Les voies romaines, réseau routier d'un empire

Plus Rome gagnait en influence, plus son système routier s’étendait, rattachant les nouveaux territoires et leurs habitants à la civilisation romaine.

De Jesús Rodríguez Morales
Publication 28 janv. 2021, 16:39 CET

La voie Appienne, dont la construction débuta en 312 av. J.-C., est sans doute l’une des voies romaines les plus connues. Elle reliait à l’origine Rome à Capoue, puis fut prolongée au sud jusqu’à la ville portuaire de Brundisium (Brindisi) sur la côte adriatique.

PHOTOGRAPHIE DE Riccardo Auci

La renommée de la Rome antique reposait sur plusieurs éléments, en général grandioses et tape-à-l’œil. Si ses gladiateurs, ses triomphes et ses empereurs nous viennent souvent à l’esprit, sa contribution historique la plus durable est plus modeste : ce sont ses routes (qui menaient toutes à Rome). Rome possédait un vaste réseau de voies reliées les unes aux autres, qui s’étendait sur plus de 320 000 km à son paroxysme.

L’Europe et certaines régions d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, de l’Écosse à la Mésopotamie, en passant par la Roumanie et le Sahara, abritent des vestiges de ces voies romaines. Les premières furent construites pour relier la ville du bord du Tibre à d’autres cités de la péninsule italienne. Plus Rome gagnait en influence, plus son système routier s’étendait, rattachant nouveaux territoires et leurs habitants à la civilisation romaine et, à terme, à l’Empire romain. Une trentaine de voies partaient de toute l’Italie pour converger à Rome. Beaucoup portaient le nom de leurs bâtisseurs, à l’image de la voie Appienne nommée en l’honneur d’Appius Claudius. D’autres affichaient le nom de leur destination, comme la voie Ardeatina, qui menait jusqu’à Ardea, une ville située à environ 40 km de Rome.

Une voie romaine pavée traverse le paysage près de l’actuelle ville d’Alep, en Syrie. Elle fut construite par Rome afin de relier Alep à la ville d’Antioche (actuelle Antahya en Turquie).

PHOTOGRAPHIE DE James L. Stanfield, Ngs

Les routes ont toujours fait partie de l’« ADN » de Rome. En 451 av. J.-C., la rédaction de la Lex XII Tabularum (loi des Douze Tables), premier ensemble de politiques écrites, débuta. Cette loi, gravée sur douze tables de bronze, énonçait les procédures à suivre en matière de procès, de propriété foncière, de crimes et de châtiments, et de droits civiques. Elle incluait aussi des règles relatives aux voies, comme l’instauration d’une largeur standard de huit et seize pieds romains respectivement pour les voies droites et celles sinueuses (soit environ 2,30 mètres et 4,70 mètres de large).

 

LA VOIE APPIENNE

La Via Appia (ou voie Appienne) est sans doute la plus connue de toutes. Construite au 4e siècle av. J.-C. sous la direction du censeur Appius Claudius, elle est pavée de grandes dalles de basalte. À l’origine, elle reliait Rome à Capoue, située à environ 210 km de là dans la région italienne de la Campanie. En 244 av. J.-C., la voie avait déjà été prolongée de plus de 320 km vers le sud pour atteindre la ville portuaire de Brundisium (actuelle Brindisi), située sur la côte adriatique, dans le sud de l’Italie. (À lire : Sur cette carte antique, tous les chemins menaient vraiment à Rome.)

Élu censeur en 312 av. J.-C., Appius Claudius, dont le nom figure sur cette inscription datant du 4e siècle av. J.-C., finança deux chantiers romains emblématiques : la Via Appia (voie Appienne) et l’Acqua Appia, premier aqueduc de Rome.

PHOTOGRAPHIE DE Dea, Album

Principale route entre Rome, les ports de la côte adriatique et la Méditerranée, la voie Appienne devint un élément essentiel à l’économie et à l’armée romaines. Sa largeur permettait à deux charrettes de se croiser ou à cinq soldats de marcher côte à côte. Malgré l’ampleur du projet, la voie fut, pendant des siècles, un excellent exemple du savoir-faire dont elle fit l’objet. Statius, poète romain du 1er siècle apr. J.-C. qualifia la voie Appienne de longarum regina viarum (reine des longues voies). L’historien byzantin du 6e siècle, Procope, loua même son ingéniosité des centaines d’années après sa construction :

« Il… s’agit d’une réalisation des plus remarquables. La pierre, très dure de nature, n’existe pas dans cette région du pays et a dû être acheminée de loin. Les pierres ont été polies et aplanies, avant d’être découpées en forme angulaire et placées les unes à côté des autres sans qu’il soit nécessaire de les assembler avec du bronze ou un autre matériau. Elles ont été si bien emboîtées et assemblées que l’on a l’impression qu’il s’agit d’une seule masse compacte… La voie a été construite il y a longtemps, et malgré le passage incessant des charrettes et des bêtes de somme, aucune pierre n’a bougé, ne s’est usée ou n’a perdu son lustre. »

D’anciens érudits de la République romaine laissèrent des écrits détaillés de la conception des voies, de l’attribution des contrats à leur construction. L’historien romain Tite-Live raconta ainsi comment Quintus Fulvius Flaccus et Lucius Postumius Albinus, des censeurs du 2e siècle av. J.-C., « furent les premiers à attribuer des contrats pour paver les voies de la ville avec de la pierre, mettre des cailloux sur les bas-côtés, construire des trottoirs et des ponts à de multiples endroits ».

Section transversale d’une voie romaine reliant Osma à Garray dans le nord-ouest de l’Espagne.

PHOTOGRAPHIE DE JOSÉ LUIS FERNÁNDEZ MONTORO. Groupe d'archéologie expérimentale ARECO S.L.

Plutarque, biographe grec du 1er siècle, nous offre de riches renseignements sur la construction de voies dans sa biographie de Caius Gracchus, l’un des politiciens les plus importants de la République romaine. Tribun de la plèbe au 2e siècle av. J.-C., Gracchus fit « de la construction de voies son principal centre d’intérêt, alliant utilité et beauté dans les voies qui traversaient de manière rectiligne les terres, sans virages ni détours, et qui reposaient sur des fondations en pierres découpées, renforcées par des couches de sable ou de graviers tassés. Les dépressions furent comblées. Des ponts furent érigés au-dessus des rivières et des ruisseaux ; leurs côtés mesuraient la même hauteur et étaient parallèles pour assurer la beauté et l’uniformité de l’ouvrage. En outre, il mesura toute la route et plaça une borne en pierre tous les milles romains (environ 1,5 km) pour informer les voyageurs. »

La construction de voies sous la République relevait des censeurs, nommés ainsi parce qu’ils assuraient le recensement des citoyens romains. Si des réparations urgentes s’avéraient nécessaires, un curateur pouvait être nommé pour superviser les travaux ; Jules César fut ainsi désigné curateur de la voie Appienne en 67 av. J.-C. Après sa victoire contre Marc-Antoine en 31 av. J.-C., l’empereur Auguste se chargea de la réparation des dégâts causés par un siècle de guerres civiles. En 20 av. J.-C., Auguste, devenu surintendant des voies romaines, nomma des magistrats (les curatores viarum) responsables de la supervision des chemins, de l’attribution de contrats et de l’encadrement des travaux de construction et d’entretien. Ces derniers étaient financés par les impôts, les péages, le mécénat privé ou impérial ; ce fut le cas de la Via Traiana, financée par l’empereur Trajan, qui devint la voie principale entre Bénévent et Brindisi au détriment de la voie Appienne. Les villes traversées par ces chaussées étaient tenues de contribuer à leur entretien. (À lire : Jérusalem : découverte controversée d'une rue construite par Ponce Pilate.)

 

Mercure était le dieu des marchands, des banquiers et de voyageurs. Figurine en bronze datant du 4e siècle av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.

PHOTOGRAPHIE DE Erich Lessing, Album

UNE CONSTRUCTION SOPHISTIQUÉE

Avant de construire une route, les ingénieurs étudiaient la topographie de la région et recueillaient des informations auprès des habitants. Ils traçaient ensuite l’itinéraire le plus logique en donnant la priorité à la rectitude et aux pentes modérées. La route était la plus droite possible sur terrain plat : ainsi, l’ancienne voie Appienne qui reliait Rome à Terracina, comporte une ligne droite continue de 90 km de long.

Lorsque le terrain était vallonné, les ingénieurs essayaient de niveler l’élévation en procédant à des découpes et à la construction de ponts et de viaducs. Dans les zones montagneuses, ils concevaient de grands virages pour s’adapter au terrain et ainsi garantir une inclinaison uniforme de la route. Et en haute montagne, ils avaient recours aux virages serrés et même aux tunnels. Lorsque cela était possible, les routes étaient construites sur les pentes orientées à l’est et au sud, plus exposées au soleil, pour que les chutes de neige n’entravent pas la circulation.

Un processus d’appel d’offres avait ensuite lieu pour sélectionner les entrepreneurs privés qui se chargeraient de la construction de la voie. Ces derniers employaient à cette fin des ouvriers, mais aussi des personnes réduites en esclavage et des criminels condamnés aux travaux forcés. L’armée et des ingénieurs militaires étaient parfois appelés pour concevoir la route ou diriger les travaux. Les légions se chargeaient aussi de la construction de voies dans le cadre d’opérations militaires et dans les zones conquises. Et lorsqu’elles étaient inactives, les commandants (ou légats) décidaient de préposer des soldats à cette tâche. C’est ainsi que la voie Flaminienne, qui reliait Rome à Ariminum (actuelle Rimini) en passant par les Apennins, fut construite par les hommes du consul Caius Flaminius en 220 av. J.-C.

Pose de pavés sur une voie, relief datant du 1er siècle apr. J.-C. Musée de la civilisation romaine, Rome.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Dans l’idéal, les matériaux dédiés à la construction des voies provenaient de carrières voisines. Si cela n’était pas possible, ils devaient être importés. La première étape de construction consistait à enlever les arbres, les pierres et le moindre obstacle sur le tracé de la route. Le sol était drainé et les eaux de pluie déviées au moyen de canaux et d’égouts. Les ouvriers creusaient ensuite une tranchée qu’ils remplissaient de grosses pierres approximativement positionnées pour favoriser le drainage. Des roches de taille moyenne étaient par la suite ajoutées au-dessus pour tasser la couche inférieure et combler les espaces. Pour rendre la surface du chemin plus lisse et agréable, une couche de sable ou de graviers était ensuite déversée. Celle-ci, qui surélevait la voie par rapport au terrain alentour, était tassée et durcie avec de l’eau, des dameurs manuels et un grand rouleau en pierre. Des trottoirs en pierre bordaient la voie et de grands fossés étaient creusés de chaque côté de ces derniers pour récolter l’eau de pluie, l’un des principaux ennemis d’une route. (À lire : Le long de la rue romaine la plus ancienne de Londres.)

Les caligae sont des sandales montantes en cuir dotées de clous en fer ou en cuivre sur les semelles. Ces chaussures renforcées pouvaient résister à près de 1 000 km de marche.

PHOTOGRAPHIE DE Dea, Album

Pour finir, des poteaux cylindriques en pierre étaient plantés dans le sol tous les miles romains (qui correspondent à mille pas, ou milia passum). Pouvant mesurer jusqu’à 2,50 mètres de haut, ces bornes kilométriques indiquaient les distances et rendaient hommage à la personne qui avait financé la construction de la voie.

Les techniques de construction employées par les Romains étaient très efficaces, si bien qu’elles furent à nouveau employées au 18e siècle. C’est pour cette raison qu’il est parfois difficile de savoir si une route ancienne est romaine. Mais de précieux indices peuvent aider les archéologues à prouver les origines d’un site : à l’époque romaine, les soldats, les paysans et les marchands portaient souvent des caligae aux pieds. Ces chaussures étaient dotées d’une semelle en cuir protégée par des clous, qui restaient souvent coincés dans la voie.

 

ANCÊTRES DES ROUTES MODERNES

En plus de faciliter le transport des soldats, des provisions et des marchandises, les voies romaines favorisèrent le développement de nouvelles communautés et de nouveaux services. La plupart d’entre elles étaient recouvertes d’une fine couche de graviers et étaient poussiéreuses lorsqu’un flot continu de soldats et de charrettes les empruntaient. Suétone, un historien romain du 2e siècle apr. J.-C., y fit allusion dans sa biographie de l’empereur Caligula :

« Il se mit en marche avec une si brusque précipitation, que, pour le suivre, les cohortes prétoriennes furent obligées, contre l'usage, de mettre leurs enseignes sur des bêtes de somme. Alors qu’il voyageait dans une litière portée par huit personnes, les troupes le suivaient avec tant de mollesse, qu’il ordonnait aux habitants des villes voisines de balayer les chemins, et de les arroser pour abattre la poussière. »

Un relief représentant l’arrivée de voyageurs dans une mansio. Ces auberges officielles bordaient les voies romaines. Musée de la civilisation romaine, Rome.

PHOTOGRAPHIE DE Dea, Album

Les voyageurs pouvaient se reposer dans des mansiones, des auberges officielles qui émergèrent le long des voies romaines. Elles étaient situées tous les 20 à 25 milles romains (29 à 37 km), l’équivalent d’une journée de voyage. Ces structures, groupées autour d’une cour centrale, abritaient des étables et des auges pour les chevaux, un lieu où se restaurer et des dortoirs. Certaines d’entre elles possédaient des bains publics où les voyageurs pouvaient se débarrasser de la poussière.

Avec l’expansion de la République, puis de l’Empire romain, le réseau routier se développa également. Sous Auguste, les voies construites pendant la République connurent un renouveau ; l’empereur redynamisa le système de construction et d’entretien des artères. Il avait conscience de leur importance vitale pour le déplacement des armées et le commerce, mais aussi de leur symbolique. Ce réseau était le fruit d’un incroyable savoir-faire qui unissait l’empire grandissant et permettait à ses sujets de profiter des avantages de la domination romaine. De nouveaux chemins furent construits dans des terres nouvellement acquises en Grande-Bretagne et en Syrie. La plupart des voies romaines ont servi de fondement aux principales autoroutes et voies secondaires de l’ancien monde romain. Elles témoignent de l’habilité des ingénieurs derrière leur conception et de leur construction.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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