Le réalisateur gardois Joël Soler libéré de Turquie : "Je me suis vu mourir"

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  • L’Alésien Joël Soler. L’Alésien Joël Soler.
    L’Alésien Joël Soler. DR
Publié le , mis à jour
Adrien BOUDET

Le réalisateur alésien, spécialisé dans les enquêtes sur les dictateurs, a été emprisonné 50 jours en Turquie, puis interdit de quitter le territoire. Il a été libéré jeudi, après procès.

Vous venez d’informer sur Facebook que vous avez été détenu en Turquie. Que s’est-il passé ?

Je m’y étais rendu le 26 septembre pour réaliser des repérages sur ma future série documentaire consacrée à l’histoire des Rois Mages. Je pensais que ce serait un sujet tranquille, après quinze ans de films à risques… Lors de mon périple, j’ai acheté une pierre sculptée, sur un marché, pour 50 €. Arrivé à l’aéroport le jour de mon départ, le 1er octobre, après un contrôle de douane, la police m’a interpellé.

Pour cette pierre ?

C’était un prétexte. D’abord, on m’intimide deux heures à l’aéroport, à propos de cette pierre. La police vérifie si ce n’est pas un "bien culturel protégé". Puis on me dit que tout va bien, que je peux partir avec, même si je propose de la leur laisser… Ils insistent, ils disent que tout est en règle. J’achète un nouveau billet avec transit pour Londres, car avec cet interrogatoire, j’ai raté mon vol. J’embarque… Et, alors que l’avion s’apprête à décoller, les mêmes policiers qui m’avaient interrogé m’interpellent à nouveau et m’emmènent dans un autre poste. Mais là, on me questionne sur mes films. On me sort tous les reportages que j’ai réalisés, en me montrant des photos des protagonistes : Saddam, Ben Laden, Bongo ! On saisit mon téléphone… Ils me soupçonnaient à coup sûr de faire un film sur Erdogan et la Turquie, qui est certainement la dictature la plus brutale aux portes de l’Europe.

Puis vous êtes incarcéré…

J’ai été présenté le lendemain au juge. J’ai été mis sous le statut de trafiquant de drogue et non de "tentative d’exportation illégale d’antiquité". ça a permis une incarcération immédiate, à la prison haute sécurité de Maltepe. J’ai d’abord été mis dans un dortoir exigu, avec 60 personnes et une seule douche débordant d’excréments. Puis dans un bloc avec sept cellules et une pièce commune. Dans chaque cellule, on était six.

Vous avez été torturé ?

Pas directement, mais les gardes venaient régulièrement tabasser les gens, en les exfiltrant des cellules. Il y avait des bagarres et on a contracté des maladies de peau et le Covid… C’était l’enfer. Déjà, le Covid, ce n’est pas drôle, mais dans ces conditions, je me suis vu mourir.

En prison, avez-vous eu des contacts avec le consulat ou l’ambassade de France ?

Non, pas du tout. J’aurais aimé. On s’est expliqué depuis. Un Anglais était emprisonné avec moi, son consulat est intervenu. Moi, j’ai dû me trouver tout seul et très vite un avocat. Je sais que les relations entre la France et la Turquie étaient très froides. Mais quand même… Je vais faire un courrier au ministère des Affaires étrangères. La France va-t-elle rester silencieuse face à ces violations des droits de l’homme ? On est au niveau des pays du tiers-monde concernant l’assistance à nos compatriotes.

Le 19 novembre, vous êtes libéré sous caution, en attendant votre procès. Et après ?

J’ai loué un appartement à Istanbul. J’ai comparu le 28 janvier. Mon avocat a réussi à démontrer que la pierre n’était pas byzantine mais arménienne et qu’elle ne faisait donc pas partie des biens à protéger ! Incroyable, quand on sait ce que fut le génocide arménien en Turquie…

Dès votre retour, vous vous êtes rendu à Alès…

Oui, pour voir mes parents, qui ont beaucoup souffert.

Allez-vous poursuivre votre travail sur les Rois mages ?

Oui, je suis encore plus motivé après ce que j’ai vu en Turquie… Il y a là un génocide culturel contre l’héritage chrétien dont on ne mesure pas les conséquences.

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