ActualitésMémoire & HistoireIl y a 15 ans, Ilan Halimi

Il y a 15 ans, Ilan Halimi

Par Stéphane Nivet, Délégué général de la Licra

Il y a 15 ans, le 13 février 2006, à huit heures cinquante-cinq, deux gardiens de la paix alertés par une conductrice découvrent un corps de mourant, le long d’une voie de chemin de fer, dans un petit bois aux confins de Sainte-Geneviève-des Bois et de Villemoisson-sur-Orge. Il s’agit d’Ilan Halimi, il a 23 ans. Il agonise et meurt quelques heures plus tard, à l’Hôpital Cochin. Il a été enlevé dans la nuit du 20 au 21 janvier 2006. Durant 24 jours, ses tortionnaires auront, pour reprendre les mots terribles d’André Malraux, « fait concurrence à l’Enfer ». Durant 24 jours, Ilan Halimi a été jeté à même le sol, dans le froid, bâillonné, ligoté – nu – menotté, torturé, humilié, affamé, battu, défiguré et enfin brûlé pour le simple fait d’être né juif. 

J’appartiens à la génération d’Ilan Halimi née au début des années quatre-vingt. Pour ceux qui ont eu vingt ans en l’an 2000, l’antisémitisme appartenait à un registre lointain. La relation à la haine des juifs était de l’ordre d’un passé qui, de temps en temps, affleurait dans notre vie au journal télévisé au gré des dégazages putrides de Jean-Marie Le Pen et de ses acolytes. L’antisémitisme, pour moi, était une affaire de sépultures : des sépultures taguées nuitamment de croix gammées dans les carrés juifs, des sépultures aux corps exhumés et profanés et enfin des corps sans sépultures, ceux disparus lors de l’extermination des juifs d’Europe dont on nous parlait, un peu, à l’école et qui agitaient tant les négationnistes. Pour ma génération, la haine des juifs renvoyait à cette minute de silence faite dans les écoles pour l’affaire du cimetière de Carpentras, pas beaucoup plus. Évidemment, pour des jeunes et des adolescents, on ne voit qu’une partie de la bataille, comme Fabrice à Waterloo. Les JO de Munich, les attentats de la rue Copernic et de la rue des Rosiers ont été conscientisés bien plus tard, avec l’acquisition de la maturité historique, politique et citoyenne.

La mort d’Ilan Halimi a été un bouleversement. La haine des juifs ne renvoyait plus seulement à des crimes commis, vue de ma génération, à une éternité de nous et dont la mémoire nous obligeait au combat. Soudain, elle se conjuguait au présent et venait de tuer un jeune vendeur en téléphonie du Boulevard Voltaire à Paris qui aurait pu être un de mes amis. Elle ne renvoyait plus seulement à la filiation idéologique qui soutenait la main des épigones de la Collaboration et de Vichy. Elle a pris, soudain, le visage d’un jeune homme de mon âge torturé par des barbares extrémistes, ensauvagés par la haine et imbibés d’islamisme. Chez les profanateurs de Carpentras, on avait retrouvé des vestiges de la littérature néonazie. Chez les ravisseurs d’Ilan Halimi, on retrouve du matériel de propagande salafiste. Quand les premiers repeignaient leurs forfaits des insignes du IIIème Reich, les seconds psalmodient une sourate du Coran par téléphone à la famille d’Ilan et Fofana arrive dans le box de la Cour d’Assises en revendiquant d’être « arabe africain islamiste salafiste ». 

Et puis il y a eu ce que Julien Dray a appelé à l’époque « l’effet Dieudonné » et rappelé par Ruth Halimi et Émilie Frêche dans leur livre 24 jours : la vérité sur la mort d’Ilan Halimi.  C’est d’ailleurs tout juste un mois après la mort d’Ilan Halimi que Dieudonné M’Bala M’Bala est condamné pour incitation à la haine raciale pour avoir déclaré le 8 février 2004 dans Le Journal du Dimanche que les Juifs « sont tous des négriers reconvertis dans la banque, le spectacle et aujourd’hui l’action terroriste ». Youssouf Fofana s’inscrit pleinement dans cette filiation idéologique quand il se vante auprès de ses petites gouapes : « les Juifs étaient les rois car ils bouffaient l’argent de l’État » tandis que lui se considérait, parce que noir, comme « un esclave ». Ce n’est pas pour rien qu’en 2014, Dieudonné fera scandale en demandant la libération anticipée du chef du gang des barbares, au nom d’une prétendue réconciliation, comme si Ilan Halimi était coupable de quelque chose au même titre que son bourreau.

Pour l’affaire du cimetière de Carpentras, une manifestation de masse eut lieu en France. Le Président de la République lui-même, fait inédit dans l’Histoire de la République, a pris la tête du cortège. Et il ne s’agissait, ce qui n’enlève rien à la gravité du préjudice et du symbole effroyable, que de victimes déjà mortes. Pour Ilan Halimi, enlevé à la vie dans la force de sa jeunesse après un calvaire indicible, la France aurait dû descendre dans la rue. Elle ne l’a pas fait. Six ans après, des enfants juifs de Toulouse, pourchassés dans leur cour d’école par un terroriste islamiste, étaient abattus à bout portant. Les cœurs se sont soulevés mais les rues sont restées vides de cette indignation. Il faudra attendre le 11 janvier pour que le pays sorte de son atonie, de nouveau son Président de la République en tête de la manifestation. Et il y a fort à parier que si les islamistes de 2015 n’avaient pas tué la rédaction de Charlie, il n’y aurait certainement pas eu ces millions de personnes battant le pavé pour les seules victimes de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes.

La banalisation de l’antisémitisme est une double peine requise par un double aveuglement. Tandis que d’aucuns sont restés figés à une époque où l’extrême droite avait le quasi-monopole de la haine des juifs, d’autres ont essentialisé des groupes en sacralisant leurs membres comme victimes éternelles et héréditaires, statut qui les immuniserait de toute forme de haine de l’autre. C’est dans cet angle mort de la gauche française qu’ont été ainsi délivrés des permis de haïr et au final, de tuer des juifs. C’est cette béance qu’il faut réduire aujourd’hui à sa plus simple réalité et empêcher les hybridations et les essaimages avec une extrême droite jamais en reste en matière d’antisémitisme.

Stéphane Nivet
Délégué général de la Licra

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