Ronde de nuit, parade malhabile ou carnaval ? Que font ces hommes, joyeux drilles ou soldats de fortune, embarrassés de trop lourdes arquebuses et ne sachant marquer le pas ? On aime ce tableau pour son humanité, profondément hollandaise : les hommes partent en tous sens, pris dans leurs conversations. Même les deux officiers au centre ne semblent pas se préoccuper de suivre la cadence que le malheureux tambour peine à donner… Qui, avant Rembrandt (1606–1669), aurait consacré une frise de trois mètres sur cinq à un sujet à ce point léger, tiré de sa ville et de son époque ? Il les immortalise par un usage virtuose du clair-obscur, transcendant le prosaïque de la scène par une composition magistrale et des détails sentis, comme cette petite fille immaculée donnant un éclat irréel à la troupe. On aime enfin l’irrévérence de la peinture, à laquelle seront redevables tous les artistes engagés, jusqu’aux caricaturistes d’aujourd’hui.
Le titre usuel est une invention du XIXe siècle, due à l’assombrissement de la toile en raison de ses conditions de conservation déplorables. C’est un portrait de groupe de la Compagnie des Arquebusiers qui avait rassemblé 1600 florins – une manne pour l’époque – pour passer commande à Rembrandt en 1640. Si l’on reconnaît bien à l’avant le capitaine Frans Banning Cocq et son lieutenant Willem Van Ruytenburch, et autour d’eux au moins seize gardes dont les noms sont inscrits sur l’écusson en hauteur, ainsi que l’emblème de la troupe (la patte de poulet que porte la petite fille), Rembrandt laisse le champ libre à son audace et à son humour, glissant même son autoportrait au fond. Percevant la toile comme une mauvaise blague, la Compagnie renonce à la détruire mais ternit la réputation du peintre qui ne recevra plus de grande commande durant quinze ans ! Lors du transfert de l’œuvre à l’hôtel de ville en 1715, des personnels mal avisés rognent trois personnages de la composition, sur le haut et la gauche, pour qu’elle passe les portes… Plus tard, un premier lascar attaque l’œuvre au couteau en 1975 et un autre à l’acide sulfurique en 1990.
Ce monument est le clou des collections du Rijksmuseum d’Amsterdam, l’une des trois institutions qui constituent le Museumplein au centre de la capitale batave, avec le musée Van Gogh et le Stedelijk Museum – on enchaîne généralement les trois visites. À l’occasion de l’année Rembrandt en 2019, la toile a bénéficié d’une restauration exceptionnelle et publique, et est désormais protégée par une vitre.
La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem Van Ruytenburch dit La Ronde de nuit
Rembrandt
1642
Huile sur toile
379,5 x 453,5 cm
Coll. Rijksmuseum, Amsterdam
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