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Excision : la pandémie de Covid fait reculer la protection des filles face aux mutilations génitales féminines

Claire Sejournet
Publié le 05/02/2021 à 11:14 Modifié le 06/02/2021 à 12:15
Excision : la pandémie de Covid fait reculer la protection des filles face aux mutilations génitales féminines

Alors que la pandémie de Covid-19 n’épargne pas le continent africain, l’Unicef tire la sonnette d’alarme. En privant les petites et jeunes filles d’école, en interrompant brusquement les programmes de sensibilisation, c’est toute la lutte contre l’excision qui est menacée. Les conséquences sont graves : sur la prochaine décennie, deux millions de filles qui auraient pu en réchapper risquent d’être victimes de cette pratique injustifiée et injustifiable.

La lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF) fait partie des indicateurs clés de réussite de l’Objectif de Développement Durable n°5 de l’Organisation des Nations Unies, « Réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». Un objectif ambitieux, puisqu’il vise l’élimination de toute forme d’excision d’ici à 2030, alors que quatre millions de filles sont encore exposées à cette pratique chaque année.

La pandémie de Covid-19, qui sévit depuis un an maintenant, le rend encore plus difficile à atteindre, alertent Henrietta Fore, Directrice générale de l’Unicef, et le Dr Natalia Kanem, Directrice exécutive du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), dans une déclaration commune publiée ce samedi 6 février à l’occasion de la Journée internationale de la tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines : « Deux millions de cas supplémentaires de mutilations génitales féminines pourraient se produire au cours de la prochaine décennie parce que la COVID-19 oblige les écoles à fermer et perturbe les programmes qui contribuent à protéger les filles contre ces pratiques néfastes », préviennent-elles.

Unir les forces, financer les efforts et agir rapidement : les trois piliers de la lutte contre les mutilations génitales féminines

Pour les deux directrices, ce n’est pas le moment de se désoler de ce que la pandémie empêche de faire ou de se lamenter sur la fin brutale des programmes de sensibilisation à cause des confinements locaux et des fermetures d’école. Tout au contraire : « loin de freiner nos ambitions, l’épidémie a renforcé notre détermination à protéger les quatre millions de femmes et de filles susceptibles de subir des mutilations génitales chaque année ». Pour cela, elles appellent tous les acteurs impliqués à unir leurs forces, les pays développés à maintenir leurs efforts de financement et à agir sur le terrain pour changer l’environnement dans lequel grandissent les fillettes et filles susceptibles d’être victimes de MGF.

La lutte contre les MGF implique de très nombreuses parties prenantes, soulignent Henrietta Fore et le Dr Natalia Kanem, qui citent « les décideurs mondiaux, régionaux, nationaux et locaux ; la société civile, depuis les petites organisations locales et les groupes de défense des droits de la femme jusqu’aux organisations non gouvernementales internationales ; les agents du changement, comprenant aussi bien les enseignants et les agents de santé que les chefs religieux et les anciens des communautés locales ; ainsi que les autorités judiciaires et des responsables de l’application des lois ».

Si les femmes qui ont été victime d’excision osent de plus en plus prendre la parole et témoigner pour faire bouger les choses au sein de leur communauté, les deux représentantes de l’ONU insistent sur le fait que « les garçons et les hommes ont eux aussi un rôle crucial à jouer » pour faire évoluer les mentalités et refuser de perpétuer cette tradition qui ne repose sur aucun fondement médical. Au contraire, l’excision crée d’importants problèmes de santé, non seulement lors de l’acte (douleurs intenses, saignements et possible hémorragie, infections et transmission de maladies infectieuses…) mais aussi à long terme. Les femmes excisées souffrent notamment de problèmes urinaires et menstruels, de difficultés dans leur vie sexuelle, de complications obstétricales et d’un traumatisme psychologique durable.

Financer la lutte contre l’excision, c’est trouver 100 dollars américains par petite fille à sauver

Depuis 2008, l’ONU consacre un programme spécifique à la lutte contre les MGF. 17 pays sont visés : Burkina Faso, Djibouti, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Mali, Mauritanie, Nigéria, Ouganda, Sénégal, Soudan, Somalie et Yémen. Les résultats commencent à être visibles, mais l’effort doit se poursuivre assurent Henrietta Fore et le Dr Natalia Kanem : « Même dans les pays où les mutilations génitales féminines sont déjà en recul, les progrès doivent être décuplés pour atteindre l’objectif mondial d’élimination de cette pratique d’ici à 2030 ».

La somme à réunir sur la prochaine décennie pour éradiquer l’excision paraît astronomique puisqu’elles l’estiment de « quelque 2,4 milliards de dollars américains ». Cependant, cela représente « moins de 100 dollars par fille » : « un petit prix à payer pour préserver l’intégrité physique d’une fille, sa santé et son droit à dire ‘non’ à ces violations ».

La Directrice générale de l’Unicef et la Directrice exécutive de l’UNFPA appellent donc toutes les parties prenantes à « agir rapidement, de manière décisive et sur plusieurs fronts simultanément. Nous devons nous assurer que les filles ont accès à l’éducation, aux soins de santé, y compris aux services de santé sexuelle et reproductive, et à des moyens de subsistance. Nous devons aussi nous assurer qu’elles sont protégées par les lois, les politiques et de nouvelles normes sociales ».

Confiantes dans les nouvelles générations, elles souhaitent aussi que l’on « encourage les adolescents et adolescentes à développer des compétences de leadership et [qu’on les incite à] développer leurs capacités à s’exprimer et à dire « non » à toutes les formes de violence, y compris aux agressions violentes commises contre leurs corps ».

Adopté par l’Assemblée des Nations Unies en 2015, les Objectifs de développement durable sont un appel à l’action pour que les pays riches relèvent et aident les plus pauvres à relever les défis qui nous attendent pour un monde plus uni, plus égalitaire et durable. 17 grands objectifs ont été fixés, qui se déclinent en plusieurs sous-objectifs. L’égalité entre les sexes est un des 17 grands objectifs de l’agenda 2030. « Si l’égalité des sexes était une réalité, les mutilations génitales féminines n’existeraient pas », concluent Henrietta Fore et le Dr Natalia Kanem, qui ajoutent « Nous savons ce qui fonctionne. Nous ne tolérons aucune excuse. Nous en avons assez de ces violences perpétrées à l’égard des femmes et des filles. Il est temps de nous unir autour des stratégies éprouvées, de les financer en conséquence et d’agir ».