Bhoutan : l'incroyable histoire du petit pays pauvre qui était parvenu à n'avoir qu'un mort du Covid<!-- --> | Atlantico.fr
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Des lamas effectuent une danse traditionnelle bouddhique, en janvier 2021.
Des lamas effectuent une danse traditionnelle bouddhique, en janvier 2021.
©SUMAN / AFP

Succès

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le Bhoutan est l'exemple à suivre. Le petit royaume himalayen n'a connu son premier décès lié à la maladie qu'en janvier 2021, grâce à des mesures drastiques de protection de sa population.

Françoise Pommaret

Françoise Pommaret

Francoise Pommaret est directeur de recherche CRCAO/CNRS, professeur associée Royal University of Bhutan, présidente de l'association les Amis du Bhoutan.

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Atlantico : Quelle est la situation actuelle au Bhoutan ?

Françoise Pommaret : La situation sanitaire est à nouveau bonne. Le pays sort d’un confinement très dur qui a duré de décembre jusqu'à fin janvier. La vie a repris. Les écoles vont réouvrir après presque 9 mois d'arrêt et des cours en virtuel. Actuellement, il n'y a plus de contaminations. On compte 7 personnes positives dans tout le pays. Il y a eu au total 863 cas et un seul  décès, une personne qui avait de très fortes comorbidités. Le Bhoutan a 99 % de rémission.

Le Bhoutan commence sa campagne de vaccination en mars. Les premiers vaccins arrivés sont des Covishield (le vaccin indien développé par Astrazeneca produit en Inde). Par la mission Covax de l'OMS, le Bhoutan va recevoir 50 000 autres vaccins Astrazeneca et Pfizer. Puis l'Inde va en envoyer d'autres vaccins et le Bhoutan va aussi en acheter. L'objectif est qu'à la fin du mois du mars, il y ait un million de doses pour vacciner toute la population deux fois. Les autorités veulent vacciner tout le monde en l’espace de dix jours.

Quelles mesures a mis en place ce petit pays pour endiguer l’épidémie ?

Le pays suit la même politique que beaucoup de pays d'Asie (ZéroCovid), c'est-à-dire prendre des mesures de confinement strict dès les premier cas. Ils appliquent à la lettre la stratégie tester, tracer, isoler.

Le Bhoutan fait énormément de tests. Chaque maison en ville a été testée, au moins une personne par famille.  Actuellement, les autorités sanitaires continuent de faire des tests qui sont improvisés sur la route. Les tests (antigéniques ou PCR) ne sont pas forcément faits par du personnel médical. Ce sont souvent des volontaires comme ceux de la Croix Rouge. Par ailleurs 4 000 jeunes volontaires ont été formés pour réaliser les tests et vacciner les gens le vaccin Astrazeneca.

Si quelqu’un est positif, il est immédiatement isolé en quarantaine. Toutes les personnes qui rentrent au Bhoutan, quelles qu’elles soient, sont également placés à l’isolement pendant trois semaines. Un peu comme en Australie, la quarantaine se fait dans un hôtel. Vous n'avez pas le droit de sortir de votre chambre et on vous apporte à manger. Comme les soins, les tests et les vaccins sont aux frais de l'état.

Le pays est resté fermé aux touristes jusqu'au mois d'octobre ce qui a provoqué un manque à gagner énorme car le tourisme représente un des plus gros secteurs de l'économie bhoutanaise. 50 000 personnes dépendent du tourisme. Un peu comme en  France, le Bhoutan a versé un chômage temporaire.

Comment expliquer cette adhésion de la population à des mesures aussi drastiques ?

La population a tendance à écouter le gouvernement et le Roi et à leur faire confiance. Le gouvernement élu il y a 2 ans compte plusieurs médecins dont le premier ministre et le ministre des affaires étrangères. Quant à la ministre de la santé, elle a une thèse en santé publique de Yale aux Etats-Unis.

Les responsables politiques montrent l'exemple. Le premier ministre ou le ministre de la santé, qui étaient souvent en contact avec des gens qui pouvaient avoir le covid, n'ont pas dormi chez eux pendant plus d'un mois, dormant dans leurs bureaux. Le roi, qui va tous les mois dans le sud pour surveiller la frontière avec l'Inde ( fermée), se met en quarantaine pendant 10 jours à son retour, loin de sa famille

Comment est-ce qu'un pays avec aussi peu de moyens financiers et humains a-t-il aussi bien géré la crise sanitaire ?

Ils ont peu de moyens mais une conscience sociale extrêmement forte. Tout le monde s'est ligué pour se battre contre le virus, toutes les couches de la populations confondues. Et chacun s'est proposé pour aider. Si je suis une femme âgée et que j'ai besoin de médicaments, j'appelle un numéro et quelqu'un m'importe mes médicaments. Des numéros spéciaux ont été mis en place pour chaque besoin (tests, médicaments…) et pour chaque district. Au bout du fil, c’était de jeunes volontaires qui répondaient.

Il y a un très bon maillage sur tout le pays d'infrastructures et de gens très mobiles qui vont dans les villes et les campagnes pour faire les vaccins et les tests. Evidemment c'est aussi rendu possible par une population réduite ( 750.000 habitants).

L’épidémie est prise extrêmement au sérieux par toute la population. Au mois de mai dernier j'avais l'intention d’aller dans une région isolée. Mes amis m'ont dit ne pas venir parce que je venais de la capitale et que les gens avaient peur. Ce n'est que fin juin que j'ai pu y retourner. Il y a même eu des villages qui mettaient des barrières à l'entrée avec des personnes pour surveiller qui rentrait dans le village.

D’un point de vue plus pratique, le Bhoutan a eu assez vite des PPE et des masques notamment données par l'Inde. Tous les tailleurs se sont mis à faire des masques en tissus pour subvenir aux besoins de la population. Il n'y avait aucun problème pour se procurer masque. La culture asiatique du masque a aussi aidé.

La culture bhoutanaise de la résilience a-t-elle été un avantage la gestion de la crise ?

La résilience est un concept très prégnant au Bhoutan qui vient aussi de la philosophie bouddhique. J'ai des amis qui étaient guides touristiques. Comme ils n'avaient plus de travail, ils sont partis cultiver les champs. On n'attend pas que la solution tombe du ciel et on s'entraide. Le soir pendant le confinement, il y avait des volontaires qui patrouillaient pour être sûrs que les gens étaient bien confinés. Certains habitants leur laissaient devant leur porte des thermos de thé ou leur indiquaient qu’ils pouvaient venir chez eux s’ils avaient besoin d’aller aux toilettes.

Le 6 mars, le Bhoutan a confirmé son premier cas de COVID-19. Un peu plus de six heures plus tard, quelque 300 cas contacts possibles avaient été retrouvés et mis en quarantaine. Comment expliquer une telle performance qui a de quoi rendre jaloux les pays occidentaux ?

Lorsque que le premier cas été détecté – un touriste américain – tout le monde s'est mobilisé pour chercher ses cas contacts. Comme il y a peu de routes, ils ont mis des barrages et ils demandaient aux gens s'ils avaient rencontré cette personne. 

Le tracing relève d’une organisation dantesque orchestrée par le ministère de la santé. Il est en grande partie basé sur l’application Druk Trace qui est obligatoire partout où l’on va depuis mars dernier. On ne peut pas rentrer dans un magasin ou prendre un taxi si on n'a pas scanné son code.

Y a-t-il comme en France des débats sur l'utilisation des données personnelles ?

Absolument pas. Presque toute la population est sur Facebook ou Wechat donc les données personnelles ne sont pas vraiment le sujet. Sur 750 000 habitants, 600 000  sont sur Facebook. D'ailleurs, tout passe par Facebook, les annonces du gouvernement, les décrets et tout ce qui concerne le covid. C'est le réseau social le plus utilisé. Même la télévision bhoutanaise peut se regarder sur Facebook.

Propos recueillis par François Blanchard

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