Ce samedi, cela fait 15 ans qu'Ilan Halimi est mort. Tout le monde se souvient de cette histoire qui a maintenu la France dans un suspense horrifié . Des ravisseurs, autoproclamés "gang des barbares", avaient enlevé ce jeune vendeur de téléphones, en le piégeant avec un faux rendez-vous galant, puis l'avaient séquestré dans une cave à Bagneux (Hauts-de-Seine), en réclamant une rançon. Ils avaient ciblé Ilan Halimi parce qu'il était juif, et que le cliché antisémite veut que les juifs ont de l'argent. Ils avaient torturé Ilan Halimi, aussi, parce qu'il était juif. Torturé jusqu'à ce que mort s'ensuive. Tout le monde se souvient de l'événement, donc. Mais tout le monde n'a peut-être pas en tête qu'à l'époque, on n'en avait pas vraiment compris la signification.
On évoquait l'ultra violence, on se passionnait pour le portrait de ces filles, les appâts - si jeunes et si vénéneuses -, mais l'idéologie qui en sous-tendait l'horreur, l'idéologie que le leader de la bande, Youssouf Fofana, a revendiquée, par la suite, en se présentant à la barre du tribunal comme "islamiste et salafiste", nous ne l'avions collectivement pas vraiment saisie. Depuis Ilan Halimi, 10 autres Français juifs ont été assassinés par la même idéologie radicale. Et plus de 60 000 Français juifs auraient quitté le pays, selon les pointages de l'historien Mark Knobel. Ils ont quitté leur pays, la France, où ils représentent à peine 1% de la population, mais sont la cible de 40% des agressions racistes selon les statistiques officielles.
Gaz incapacitants
Alors oui, en 15 ans, le diagnostic a été fait. Mais la question gêne toujours aux entournures. Notamment à gauche, où certains sont paralysés à l'idée que le sort des uns ne puisse servir à stigmatiser les autres. Pour le dire plus clairement : ils craignent que dénoncer l'antisémitisme de l'islamisme ne puisse nourrir une haine anti-musulmans. C'est un souci qu'il faut dépasser en répétant mille fois s'il le faut, que tous ceux - à l'extrême droite, à l'extrême gauche ou ailleurs -, qui entretiennent la confusion entre islamistes et musulmans sont des irresponsables qui répandent un gaz incapacitant dans la société française.
Ensuite, la question gêne également aux entournures car on peine à trouver des réponses spécifiques à cet antisémitisme, symptôme d'un mal plus général (à part la mise sous surveillance systématique des lieux de cultes ou confessionnels). Il y a deux ans, pourtant, Emmanuel Macron avait eu une bonne idée en promettant un audit des écoles, collèges et lycées publics où il est devenu impossible d'inscrire un enfant juif sans craindre pour sa sécurité...Cela devait se faire en relation avec les chefs d'établissements, les mieux à même de juger du degré d'importance du problème.
Haussements d'épaules
Mais d'audit, il n'y en a pas eu. Et la promesse, faite dans l'émotion de je ne sais plus quel événement, est restée lettre morte. Parfois, ça me paraît presque inopportun d'en demander, encore et encore, des nouvelles. Depuis que j'écris sur ces questions, j'ai croisé beaucoup de gens qui murmurent qu'il existerait sur cette question une paranoïa, une surenchère victimaire. Que chez certains, c'est une obsession... Alors, parfois, on hésite. A traiter encore une fois du sujet.
Mais il y a des occasions où l'on prend sur soi les haussements d'épaules, les soupirs fatigués qu'on sait par avance que l'on va provoquer. Tant pis. Rabâchons. L'antisémitisme concerne tout le monde. Pas seulement pour les raisons élémentaires de fraternité. Mais aussi car il est toujours un signe avant-coureur de catastrophes. Il y a 15 ans mourait Ilan Halimi et je ne suis pas certaine que nous, citoyens français, nous ayons encore compris que cette mort nous concernait tous.