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Didier Lemaire, le prof de philo de Trappes : "En lançant l'alerte, je savais que je m'exposais publiquement"

L'enseignant de Trappes Didier Lemaire est devenu une cible potentielle après avoir publié une tribune appelant à résister face à l'islamisme. Ses analyses tranchées - et en ce moment très médiatisées - suscitent de vifs débats.

Marie Quenet
Didier Lemaire.
Didier Lemaire. © Capture d'écran CNews

"Je suis quelqu'un de plutôt discret", assure-t-il vendredi soir au téléphone. Didier Lemaire, professeur de philosophie à Trappes (Yvelines), s'est pourtant exprimé toute la semaine sur les plateaux télé, à la radio et dans les journaux. Partout, il a raconté comment il s'est retrouvé sous escorte policière à la sortie du lycée, deux semaines après l'assassinat de Samuel Paty, à la suite de sa tribune dans L'Obs appelant à résister à la menace islamiste. Courageux lanceur d'alerte pour les uns, mythomane au discours stigmatisant pour les autres, l'enseignant de 55 ans polarise aujourd'hui l'attention.

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Il reçoit, confie-t-il, une centaine de messages par jour. Son téléphone ne cesse de sonner : "L'appel de Valérie Pécresse, la présidente du Conseil régional, sur mon répondeur, je l'ai eu deux jours après. Il aurait fallu cent Didier Lemaire pour porter la parole." Face à la déferlante de réactions, il se dit "serein" : "J'ai le sentiment d'avoir fait ce que je devais faire." Il se félicite, au passage, du soutien affiché par ses collègues du lycée de la Plaine de Neauphle. Et de l'appui discret de certains policiers : "La police, autre pilier de la République, est aussi malmenée que l'Ecole."

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Quelques inexactitudes

Mais ses jugements tranchés - "Trappes est aujourd'hui une ville définitivement perdue, tombée aux mains des islamistes", affirme-t-il au Point - ont fait des vagues. Jean-Jacques Brot, le préfet des Yvelines, juge ainsi "contreproductif de sembler stigmatiser les 32.000 habitants de cette ville". Et Ali Rabeh, le maire Génération.s de Trappes, a été jusqu'à distribuer des tracts - un acte très critiqué - dans l'enceinte du lycée pour dénoncer ces "propos violents", qui "condamnent par avance, qui relèguent, qui excluent". L'édile* estime par ailleurs que Didier Lemaire "n'a jamais fait l'objet d'une menace sérieuse".

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Dès qu'on pointe l'avancée de l'islamisme, on se retrouve accusé d'être d'extrême droite, de stigmatiser ou d'être islamophobe

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L'intéressé ne se laisse pas démonter : "Dès qu'on pointe l'avancée de l'islamisme, on se retrouve accusé d'être d'extrême droite, de stigmatiser ou d'être islamophobe". Lui préfère se décrire comme "un homme de nuance", abonné au Figaro comme au L'Obs, de centre gauche. "Cela fait 20 ans que j'enseigne à Trappes pour que mes élèves deviennent des Français comme les autres, se défend le professeur, bien noté par l'institution. J'aurais pu demander ma mutation dans n'importe quel lycée". Les critiques ne font que conforter son analyse : "Le déni ne touche pas seulement l'éducation nationale, il est partout, même au sein de la presse."

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Et s'il veut bien reconnaître quelques inexactitudes - il existe encore quelques coiffeurs mixtes à Trappes contrairement à ses premières affirmations -, il maintient son diagnostic : "Une emprise communautaire toujours plus forte sur les consciences et sur les corps." Le lycée où il exerce a beau être un établissement calme, sans problème, lui note "plein de petits signes" : "des adolescents qui téléphonent à Raqqa" (en 2017) ; "une élève musulmane qui ne veut pas porter le voile et subit la pression de ses camarades" (en 2020).

Sa "prise de conscience" date d'après les attentats de 2015

Le professeur de philo (et de cinéma) a commencé au lycée de Trappes en 2000, l'année où la synagogue a été incendiée. Mais sa "prise de conscience" date d'après les attentats de 2015-2016. Il multiplie les actions de prévention en classe. Rencontre les journalistes du Monde, Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué, qui enquêtent sur la ville. Salue le fruit de leur travail, La Communauté, paru en 2018, "un livre contre le déni" selon lui. Et envoie finalement une lettre au président Emmanuel Macron, cosignée par Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l'Education nationale, pour alerter sur la montée de l'islamisme. La missive se conclut par cette question : "Quelle politique d'intégration comptez-vous mener pour mettre fin au sentiment de non-appartenance au monde d'une partie toujours plus grande de nos concitoyens?"

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Personne ne m'a envoyé un mot pour me dire 'on va te tuer'. Mais certains me désignent comme islamophobe, d'extrême droite, ça fait de moi une cible potentielle!

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Deux ans et demi plus tard, après l'exécution de Samuel Paty, le prof de philo reprend la plume pour écrire une lettre ouverte : "Comment pallier l'absence de stratégie de l'Etat pour vaincre l'islamisme?" Et tout s'enclenche. "Personne ne m'a envoyé un mot pour me dire 'on va te tuer', reconnaît-il. Mais certains me désignent comme islamophobe, d'extrême droite. Et pas n'importe où, à Trappes, dans une ville qui comptait 400 fichés S en 2018 ; ça fait de moi une cible potentielle!" On organise donc des patrouilles pour assurer sa protection : mieux vaut être prudent. Didier Lemaire ferme bien les portières de sa voiture, vérifie qu'il n'est pas suivi, regarde à droite et gauche avant de s'engager dans une rue. "Ce n'est pas un délire de ma part, se défend-t-il. Je suis les conseils des policiers".

Fin janvier, après la diffusion d'un reportage sur Trappes dans lequel il apparaît (sur une chaîne néerlandaise), l'auteur du documentaire reçoit des messages haineux à son propos, une enquête est ouverte pour "menaces sur personne chargée de mission de service public". Le ministère de l'Intérieur vient de le mettre, vendredi, sous protection rapprochée.

"J'assume le risque, déclare ce joueur d'échecs. En lançant l'alerte, je savais que je m'exposais publiquement." Mais il estime qu'il n'a pas le choix. "L'islamisme, compare-t-il, est une forme de nazisme. Les frères musulmans défendent un programme politique totalitaire. Ils pensent qu'un jour la planète entière sera en leur pouvoir, qu'ils auront éliminé toutes les autres religions et tous les musulmans qui ne sont pas assez purs". La suite l'inquiète : "J'ai peur qu'on se retrouve dans quelques années dans une situation comme l'Algérie, avec non pas un Samuel Paty mais des centaines."

"Je quitte l'enseignement"

La loi sur le séparatisme? Cet homme qui a voté Emmanuel Macron au second tour (mais personne au premier) craint qu'elle ne rogne sur les libertés. Malgré tout, "elle témoigne d'une prise de conscience et de la nécessité de contrer l'offensive, salue-t-il. Mais elle propose des mesures plutôt qu'un plan. Si on ne désigne pas l'ennemi tel qu'il est, on est à sa merci". Après avoir milité dans des associations, l'enseignant a donc rejoint, le mois dernier, le Parti républicain solidariste créé il y a trois ans. Et s'il ne compte pas se présenter aux élections, il avance quelques propositions. Qu'on informe par exemple les responsables des établissements scolaires de la présence d'enfants de parents fichés S. Que tout acte de pression ou de contestation des règles de laïcité de la part d'un élève fasse l'objet d'un changement d'école et, en cas de récidive, entraîne la possibilité de perdre l'autorité parentale.

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Ma porte est totalement ouverte pour voir avec lui ce qu'il souhaite pour lui-même et pour la résolution des problèmes qu'il dénonce

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L'avenir? "Je quitte l'enseignement, affirme-t-il. Même en changeant d'établissement, loin de Trappes, je reste une cible de choix". Mais il ignore ce qu'il fera ensuite. "On va voir, avec le ministère, de quelle façon je peux continuer à servir mon pays. Peut-être quelque chose dans la culture, une mission liée à l'enfance, dans l'éducation, ou une mission sur la défense les valeurs de la République." L'enseignant, membre de l'association des amis de Maurice Ravel, président d'une association de cirque et créateur de poésies lumineuses (qu'il a déjà exposées dans le cadre de Nuit Blanche), est un homme éclectique… 

"Ma porte est totalement ouverte pour voir avec lui ce qu'il souhaite pour lui-même et pour la résolution des problèmes qu'il dénonce, indique Jean-Michel Blanquer au JDD. Ce qui compte, c'est d'avoir une vision positive pour l'avenir de Trappes et pour combattre le radicalisme islamiste". Pour le moment, Didier Lemaire s'accorde une pause. Deux semaines de vacances. Au bord de la mer, pour changer d'horizon.

* Il a fait appel après l'annulation de son élection par le tribunal de Versailles.

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