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Coronavirus : les filières agricoles diversement touchées par la crise

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  • France Bleu

France Bleu consacre une journée spéciale ce mercredi 17 février aux producteurs et éleveurs confrontés à la crise sanitaire, et privés de salon de l'Agriculture cette année. Une épreuve supplémentaire pour certains, déjà en détresse financière, judiciaire, matérielle et/ou morale.

En 2015, la MSA avait recensé 605 décès par suicide d'assurés du régime agricole (illustration). En 2015, la MSA avait recensé 605 décès par suicide d'assurés du régime agricole (illustration).
En 2015, la MSA avait recensé 605 décès par suicide d'assurés du régime agricole (illustration). © AFP - SEBASTIEN LAPEYRERE / Hans Lucas

Privés de salon de l’Agriculture en raison de l'épidémie de coronavirus cette année, certains professionnels du monde agricole s'inquiètent pour l'avenir. Si quelques secteurs s'en sortent, à l'image des vins de Bourgogne dont les exportations vers le Royaume-Uni ont compensé en 2020 les lourdes pertes dues au Covid et à la taxe Trump, d'autres filières peinent à redresser la tête. Pour les exploitants, salariés, ou encore employeurs de main-d’œuvre, les conséquences économiques de la crise sanitaire s'ajoutent parfois à des difficultés financières pré-existantes. 

Les filières diversement touchées par la crise sanitaire

En Provence-Alpes-Côte d'Azur par exemple, Sylvain Hutin, Directeur Général de la Mutualité sociale agricole (MSA), la sécurité sociale agricole, n'a pas constaté "de surmortalité" imputable au Covid, "mais la crise sanitaire a un impact économique fort sur les filières paysage, maraîchage et viticulture", explique-t-il. "Le nombre de contrats de travail, CDI et CDD, a considérablement diminué en 2020 (-15% par rapport à 2019, soit 9.000 contrats en moins) et le nombre de demandes de complémentaires santé solidarité a augmenté de 27%, ce qui est pour nous un indicateur de précarité et une illustration des conséquences sociales de la pandémie."

Dans la région, la filière qui a le plus souffert "durant le premier confinement" est l'horticulture, Hyères (Var) étant "le premier producteur de fleurs coupées de France", précise Antoine Pastorelli, Président de la MSA Paca. "L'impact a été énorme également pour les vignobles qui n'ont pas pu écouler leurs stocks avec la fermeture des restaurants."

Des conséquences économiques et sociales "au-delà de la fin de la crise sanitaire"

Le constat est le même au Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB). Aux raisons structurelles qui ralentissent les ventes depuis quelques années (baisse du marché chinois, moindre appétence du consommateur pour le vin rouge -84% de la production bordelaise- et baisse de fréquentation des grandes surfaces au profit des petits points de vente) s'est ajouté, en 2020, comme pour tous les vignobles, l'effet de la pandémie de Covid-19. Selon des chiffres communiqués le 12 février à l'AFP par le CIVB, la vente de vins du Bordelais a ainsi reculé de 5% en volume l'an passé. Toutefois, l'interprofession relèvent "des indicateurs encourageants" pour les derniers mois de l'année, particulièrement à l'export.

En Paca, la MSA a mis en place près de 700 échéanciers pour "retarder l'impact sur les trésoreries des créances" et "les recouvrements ont cessé pendant plus de six mois, dès mars 2020, pour laisser la possibilité aux filières de se retourner" défend Sylvain Hutin, mais il attend désormais du gouvernement des réponses sur "l'accompagnement à moyen et long terme" des exploitants et salariés agricoles. Les conséquences économiques et sociales perdureront "au-delà de la fin de la crise sanitaire", prévient-il, "comment les saisonniers qui n'ont pas pu travailler par exemple, pourront être soutenus dans les prochains mois voire les prochaines années ?"

Développer les circuits courts

Les différents confinements ont cependant encouragé le développement des circuits courts et de la vente directe, se félicite la MSA. Le phénomène n'a pas échappé au gouvernement qui a lancé début janvier, avec les Chambres d'agriculture, une plateforme nationale, fraisetlocal.fr, qui recense plus de 8.000 exploitations et points de vente permettant de se fournir directement en produits fermiers.

"Mais dans les moyennes et grandes surfaces", regrette Jean-Yves Constantin, 1er vice-Président de la MSA Paca, "les distributeurs qui s'étaient tournés vers les producteurs locaux en mars 2020 ont repris leurs vieilles habitudes après le déconfinement, en cherchant à nouveau les produits les moins chers, quitte à leur faire parcourir des centaines de kilomètres".

Guerre des prix

La pandémie, et les débats qu'elle a ouvert sur la souveraineté alimentaire, n'ont pas mis un terme à la guerre des prix. Cette année encore, les négociations commerciales annuelles entre producteurs, industriels de l'agroalimentaire et distributeurs, qui doivent s'achever fin février, se déroulent dans un contexte tendu.

"Dans les faits, le prix payé au producteur est toujours la variable d'ajustement", déplore Jean-Yves Constantin. "La pression demeure sur les producteurs donc s'ils rencontrent une difficulté sanitaire ou autre, ils se retrouvent dans une situation intenable. Il est temps que chacun prenne ses responsabilités à ce sujet, aujourd'hui c'est le régime de sécurité sociale qu'est la MSA qui prend sur lui de procéder à des remises de charges pour permettre aux entreprises de survivre, mais elles devraient pouvoir vivre de la vente de leurs produits."

C'est toujours le maillon le plus faible, l'agriculture, qui subit dans ce rapport de force - Serge Papin

Les négociations "appartiennent à des pratiques qu'il faut revisiter", approuve Serge Papin, ancien patron de la chaîne de supermarchés Système U et chargé depuis la fin de l'année dernière par le ministère de l'Agriculture de faciliter les négociations entre les producteurs et les acheteurs de la grande distribution. "Il y a toute une organisation qui est en place pour faire baisser les prix (...) Il faut la craquer, il faut qu'on arrête ça pour aller vers du dialogue", a-t-il expliqué sur franceinfo le 13 février. "Nous sommes dans une période où on doit faire appel à une forme de solidarité, de réconciliation. Il y a des filières qui, aujourd'hui, ont 40% de volume en moins (...) des filières pour lesquelles c'est dramatique, même si ce n'est pas le cas de toutes. Il faut arrêter de détruire de la valeur : (...) il y a toujours des demandes de baisses de prix et ce sont les agriculteurs qui subissent".

"Il faut que les revenus des agriculteurs progressent (...). Beaucoup de producteurs disent : "Si vous augmentez le prix du yaourt de deux centimes, ça va aller directement dans ma ferme et ça me change l'avenir." (...) Ce sont ces enjeux-là, on ne peut pas être dans une spirale qui tire tout vers le bas et qui amène à une destruction de valeur", conclut Serge Papin.

Promulguée en 2018, la loi Alimentation (Egalim) était censée protéger les revenus des producteurs mais le gouvernement a reconnu en septembre qu'elle n'avait pas atteint ses objectifs.

Détresse

Ces difficultés économiques poussent certains à mettre fin à leurs jours. "Il y a aujourd'hui deux suicides par jour dans le monde agricole", selon Sylvain Hutin, Directeur Général de la MSA Provence Azur. 

Réseau Agri-sentinelles, "aides au répit" pour les assurés épuisés, numéro de téléphone dédié avec Agri'écoute : plusieurs dispositifs existent pour repérer les professionnels en souffrance et isolés. Le Sénat a également lancé une plateforme entre la mi-décembre et la mi-janvier pour recueillir des témoignages de proches d'agriculteurs ayant mis fin à leurs jours, afin "d'élaborer des pistes utiles et concrètes pour lutter contre ces drames silencieux". Si l'initiative a le mérite d'imposer le sujet dans le débat public estime Sylvain Hutin, il reste beaucoup à faire en termes de prévention et d'accompagnement financier. "Pourquoi ne pas systématiser l'aide au répit par exemple ?" propose le professionnel. La sécurité sociale agricole milite aussi pour que soit instauré un suivi après une tentative de suicide, ou encore pour un mentorat renforcé des jeunes agriculteurs durant les trois premières années d'activité.

Dans un rapport remis fin novembre au Premier ministre, le député LREM du Lot-et-Garonne Olivier Damaisin, suggère, lui, de mieux coordonner localement l'accompagnement des agriculteurs en souffrance et de former davantage de citoyens "sentinelles" pour les orienter précocement vers des dispositifs de soutien. Il plaide également pour une publication annuelle du taux de mortalité par suicide et d'une "analyse fine de la typologie des agriculteurs concernés et des causes". Il n'est "pas normal", a-t-il commenté auprès de l'AFP, que les chiffres les plus récents datent de 2015. Cette année là, la MSA avait recensé 605 suicides d'assurés du régime agricole, plus d'un par jour.

Partagez vos idées, imaginez vos solutions

En cette journée spéciale, nous vous invitons à participer à la grande consultation citoyenne lancée en janvier. Dans le module ci-dessous, racontez les initiatives nées près de chez vous pour soutenir ces agriculteurs, aidez-nous à en inventer de nouvelles et donnez votre avis sur celles des autres. Vous êtes vous-même agriculteur ? Expliquez-nous ce que vous avez imaginé pour vous en sortir.

Ma France : Améliorer le logement des Français

Quelles sont vos solutions pour aider les Français à bien se loger ? En partenariat avec Make.org, France Bleu mène une consultation citoyenne à laquelle vous pouvez participer ci-dessous.

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