Écoutez-les se souvenir du premier métro, inauguré en 1900

Le quai du métro parisien, dans ses premiers temps d'exploitation
Le quai du métro parisien, dans ses premiers temps d'exploitation
Ces Parisiens se souviennent de l'inauguration du métro en 1900
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Écoutez-les se souvenir du premier métro, inauguré en 1900

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Le 19 juillet 1900, il fait très chaud à Paris. La toute première ligne du métro parisien est inaugurée à l’occasion de l’Exposition universelle. Un demi-siècle plus tard, en 1956, monsieur Loison et madame Barral se souviennent avec une précision étonnante de ce premier trajet.

"Alors ça m’a fait une grande impression de voir arriver ce premier train souterrain." Il est encore enfant, elle est déjà adolescente quand le 19 juillet 1900, le premier métro est inauguré à Paris, à l'occasion de l'Exposition universelle. Une seule ligne, Porte Maillot-Vincennes, est active. La station "Argentine" s'appelle encore "Obligado". 56 ans plus tard, pour la radio française, ils se souviennent de tout : des odeurs, des couleurs, du prix du billet, du trajet exact... tant l'impression de ce premier voyage fut forte - dans une joie mêlée de crainte.  Car il fallait être courageux pour oser s'aventurer dans ces souterrains. 

Les Nuits de France Culture
30 min

Des étincelles de joie, le nez collé à la vitre

Monsieur Loison, 1956 : "J’avais environ 6 ans et demi à cette époque. J’étais parti avec ma mère qui avait des courses à faire du côté de l’Hôtel de Ville. Et c’est avec une grande joie que je suis parti vers le métro, à la station Obligado. Je dois vous dire qu’auparavant, j’avais déjà assisté aux travaux de percement du tunnel du métropolitain. Avec mes petits camarades, après l’école, je descendais dans le souterrain et nous allions jouer à cache-cache. Très souvent, nous nous faisions sortir par les ouvriers, quelques fois à coups de pied au derrière. Enfin est arrivé le jour de l’ouverture du métropolitain. Nous sommes arrivés à l’entrée du métro, décorée de drapeaux tricolores. Nous avons pris nos billets. Comme c’était avant 9h du matin, nous avions le droit à des allers-retours à 20 centimes. Ensuite, nous sommes descendus sur le quai. J’ai eu un peu le temps de renifler cette odeur spéciale. Ça sentait le souterrain tout frais mélangé avec une autre odeur de produit. Ça sentait assez fort, c’était assez désagréable. J’ai remarqué que les jolies dames qui attendaient sur les quais portaient parfois à leurs narines un mouchoir qui était certainement parfumé.

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Le métro est arrivé, et d’abord j’ai été très content quand j’ai vu arriver le train. C’était très joli. Les voitures étaient toutes fraîches peintes. Et l’intérieur était illuminé copieusement. Il y avait quatre voitures. Je crois que la couleur extérieure était marron. Une fois qu’il s'est arrêté, nous sommes montés dans la première voiture, la voiture motrice. Et aussitôt que le chef du train a donné le signal du départ par un petit coup de trompette, j’ai bondi de ma place, je me suis collé le nez sur la vitre de la cabine du conducteur et là j’ai fait tout le voyage le nez collé à la vitre. J’ai regardé le conducteur manœuvrer. J’ai entendu d’abord de très forts déclics, et au même moment, j’ai vu jaillir des étincelles et des grosses lueurs bleues. Alors je vous garantis qu’à ce moment-là, je n’étais pas très rassuré. D’ailleurs, avant l’ouverture, j’avais entendu dire par des gens du quartier qu’ils n’aimeraient pas aller dans ce métro parce que ça pourrait s’écrouler. Et au moment où j’ai vu les grosses lueurs bleues et les étincelles, moi aussi j’ai eu ma petite trouille. Je n’étais pas fier mais ça m’intéressait tellement que je ne décollais pas le nez de la vitre. J’ai vu des guirlandes d’ampoules de chaque côté du tunnel. J’ai admiré la petite ligne droite qui montait vers l'Étoile, jusqu’à la station Hôtel de Ville. Et nous sommes revenus par le même chemin. Toujours le nez collé à la vitre. Et en arrivant, j’étais tellement content que lorsque j’ai rencontré mes petits camarades le soir, eh bien je leur ai expliqué tout ce que j’avais vu. Et je leur ai dit : “Vous savez, il faut y aller voir parce que c’est bigrement chouette !”

Des rumeurs terrifiantes, une ambiance sinistre de cave

Madame Barral 1956 : "Il courait dans Paris des bruits terrifiants. Que les voûtes allaient dégringoler, qu’il y aurait des accidents affreux. Très peu de Parisiens se sont risqués ce jour-là, justement parce qu’ils avaient un peu peur. C’était le jour de mon anniversaire, c’est pour ça que je m’en rappelle si bien. Nous étions toute une bande de jeunes qui avions déjeuner chez moi. Nous avons été jusqu’à Hôtel de Ville. Nos parents nous avaient défendu expressément de le prendre. Mais comme nous avions avec nous les cousins qui arrivaient d’Amérique, ils nous avaient soufflé le vent de l’indépendance américaine. Il faisait un temps splendide ce jour-là. En descendant dans ces voûtes glaciales, toutes sombres, nous n’étions pas très fiers. Le quai était noir, il y avait fort peu de lumière. Le wagon est arrivé, il n’y avait personne. Nous avions pris les premières naturellement, je crois que ça coûtait 15 centimes.

Et nous étions les seuls. Il y avait trois wagons : deux wagons de seconde, et un wagon de première. Mais c’était les mêmes, rouge, et les autres verts. Et nous nous sommes mis dans ces wagons. Ce n’était plus gai là, c’était plutôt sinistre. Nous avons été jusqu’à Vincennes. En voyant le ciel bleu, en sortant dans le bois de Vincennes si beau, nous avons poussé un soupir de soulagement en disant : “Mon Dieu, le soleil c’est tout de même plus beau que la cave.” Ce dont je me rappelle, c’est qu’il y avait une odeur épouvantable. Une odeur d'antiseptique et de goudron, une odeur affreuse. Et quand nous sommes arrivés, nous avons dit bonjour à notre famille, naturellement, et ils se sont tous écriés :

- “Mon Dieu, d’où venez-vous ? Comme vous sentez mauvais !”

Alors nous avons tous crié : “Du métro !”

- “On vous avait pourtant défendu d’y aller.” 

- “Bah, il ne nous est rien arrivé !”

- “Alors nous le prendrons demain !”
 

À réécouter : "J'ai fait le premier voyage du métropolitain le 19 juillet 1900"
Les Nuits de France Culture
40 min