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À Périgueux, un texte municipal en écriture inclusive attaqué en justice
Delphine Labails, maire de Périgueux, défend une mesure symbolique et "évidente".
Romain Longieras / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

À Périgueux, un texte municipal en écriture inclusive attaqué en justice

Inclusif.ve.s

Par Théo Moy

Publié le

Un ancien élu attaque la mairie de Périgueux en justice pour avoir instauré l’usage de l’écriture inclusive dans le règlement intérieur de son conseil municipal. Une démarche aux fondements juridiques fragiles qui étonne la maire Delphine Labails.

Le 25 janvier 2021, Patrice Reboul, ancien avocat et élu municipal de Périgueux jusqu’en 2014, aujourd’hui membre du Parti Radical de Gauche, a adressé une requête devant le tribunal administratif de Bordeaux « demandant l’annulation du règlement intérieur de la Ville de Périgueux rédigé en écriture dite inclusive ».

« L'affaire » commence lors du conseil municipal du 18 décembre 2020 à la mairie de Périgueux. Les élus votent alors leur règlement intérieur, porté par la majorité issue d’une liste d’union de la gauche et la nouvelle maire Delphine Labails.

Ce règlement intérieur est obligatoire pour les communes de plus de 1000 habitants et selon le Code général des collectivités territoriales, il doit être adopté dans les six mois qui suivent l’installation du conseil municipal. Mais ce 18 décembre à la mairie de Périgueux, ce n'est pas le fond mais la forme de ce règlement intérieur qui fait débat : il est en écriture inclusive.

La majorité assume une décision politique qui doit mettre le mandat sous les auspices de l’égalité hommes-femmes, l’opposition de droite fustige un choix « idéologique » et « dogmatique ». Le règlement intérieur est finalement voté dans sa forme « inclusive », et on passe au sujet suivant.

"L'écriture inclusive n'est pas du français"

Il faut attendre le début du mois de février pour que le dossier connaisse un rebondissement. Ce 10 février 2021, Patrice Reboul annonce à la presse locale qu’il a le 25 janvier dernier « adressé une requête au tribunal administratif de Bordeaux demandant l'annulation du règlement intérieur de la ville de Périgueux rédigé en écriture dite inclusive ».

Contacté par Marianne, Patrice Reboul, ancien adhérent du Parti socialiste et membre du conseil municipal jusqu’en 2014, explique sa démarche : « Les textes administratifs doivent être rédigés en français or l’écriture inclusive n’est pas du français ! ». Il oppose à cette démarche la conception d'une « évolution longue des langues, qui se fait par la pratique orale et écrite » et juge l’écriture inclusive « discriminatoire pour les dyslexiques ».

Adhérent du Parti Radical de Gauche depuis l’année dernière, l’ancien avocat évoque une démarche de « simple citoyen, d’administré » et ne s’attend pas à une décision de justice avant trois ans. Il espère que le tribunal tranchera dans son sens et jugera que l’écriture inclusive est illégale dans un acte administratif. Une décision qui ferait jurisprudence et encouragerait de nombreux autres recours.

Edouard Philippe bannit le point médian

Les fondements juridiques de ce recours semblent pourtant fragiles. Patrice Reboul avance que l’utilisation de l’écriture inclusive serait contraire à l’article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français »). Si effectivement les actes administratifs doivent être écrits en français, il est difficile de défendre que l’écriture inclusive serait une « nouvelle langue » puisque ses partisans mêmes ne la considèrent que comme une évolution du français.

Par ailleurs, aucun texte officiel n’établit quel est le « bon usage de la langue française » donc il existe a priori une marge de manœuvre permettant l'emploi de l'écriture inclusive. Cette graphie est ainsi régulièrement employée par la mairie de Paris dans ses actes.

Second fondement juridique de la requête de Patrice Reboul, « une récente jurisprudence du Conseil d'État» selon laquelle « tout acte d'administration ainsi rédigé est nul ». Là encore, l’interprétation ne relève pas de l’évidence. Le Conseil d’Etat a effectivement rendu un avis sur le sujet en 2019, saisi alors qu’Édouard Philippe avait recommandé aux ministères de ne pas employer le « point médian » dans leurs publications au journal officiel.

Le professeur en droit public Frédéric Rolin avait expliqué dans un billet que cet arrêt, rédigé dans des termes très flous, ne tranchait pas la question de la légalité de l’usage de l’écriture inclusive dans les actes administratifs. Surtout, si la circulaire du Premier ministre sur laquelle le Conseil d’Etat était appelé à s’exprimer rejetait le « point médian », elle conseillait l’emploi d’autres formules inclusives comme « le candidat ou la candidate » dans les « actes de recrutement ». La partie est donc loin d'être gagnée pour Patrice Reboul.

Une écriture difficile à mettre en place

Contactée par Marianne, la maire de Périgueux Delphine Labails défend « une évidence ». Depuis le début de son mandat, « la mise à jour des documents municipaux » se fait en écriture inclusive, une « mesure symbolique pour traduire l’égalité femmes-hommes ». Elle explique également que le tribunal administratif n’a pas encore « notifié le dépôt de ce recours » à la mairie.

Delphine Labails qui a appris ce recours par la presse locale juge la démarche « un peu étonnante ». La maire de Périgueux rappelle que d’autres mairies comme celle de Paris emploient également l’écriture inclusive sans que cela n’ait suscité de recours.

L’écriture inclusive semble cependant difficile à mettre en place même pour ses plus fidèles adeptes. Dans ses vœux aux citoyens publiés dans « A Périgueux, le magazine des Périgourdin.e.s », Delphine Labails alterne ainsi les formules inclusives (« les professionnel.le.s ») et les expressions plus classiques (« acteurs de la culture »).

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