôle, original, joueur de violon, fan de moto et de cinéma. Il était pour moi le grand frère que je n'avais pas eu et tout le monde me poussait à l'accompagner au cinéma ou dans de grandes balades en moto. C'était l'archétype du super tonton !

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C'est pourtant lors d'une séance de cinéma, confortablement installés sur le canapé que l'oncle va abuser de sa nièce de 13 ans.

Mes parents nous laissaient de plus en plus seuls le soir tous les deux. Nous regardions Minority Report. Là, on est passé de sa main dans mon dos à sa main dans ma culotte. Je lui ai dit d'arrêter, que ça me gênait. Il a arrêté. J'ai cru que c'était bon.

Mais l'oncle encercle sa nièce de 13 ans. Sous couvert d'échanges sur les jeux vidéo ou le cinéma dont ils partagent la même passion, l'homme multiplie courriels sexuels et phrases salaces. Il s'arrange ensuite pour la rejoindre durant plusieurs semaines chez les grands-parents en Bretagne, loin des parents de Camille. Et c'est là que tout dérape.

Une stratégie de prédateur

Un premier baiser volé un soir dans le lit de Camille alors que sa petite soeur dort à côté, dans son lit à barreaux et puis tout s'enchaîne, tous les soirs, à l'étage, alors que les grands-parents sont en bas. 

Un soir, il est venu et il a recommencé dans mon lit. J'ai entendu ma grand-mère me dire de dormir, qu'il était tard. Cela l'a fait partir. Le lendemain, ma grand-mère s'est excusée d'avoir fait la montre alors que j'étais en vacances et que j'avais le droit de m'amuser un peu. J'étais horriblement mal, j'en avais les larmes aux yeux.

Un jour, il lui dit avec des mots très crus qu'il veut son sexe. Elle se souvient de regarder ses pieds et s'entend encore lui dire : "Mais tu es vieux et tu es mon oncle, cela ne te dérange-t-il pas ?" Non, répond le prédateur, la différence d'âge le surprend mais le lien de famille, pour lui, n'a rien de gênant.

Attouchements, baisers et, d'après Camille, viols avec les doigts et avec le sexe ont lieu durant l'été de ses 13 ans. 

Très vite, l'enfant se coupe du monde des adultes. A la rentrée, ses notes, pourtant toujours excellentes, dégringolent. Elle s'habille en noir, se scarifie toujours le même symbole : un signe de femme avec des cornes. 

Je me souviens avoir eu tellement honte. Honte de ce que je faisais avec cet oncle. J'étais persuadée que c'était de ma faute parce qu'après avoir dit non plusieurs fois, j'ai arrêté et je suis même devenue active dans nos rapports ; à tel point qu'un soir il m'a murmuré dans un râle "Tu es vraiment faite pour ça" !

A 31 ans aujourd'hui, Camille a encore des trous de mémoire sur cette période. Lorsque le mot dièse #metooinceste a pris de l'ampleur sur les réseaux sociaux, elle a ressorti sa boite de vieux papiers et elle a relu tous ses écrits de l'époque. Des poèmes, des lettres, des chansons qui disent sa souffrance et son envie de disparaitre, de mourir.

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Je ne me réveille pas un matin sans avoir envie de le tuer. Pourquoi a-t-il fait ça? Pourquoi j'ai laissé faire ? J'avais envie d'amour et de tendresse. Mais ça, c'était un viol ! Au moins psychologique. J'ai tellement peur ! Lettre datée d'octobre 2003 à la meilleure amie de Camille, elle même victime d'inceste.

Le soutien de ses parents

Lorsque Camille apprend que l'oncle va passer Noël dans sa famille, elle explose. Pas question de se laisser faire cette fois-ci. Elle imagine à l'avance de multiples stratégies d'évitement, mais rien n'y fait. Lors d'un après-midi dans une fête foraine, l'oncle l'emmène dans la grande roue et lui fait jurer de garder le secret.

Camille au milieu de son univers imaginaire de Star Wars, Harry Potter, Batman ou World of Warcraft
Camille au milieu de son univers imaginaire de Star Wars, Harry Potter, Batman ou World of Warcraft
© Radio France - Cécile de Kervasdoué

Après la distribution des cadeaux, elle reçoit les DVD du Seigneur des anneaux de Peter Jackson et toute sa famille la pousse à aller les regarder en compagnie de son oncle. Elle refuse violement avant de se soumettre. Dans le bureau, lumière éteinte, il passe la main sous son pull. 

Là, je me suis levée et je lui ai dit arrête ! Mes parents sont en bas, je vais aller les chercher !

Pourtant, il faudra encore des mois avant que Camille ne se confie à ses parents. Sur les conseils de son petit ami de l'époque, et pour protéger sa petite soeur de futurs abus de l'oncle, elle s'y décide enfin.

J'ai dit : l'oncle m'a touché ! Mon père est devenu blême. Il s'est levé. Il a fait les cent pas. Lui qui ne fumait plus, il a allumé une cigarette et s'est servi un grand verre de whisky. Je me souviens aussi qu'il a tapé violemment dans le mur de la cuisine. Je revois le regard de ma mère. Atterrée. elle était prise en tenaille entre l'amour de ce petit frère qu'elle avait élevé et son amour pour moi. Elle m'a prise dans ses bras et a dit : Ne t'inquiète pas, on va porter plainte.

Camille a conscience que ce soutien de ses parents est très rare dans les cas d'inceste. Très rare mais essentiel pour la suite.

Parole contre Parole : le calvaire judiciaire

Au commissariat fin 2004, Camille accompagnée de sa mère se soumet à des questions précises et très intimes : combien de doigts votre oncle a-t-il mis dans votre vagin, avez-vous pris du plaisir, etc. ? Elle répond alors que sa mère vacille sous la cruauté des détails. 

Dans l'intervalle, ses grands-parents organisent une réunion avec son oncle. L'homme nie les faits, fait valoir sa carrière militaire avant d'avouer qu'il n'y avait rien entre lui et sa nièce ou juste "quelques doigts". L'été suivant, sa grand-mère se suicide. Le grand-père demande à ses parents d'abandonner la plainte. Trop tard, l'enquête est lancée.

Un an plus tard, Camille rencontre la juge d'instruction qui lui impose à nouveau une confrontation avec son oncle. L'officier de marine parle d'une relation amoureuse avec des attouchements ; elle assure qu'il y a eu pénétration et pas qu'avec les doigts. Elle raconte le soir où il est venu dans son lit pour la pénétrer avec son sexe, sans parvenir, c'est vrai, à la déflorer.

Pourquoi n'avez vous pas dit non ? m'a dit la juge d'instruction. Vous auriez pu dire non ! J'ai bredouillé avant de me braquer et de lancer des insanités parce que j'avais encore l'impression que la parole de cet homme valait plus que la mienne. 

Le non lieu est finalement évité mais la plainte pour viol requalifiée en délit au tribunal correctionnel. Quatre ans plus tard, lors du jugement, l'oncle écope d'une peine de un an avec sursis et de 7 500 euros d'amende. 

Moi, j'étais effondrée. C'est la première fois durant toute la procédure que j'ai pleuré abondamment. J'avais fait de multiples tentatives de suicides, j'avais eu un bac sans mention, je ne pouvais plus faire d'études supérieures, j'étais au chômage, boulimique et alcoolique et lui, il vivait sa meilleure vie, marié et jeune papa. Comme si rien ne s'était passé ! Comment voulez vous vous reconstruire après ça ? J'étais finie... finie !

Camille Gillet devant une sculpture de Raymond Moralès
Camille Gillet devant une sculpture de Raymond Moralès
© Radio France - Cécile de Kervasdoué

Et maintenant ?

La reconstruction sera lente. Elle passe par la rencontre de nouveaux amis via l'univers des jeux de rôle et du jeu vidéo. La rencontre avec son compagnon, père de son fils. La rencontre surtout avec l'écriture (à lire le blog de Camille Gillet ici ou ses fascinants travaux d'écriture de fiction ici).

Aujourd'hui, Camille est une jeune femme engagée pour la liberté. Elle croit beaucoup à la parole qui se libère sur les réseaux sociaux mais se méfie de l'émotion et de l'indignation facile. Elle fustige l'hypocrisie de ceux qui semblent découvrir l'immense banalité de l'inceste alors que depuis le témoignage d'Eva Thomas en 1986, nul ne peut l'ignorer. Pourtant, elle veut espérer.

Je crois que l'époque a un peu changé. Il n'y aura pas de moyens supplémentaires alloués pour la justice ou la lutte contre l'inceste, je ne crois pas, mais la société change. Les jeunes, surtout, sont ultra politisés, même s'ils boudent les politiques. J'ai l'impression que nous traversons une période similaire à celle du Siècle des lumières, avec un foisonnement d'idées neuves et c'est ce contexte qui permettra la fin de l'impunité pour les agresseurs.

Et elle conclut :

En attendant, tout ce qui peut être fait pour le bien des victimes, que ce soit la libération de la parole ou la prise en charge de leur traumatisme, ne peut que faire du bien !

Grand Reportage
55 min

L'équipe