Birmanie : le coup d’Etat convient à la Chine avide d’hydrocarbures

Birmanie : le coup d’Etat convient à la Chine avide d’hydrocarbures

 

Un coup d’Etat sans effusion de sang

 

Depuis quelques jours des Birmans manifestent contre le coup d’Etat militaire.

Au début quelques poignées, ils sont désormais des centaines de milliers.

Ils bravent la peur des représailles, dans un pays habitué aux répressions sanglantes.

 

Le 1er février, l’armée, connue sous le nom de Tatmadaw, a renversé le gouvernement civil en place depuis 2015 et arrêté la Première ministre de facto, Aung San Suu Kyi.

L’armée a agi le jour où les membres du Parlement élus le 8 novembre devaient prendre leur fonction dans la capitale, Naypyidaw.

 

La raison officielle ?

Aung San Suu Kyi est inculpée pour avoir enfreint une obscure règle commerciale.

Elle est assignée à résidence à Naypyidaw, et en bonne santé, d’après son parti.

 

Mais en réalité, le parti de Aung San Suu Kyi, le LND, a massivement remporté les législatives de novembre contre le PSDU, formation politique de l’armée.

Une humiliation forte pour l’armée.

 

La Birmanie : Illustration

 

L’armée humiliée par les élections

 

Cela faisait des mois qu’elle alléguait des fraudes massives, alors que la Commission électorale et les observateurs étrangers n’y avaient rien trouvé à redire.

Les militaires ont renversé le gouvernement – une fois de plus en Birmanie – car Aung San Suu Kyi avait pour projet de réformer la Constitution, qui leur est très favorable.

 

Pour eux, hors de question de perdre leur pouvoir. L’armée a dirigé la Birmanie entre 1962 et 2011. Puis elle organisa une transition démocratique sous son contrôle.

Aung San Suu Kyi arriva au pouvoir en 2016, après sa victoire électorale triomphale en novembre 2015.

 

Si elle est désormais honnie à l’étranger en raison de sa passivité lors de la répression féroce de l’armée birmane contre les Rohingyas musulmans, elle est adulée dans son pays.

D’où les immenses manifestations depuis le 5 février.

 

Désormais, c’est le chef de l’armée, Min Aung Hlaing, qui concentre l’essentiel des pouvoirs.

Les militaires ont instauré l’état d’urgence pour un an et promis des élections à l’issue de cette période.

 

 

La Birmanie est une mosaïque ethnique sous tension

 

Le régime actuellement en place est favorable à l’ethnie majoritaire, celle des Bamar, majoritairement bouddhistes.

Aung San Suu Kyi est une nationaliste bamar et bouddhiste, et voit l’identité de la Birmanie principalement à travers ce prisme.

 

Or, 135 groupes ethniques sont officiellement recensés par le gouvernement.

Les minorités ethniques représentent environ un tiers des 55 millions d’habitants.

Ils totalisent une centaine de langues et de dialectes différents.

 

Il y a des tensions dans plusieurs endroits du pays.

Il s’agit de centaines d’affrontements ethniques dans la majorité des régions du pays.

Mais la pire situation est dans l’Etat d’Arakan.

 

 

L’Etat d’Arakan, une poudrière

 

La situation est surtout très tendue dans le sud-ouest : l’Etat de Rakhine, anciennement appelé État d’Arakan, connaît des tensions meurtrières depuis plusieurs années.

L’armée a décidé du changement de nom afin d’affaiblir le pouvoir des rebelles dans cette province.

 

A noter : cet Etat longe le Golfe du Bengale et est frontalier avec le Bangladesh.

Dans l’Arakan cohabitent – très mal – deux ethnies en particulier : les Arakanais bouddhistes et les Rohingyas musulmans. Les Rohingyas sont classés par la Birmanie comme des musulmans apatrides du Bangladesh.

 

Des affrontements très violents démarrent en 2012 entre les Rohingyas musulmans et les Arakanais bouddhistes.

Des villages entiers ont été décimés.

 

La cause des émeutes n’est pas claire, de nombreux commentateurs citant comme cause principale le viol et le meurtre d’une Arakanaise, suivi du meurtre de dix musulmans birmans par des Arakanais.

 

 

La guerre démarre en 2012 dans l’Arakan

 

Les violences font au moins des dizaines de morts et des dizaines de milliers de déplacés.

Le gouvernement impose des couvre-feu et déploie des troupes.

Mais les forces armées birmanes et la police sont accusées de viser surtout les Rohingyas.

 

En juillet 2012, le gouvernement n’intègre pas les Rohingyas sur sa liste des minorités ethniques du pays, afin de les empêcher d’avoir la citoyenneté birmane.

En octobre 2016, des Rohingyas décident de mener une lutte armée contre le pouvoir birman.

 

La plus importante des milices armées est l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA).

En octobre 2016, des postes frontières sont attaqués, ce qui provoque de féroces représailles de la part de l’armée : viols, tortures et massacres.

 

 

Le grand exil des Rohingyas

 

En 2017, ce sont environ 860 000 Rohingyas qui s’enfuient au Bangladesh voisin, dans les camps surpeuplés de Cox Bazar au Bangladesh. Ils rejoignent 200.000 réfugiés qui avaient fui les persécutions précédentes.

En tout près d’un million de rohingyas se trouvent au Bangladesh.

 

La Birmanie est accusée de “génocide” devant la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU.

Malgré encore des escarmouches meurtrières en 2018, à partir de cette période le conflit entre rebelles et armée se tasse.

 

En effet, les rebelles sont laminés : des dizaines de villages ont été rasés autour de la ville de Maungdaw, épicentre des violences.

A la place y sont construites des installations pour les forces armées birmanes.

 

En revanche, il y a toujours en Arakan environ 600 000 Rohingyas.

La Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné en janvier 2020 à la Birmanie de prendre “toutes les mesures en son pouvoir” pour prévenir un éventuel génocide à leur encontre.

 

 

L’armée d’Arakan en conflit avec l’armée birmane

 

La rébellion arakanaise demande plus d’autonomie pour l’ethnie bouddhiste arakanaise dans l’État d’Arakan.

L’Arakan Army (AA) dénonce aussi la grande pauvreté de sa population dans une région si riche en hydrocarbures.

 

Depuis bientôt deux ans, l’armée birmane (Tatmadaw) affronte l’Arakan Army (AA).

Les affrontements ont démarré le 4 janvier 2019 : plusieurs centaines d’hommes de l’AA attaquent des postes de police et tuent 13 officiers birmans.

L’AA compte environ 20 000 hommes bien équipés et bien entraînés.

 

Elle pratique l’impôt révolutionnaire.

L’armée birmane a déployé 15 000 à 20 000 hommes pour lutter au sol, dans les airs et même sur mer.

 

L’AA conquiert des territoires et les combats violents ont lieu dans des zones peuplées où des enlèvements sont pratiqués.

Depuis 2019, des milliers de personnes ont été tuées, et au moins 220 000 autres déplacées.

 

 

Elections annulées

 

La guerre est si dure que le gouvernement annule les élections de novembre 2020 dans une grande partie de l’Etat d’Arakan.

Ce sont donc 1,5 million de personnes (en plus des 600 000 Rohingyas interdits de participation) qui sont privées du droit de vote.

 

Mais c’est aussi pour éviter que les partis ethniques de l’Arakan ne l’emportent.

Pourtant la LND souhaitait que soit signé un processus de paix global. Mais ce fut un échec. L’armée a détruit plusieurs villages des Arakanais bouddhistes, pratiqué exécutions, tortures, disparitions et politique de la terre brûlée.

 

Même méthode que contre les Rohingyas musulmans.

L’ONU a déclaré en septembre 2020 que les attaques récentes visant les civils pourraient «constituer de nouveaux crimes de guerre ou même des crimes contre l’humanité».

L’ONU appelait à l’ouverture d’une enquête.

 

 

L’Arakan est un Etat riche en hydrocarbures

 

Les combats furent beaucoup plus violents dans cette région que dans d’autres en Birmanie car elle attise les convoitises, assise sur une importante réserve d’hydrocarbures.

 

L’Arakan est aussi situé entre Chine et Inde, deux pays ennemis.

Cette zone est primordiale pour les gigantesques Routes de la Soie chinoises.

Mais aussi car y construire des ports en eau profonde permet à la Chine de recevoir du pétrole du Moyen-Orient sans passer par le détroit de Malacca.

 

De l’Arakan partent un gazoduc et un oléoduc vers la Chine.

La Chine partage plus de 2 100 km de frontières avec la Birmanie, et le corridor économique Chine-Birmanie est une priorité pour Pékin.

 

Mais les retombées économiques de cette région n’aident pas la population, qui demeure l’une des plus pauvres du pays.

Les militaires birmans, accusés de corruption, en profitent.

Hormis la Chine, des compagnies internationales prospectent l’Arakan.

 

 

Le coup d’Etat convient à la Chine

 

L’armée a finalement réussi à vaincre les rebelles rohingyas dans l’Etat d’Arakan, et la Chine a un grand besoin de stabilité dans la région afin de mener à bien ses projets.

Or, suite à la mise en place du Parlement qui aurait dû avoir lieu le 1er février, les tensions auraient pu reprendre de la vigueur dans l’Arakan, pour 3 raisons :

 

  • Vu que les citoyens de l’Arakan n’ont pu voter, le risque de reprise des violences est important, en raison du fort ressentiment.

  • La LND, vu son importante victoire aux élections de novembre 2020, voulait réformer la Constitution, et l’AA aurait pu profiter d’une armée affaiblie.

  • La rébellion rohingya aurait pu reprendre de la vigueur.

 

Le coup d’Etat a un effet complètement inverse dans l’Etat d’Arakan : les 600 000 Rohingyas y vivant encore sont désormais terrorisés.

Ils craignent une reprise des persécutions.

 

Et ils ne peuvent plus fuir, en raison de la présence sévère des armées birmane et bangladaise aux frontières respectives.

Ce climat très calme convient à la Chine. Avec la collaboration (sans doute rémunérée) des militaires, elle pourra y mener ses projets.

 

 

L’armée contrôle les principaux secteurs économiques du pays

 

Suite à la victoire électorale de la LND, l’armée ne craignait pas seulement de perdre du pouvoir.

Il s’agit aussi d’argent… et de corruption massive.

 

En effet, l’homme le plus fort du pays, Min Aung Hlaing, commandant en chef de l’armée, est également à la tête d’une fortune personnelle.

Il devait partir à la retraite en juin 2021, et donc perdre des revenus.

 

Il a d’importants liens économiques avec plusieurs entreprises birmanes.

Il est à la tête de deux conglomérats militaires comprenant de nombreuses entreprises et banques.

 

L’armée reçoit beaucoup d’argent de ces entreprises, et supervise la vie économique en Birmanie.

Les généraux ou leurs amis sont à la tête des grandes entreprises, et notamment du riche secteur économique de jade.

 

 

Le coup d’Etat semblait évident

 

Cela faisait des mois que l’armée dénonçait des fraudes massives aux élections de novembre 2020.

Le coup d’Etat était une inquiétude de nombreux pays.

 

Le 29 janvier, plus d’une dizaine d’ambassades occidentales ont publié une déclaration exhortant l’armée birmane à « adhérer aux normes démocratiques ».

L’ONU était également inquiet.

Le général Min Aung Hlainga essayait de se montrer rassurant.

 

 

Réactions mondiales globalement négatives au coup d’Etat

 

Disons-le d’emblée : quelles que soient les réactions internationales, l’armée birmane n’en a cure, en raison de son lien fort avec la Chine.

Vu la puissance gigantesque de la Chine, quelle importance ?

 

Je vais néanmoins lister les réactions principales :

  • L’UE et les USA envisagent des sanctions contre l’armée birmane

  • Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU va tenir vendredi une session spéciale

  • La Nouvelle-Zélande a annoncé la suspension de ses contacts de haut niveau avec la Birmanie

 

Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a aucun pouvoir, étant donné que la Russie et la Chine disposent du droit de véto et soutiennent l’armée birmane.

Pourtant, l’homme le plus puissant du pays est fier de la répression menée contre les Rohingyas.

 

Il est accusé par l’ONU de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Et est sous le coup de sanctions par les USA.

Min Aung Hlaing rejette ces accusations, affirmant que l’opération militaire ciblait uniquement la rébellion locale.

 

 

Les pays occidentaux s’inquiètent aussi de la répression des manifestants

 

L’ONU a condamné le 9 février l’usage «disproportionné» de la force, déplorant « de nombreux protestataires blessés, dont certains gravement » après des tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène par la police.

 

Fille d’un héros de l’indépendance assassiné, Aung San Suu Kyi est adulée depuis qu’elle a pris la tête de l’opposition démocratique face à l’armée en 1988, passant 15 ans en résidence surveillée.

 

Pour réclamer son retour et l’abolition de l’actuelle Constitution, des centaines de milliers de personnes manifestent depuis le 5 février en Birmanie, malgré la peur de la répression et la multiplication des arrestations (plus de 150 depuis le 1er février) par l’armée.

 

La loi martiale a été décrétée dans plusieurs quartiers de Mandalay, la deuxième ville du pays.

Les manifestations et rassemblements de plus de cinq personnes sont interdits, et un couvre-feu est instauré de 20h00 à 4h00.

 

Mais sans aucun effet, puisque les manifestations se poursuivent.

La tension est montée d’un cran le 9 février car l’armée a mené un raid contre le siège du LND, le parti d’Aung San Suu Kyi.

 

 

Nouvelle manifestation prévue mercredi

 

Les généraux putschistes menacent désormais les manifestants d'”actions”.

L’on peut craindre le pire… Pour le moment il faut surtout noter les armes suivantes : canons à eau, balles en caoutchouc et gaz lacrymogènes.

 

Le 9 février, pour la première fois, des soldats sont sortis dans les rues et non plus seulement la police.

Or, l’armée est capable : d’atrocités massives, de meurtres de civils, de disparitions forcées, de torture et d’arrestations arbitraires.

 

C’est également très risqué pour les fonctionnaires qui osent ainsi se dévoiler : ils risquent de sévères sanctions. Plusieurs dizaines de fonctionnaires ont déjà été arrêtés.

Un mouvement de désobéissance civile affecte les hôpitaux, écoles et administrations.

 

Par ailleurs, il faut noter qu’ont été vus des gens habillés en civil transportés en camion vers Rangoun.

La crainte est qu’ils ne soient missionnés par les militaires pour semer le désordre.

 

Cela afin de justifier ensuite plus de mesures restrictives, si effectivement la violence éclate entre des groupes.

Une nouvelle journée de manifestations est prévue mercredi 10 janvier.

Sources: AFP, ONU, RFI

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Pascal
Pascal
3 années plus tôt

Article factuel avec tout de même une pointe d’interprétation concernant les généraux proche de la Chine , peut être faudrait il s’intéresser aux relations et soutiens de la présidente sortante pour comprendre que c’est aussi la défaite de l’occident, enfin du Deep State occidental qui a du mal à supporter les échecs répétés de ses révolutions oranges .Sous le prétexte abusif d’imposer la démocratie (sic) ,comme en Ukraine il y a quelques années l’unique objectif est géo-économique et il faut bien avouer que l’occident a perdu son savoir faire…la faiblesse actuelle des USA suite aux derniers évènements ne plaide pas… Lire la suite »

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