Les mois à venir seront denses pour l’Europe de l’espace. En avril, le spationaute français Thomas Pesquet s’envolera pour une deuxième­ mission à bord de la Station spatiale internationale (ISS). Et dès ce mardi 16 février, l’Agence spatiale européenne (ESA) lance sa nouvelle campagne de recrutement de spationautes, notamment en vue de futures missions vers la Lune. Les candidats pour l’espace pourront postuler du 31 mars au 28 mai. La phase de sélection, jusqu’à octobre 2022, testera leur mental et leurs compétences.

Lors de la dernière campagne de recrutement, en 2008 et 2009, plus de 8 000 candidats sur 10 000 remplissaient les prérequis. Ils étaient dix fois moins à la fin de la première salve de tests psychologiques, puis l’écrémage s’est accentué jusqu’à n’en retenir que six. Six heureux élus, dont Thomas Pesquet et l’Italienne Samantha Cristoforetti, seule femme de la sélection.

L’ESA se défend d’un recrutement qui tendrait à exclure les candidatures féminines. En 2008, « nous avions reçu un peu moins de 16 % de candidatures féminines, ratio que l’on retrouve au final avec une astronaute sur six, calcule Ersilia Vaudo, chargée de la diversité à l’ESA. On ne peut être plus divers que nos candidats, il nous faut donc arriver à être attractif pour que les femmes postulent plus. »

« Lors de ma sélection en 1985 par le centre français, sur les 1 000 dossiers examinés, 100 dossiers étaient féminins, soit 10 % », rappelle Claudie Haigneré, première et, à ce jour, seule Française à être allée dans l’espace. L’ESA espère accélérer cette progression avec la salve de recrutements qui s’ouvre, dont l’annonce a été analysée pour ne contenir aucun biais involontaire. « La diversité est une richesse. Une astronaute femme possède ses particularités, tout comme on peut avoir des particularités parce qu’on est militaire ou civil, scientifique ou pilote, défend la Française. Les approches se complètent, ce qui permet une meilleure réponse aux défis des missions spatiales ! »

L’ESA souffre du manque de femmes en amont, dans les carrières scientifiques et militaires, pour trouver des spationautes. Sans compter qu’elle doit maintenir un délicat équilibre entre ses pays membres. Plus de la moitié des postulantes pour intégrer l’agence proviennent de trois pays : France, Italie et Espagne. Un accaparement des places de moins en moins admis ailleurs, sur le plan diplomatique.

Force est de constater, pourtant, que les pays du Nord, connus pour leur parité en général exemplaire, envoient peu de candidates. « La tradition du spatial y est moins forte, avec moins de liens dans les universités et les centres de recherche », reconnaît Ersilia Vaudo. Selon elle, « plusieurs études montrent que dans les pays où la parité est bien développée, moins de femmes choisissent les filières scientifiques. Ailleurs, ces filières permettent aux jeunes femmes de s’émanciper et sont donc recherchées ». Et de citer « Espoir », la mission des Émirats arabes unis arrivée en orbite martienne la semaine passée : les femmes représentent 80 % de l’équipe scientifique chargée de la sonde.

« La parité doit se faire à tous les niveaux, et en considérant l’ensemble du secteur d’activité, pas juste les astronautes, rappelle Claudie Haigneré. Le manque de femmes dans le spatial peut être dû à un manque de confiance pour poser sa candidature, ou à des clichés persistants. Avoir une meilleure représentativité fait bouger les lignes : plus vous avez de femmes, plus elles sont prises en compte, mieux elles sont intégrées. »

Cette prise en compte se traduit sur le terrain. En mars 2019, la Nasa avait essuyé un feu de critiques après l’annulation de la première sortie dans l’espace d’un duo féminin, car la station spatiale ne contenait qu’une seule combinaison de petite taille. Il avait fallu attendre octobre pour disposer de deux combinaisons adaptées à des femmes à bord de l’ISS.

Sensibles aux enjeux, les Américains ont présenté, en décembre 2020, une sélection paritaire d’astronautes pour les prochaines missions à destination de la Lune : neuf femmes et neuf hommes. L’agence européenne atteindra-t-elle cette égalité ? Réponse en 2022. D’ici là, Claudie Haigneré le rappelle à toutes celles qui hésitent : « Soyez vous-même, et osez ! »