Pendant huit ans, elle subit les violences de son conjoint à Rouen : « Je suis une rescapée »

Anna* a subi, pendant huit ans, les violences de son conjoint à Rouen. Elle a réussi à reconstruire sa vie, mais elle attend avec impatience le procès, mardi 23 février 2021.

Victime de violences conjugales pendant huit ans, Anna* a accepté de témoigner à l'aube du procès de son ex conjoint, le 23 février 2021, à Rouen (Seine-Maritime).
Victime de violences conjugales pendant huit ans, Anna* a accepté de témoigner à l’aube du procès de son ex conjoint, le 23 février 2021, à Rouen (Seine-Maritime). (©ML/76actu)
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Deux femmes ont déposé plainte pour violences conjugales à Rouen (Seine-Maritime) contre le même homme. Le procès, qui devait se tenir en mai 2020, a été repoussé à deux reprises, en raison du confinement, puis de l’absence du prévenu. L’audience se tiendra finalement mardi 23 février 2021, au tribunal judiciaire de Rouen.

L’une des victimes a accepté de témoigner avant le procès de son ex conjoint, sous couvert d’anonymat. Anna*, rescapée des coups de son ex, se livre sans détour sur les violences conjugales qu’elle a subies pendant huit ans.

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Une rencontre amoureuse

Anna* rencontre Xavier* lors d’une soirée étudiante à Rouen. « J’avais 18-19 ans, je venais d’entrer en école d’architecture. C’était une aventure en soirée, qui est devenue assez rapidement sérieuse », raconte Anna*, qui a aujourd’hui 32 ans.

Au début, Anna et Xavier, qui effectuait « des petits boulots », vivent chacun dans leur appartement. « Moi, j’étais en coloc et lui, avait son logement. Tout se passait bien, j’étais amoureuse, j’avais beaucoup d’amis, un emploi du temps chargé. Je jonglais entre les baby-sittings, les études d’architecture, les voyages, les soirées, les concerts… Il avait déjà eu quelques accès de colère ou de violence, mais j’avais mis ça sur le compte de l’alcool, qu’il ne tenait pas du tout. »

Au bout de quatre ans de relation, Xavier vient vivre dans la colocation d’Anna. « Ça ne se passe pas très bien avec ma coloc, qui était pourtant une amie. Il nous éloigne progressivement et me convainc que nous n’étions peut-être plus fait pour vivre ensemble. On se retrouve alors tous les deux à vivre dans ce grand appartement du centre-ville de Rouen. »

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« C’est allé si loin »

La relation entre Xavier et Anna commence à se détériorer, même si elle n’arrive pas à le voir à l’époque. « Je me suis éloignée de mes amis, il ne venait plus aux soirées avec moi, il critiquait mes proches, me demandait des comptes toutes les cinq minutes… C’était quelqu’un d’hyper solitaire qui faisait beaucoup de sport, du vélo, de la course, de la musculation. La nuit, il jouait aux jeux vidéo. On était vraiment très différent en tout point et pourtant, il devenait de plus en plus essentiel à ma vie. »

Une violence morale s’installe, qui s’accompagne insidieusement de coups. « Il me demandait de l’admirer, je l’aidais à trouver du boulot, je l’ai poussé à suivre une formation… Et lui, me dévalorisait complètement, m’insultait, me disait que je lui faisais péter les plombs. Il me contraignait dans des petites pièces, me donnait des coups de tête, il était puissant, et les insultes se transformaient en coups de pied, de poings. Parfois, il m’envoyait des objets tranchants… C’est allé si loin. »

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Les coups deviennent de plus en plus réguliers. « Je mettais trois jours à m’en remettre. Il se confondait en excuses et je devenais le plus beau trésor à ses yeux. Il était adorable, m’invitait au restaurant… »

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« Je connaissais toutes les crèmes pour cacher mes bleus »

« Je cachais mes bleus avec du maquillage. Je connaissais toutes les crèmes anticontusions, les huiles essentielles qui faisaient disparaître les traces de coups. Je disais à mes proches que j’étais tombée, que je marquais vite, que je faisais des allergies… Quand j’y repense maintenant, je me demande comment c’est possible d’en arriver là. »

Comment, moi, entourée de plein d'amis, d'une famille unie et bienveillante, en étude d'archi, j'ai pu en arriver là ?

Anna

Un jour, il va encore plus loin. « Il m’a étranglée, je suis tombée dans les pommes. Je suis partie de l’appartement, en plein hiver. J’étais en tee-shirt, j’ai erré dans les rues de Rouen pendant trois heures, comme un zombie. » 

En parallèle, Anna doit finir ses études d’architecture. « C’était la dernière ligne droite, mais j’étais à bout, sous antidépresseurs, sous somnifères. J’ai décidé d’arrêter, à un mois du but. »

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« Il m’a étranglé pendant deux minutes, les minutes les plus longues de ma vie »

Et Xavier tente, une dernière fois, le 2 janvier 2015, d’étrangler à nouveau Anna. « Je n’arrivais plus à respirer. Cela a duré deux minutes, les minutes les plus longues de ma vie. Lorsque j’ai compris que j’étais en train de partir, je me suis débattue de toutes mes forces et il a lâché. Il m’a alors dit que j’étais folle et qu’il avait trouvé quelqu’un d’autre. »

La jeune femme appelle alors sa mère, en pleurs, et lui raconte. « Elle était horrifiée, elle s’en est tellement voulu de n’avoir rien vu. Elle m’a directement emmenée au commissariat de Rouen, puis à l’hôpital. »

Là-bas, le médecin légiste passe son corps en revue et parle « d’ultra-violence ». « Cela m’a fait un électrochoc. Je n’ai plus parlé pendant plusieurs jours. J’ai compris que j’étais une rescapée. »

« Mon cerveau avait fait ‘reset’, je ne me souvenais de rien »

De retour au commissariat, Anna est incapable de déposer plainte. « Mon cerveau avait fait ‘reset’, je ne me souvenais de rien, j’étais muette. J’ai déposé une main-courante et ils m’ont dit que j’avais trois ans pour porter plainte avant la prescription des faits. Ils m’ont ensuite régulièrement appelé pour savoir si je me sentais encore en danger et pour me pousser à déposer plainte. »

Anna se réfugie alors chez ses parents, dans un état léthargique. Puis, grâce à une psychothérapie, ses amis, sa famille, Anna reprend doucement goût à la vie. À 28 ans, la jeune femme rencontre Alexandre*, « l’homme de [sa] vie » avec qui elle a une petite fille, qui a aujourd’hui deux ans.

Une deuxième victime

Anna avait décidé de tourner complètement le dos à cette vie d’avant, mais son passé la rattrape, malgré elle. Une policière l’appelle en mars 2019 et ne lui laisse plus vraiment le choix. « Elle me dit qu’il y a une deuxième victime, que le délai de prescription a été allongé de trois ans et me pousse à déposer plainte. Je prends mon courage à deux mains et je le fais. »

Par la suite, Anna est contactée par la deuxième victime, Julie*. « C’est terrible, mais le fait de ne pas être la seule à avoir subi ces violences m’a presque rassurée. Avec Julie, on s’est épaulé. »

Une troisième victime

Entre-temps, les policiers essaient de mettre la main sur Xavier, mais il est introuvable. Puis, en octobre 2019, la police reçoit un appel d’une femme victime de violences conjugales à Rouen. « Ils se rendent sur place et ils tombent sur Xavier !, s’étonne encore Anna. La femme avec qui il est, ne veut malheureusement pas porter plainte. Xavier est entendu, puis relâché. » Anna est sidérée.

Ce dernier événement mobilise encore plus Julie et Anna. Les deux victimes se battent pour construire un dossier « béton » avec leurs deux avocates. « Nous avons rappelé des médecins, des proches, des voisins, qui avaient pu constater notre mal-être pendant toutes ces années de violences. »

Un vide entre l’écoute et le jugement

Après le second report du procès, Anna contacte l’association féministe Putain de guerrières pour la soutenir dans ses démarches. « Je veux montrer que les violences conjugales peuvent tomber sur le coin du nez de tout le monde, dans tous les milieux, même aisés. Même si c’est dur et que j’ai encore honte de dire la vérité, je veux parler pour être entendue par la justice, et pour toutes les autres victimes. »

Anna reconnaît qu’il y a eu une vraie progression en terme d’écoute des femmes battues, mais selon elle, le temps est trop long entre les faits et le jugement « Avec ce qu’il s’est passé, Xavier ne devrait pas être dans la nature, avec une troisième victime, ce n’est pas normal. Il n’a même pas fait de garde à vue pour les faits qui lui sont reprochés… Il y a un vide entre l’écoute et le jugement. Il faut faire quelque chose. »

*Prénoms d’emprunt

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