À la sortie de l’école élémentaire Paul Langevin de Corbeil-Essonnes, située dans le quartier de Montconseil, parents et élus assistent à une petite chorale improvisée. « Tous aller à l’école, c’est le droit des enfants, obtenir la parole c’est le droit des enfants, manger tous à sa faim, c’est le droit des enfants…», entonnent les enfants à plusieurs reprises, ce vendredi 12 février, à la veille des vacances.

« Ce n’était pas prévu », précise Flore, enseignante en CP, « mais nous tenions à dénoncer ce qu’il s’est passé, la place des enfants n’est pas dans un centre de rétention !». Libérés la veille, Aicha et Chaka, accompagnés de leur maman, assistent au spectacle. Scolarisés respectivement en CE1 et en grande section de maternelle dans l’établissement depuis le début du mois de décembre 2020, les enfants résident comme d’autres familles en situation irrégulière, dans un hôtel social proche du quartier, géré par le 115.

Un parcours difficile du Burkina Faso vers la France

Mariam, Aicha et Chaka Dembele sont arrivés en France en février 2020. Originaire du Burkina Faso, la famille est passée par le Niger et la Libye, puis a traversé la Méditerranée, via une embarcation de fortune, pour rejoindre l’Europe par l’Italie où elle est restée cinq mois.

Dans l’une des salles de classe de l’école, la mère de famille semble quelque peu perdue, fatiguée, tourmentée par ces deux jours d’enfermement. La trentenaire, affublée d’une doudoune et d’un bonnet noir balbutie quelques mots de français.

Aicha et Chaka, n’ont jamais été scolarisés avant septembre 2020. Après deux mois dans une école du Coudray-Montceau, une commune limitrophe, ils débarquent à Corbeil-Essonnes en décembre, où ils sont évalués par Emilie. « Aicha est parfaitement francophone, elle a tout absorbé très vite. Elle est en CE1 et son apprentissage de la lecture est bien parti. Avec les collègues nous sommes persuadés que d’ici la fin de l’année, elle saura lire. C’est une petite fonceuse, qui travaille et participe énormément. Cette enfant c’est la résilience », explique la maîtresse.

Suite au rassemblement de cet après-midi

Monsieur le secrétaire général de la Préfecture de l’Essonne

Je vous alerte…

Publiée par Michel Nouaille sur Vendredi 12 février 2021

De son côté Aicha, ne lâche pas son cartable violet vissé sur le dos, et semble heureuse d’être à l’école malgré l’épreuve à peine terminée. « Aicha c’est notre petit rayon de soleil », tance avec émotion Julie une enseignante de l’école. Absorbé par le portable de sa mère, Chaka lui est plus réservé, il préfère regarder un dessin animé.

« Pas d’enfant en prison, rendez-nous notre élève » pouvait on lire sur les murs de l’école à Corbeil-Essonne.

Emilie, enseignante de français dans le dispositif UPE2A (unité pédagogique pour enfants allophones arrivants) explique un peu plus en détail leur historique. C’est elle qui est chargée d’accueillir les enfants arrivants dans ce dispositif, de jauger leur niveau en fonction de leur âge, de connaître un peu le parcours de leur famille et leur histoire souvent difficile.

On a peur que les forces de l’ordre viennent les chercher chez eux. 

« On a appris jeudi que les enfants étaient en CRA par un voisin de la famille qui réside dans le même hôtel », explique Emilie. Dès lors la mobilisation s’est organisée : banderoles et affiches sont placardées sur les murs de l’établissement. « Pas d’enfants en prison », peut-on y lire à côté des dessins.

L’équipe enseignante est partagée entre le soulagement de la libération, la colère et l’inquiétude : l’ordonnance qui met fin à la détention ne fait pas disparaître l’obligation de quitter le territoire. « Passé un délai de sept jours, ils sont de nouveau susceptibles d’être renvoyés en Italie », s’inquiète Emilie, « ils ont été libérés certes, mais la préfecture a conservé le passeport de Mariam, les vacances scolaires débutent, on a peur qu’ils (les forces de l’ordre) viennent les chercher chez eux ».

L’absurdité des procédures

« Enregistrée » en tant que « dublinée » depuis le 15 mai 2020. Mariam, à l’instar de nombreux exilés a l’obligation de pointer à la préfecture avec le risque permanent d’être renvoyée en Italie.

La maman célibataire, « a toujours répondu à ses obligations administratives », confirme la Cimade qui accompagne la famille. Cependant, le mardi 11 février alors que Mariam se rend comme à son habitude avec ses enfants à la préfecture pour signifier sa présence, l’ordre est donné de l’emmener à 70km de là, dans le Centre de Rétention administrative du Mesnil Amelot (77) à quelques encablures de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle.

La famille y est enfermée dans des conditions précaires pendant deux longues journées. Le jeudi matin Mariam est déférée devant le juge, situé dans l’annexe du tribunal installé à proximité du CRA. Après deux jours de détention, le trio est finalement relâché dans la nature peu après midi, pour irrégularité de la procédure.

« La famille Dembele est sur le territoire depuis plus de 6 mois et n’est donc plus soumise à la procédure Dublin. Elle est en droit de demander l’asile ou un titre de séjour pour vie privée et familiale », explique Hortense employée à la Cimade au CRA de Mesnil-Amelot qui a suivi le dossier. Une Irrégularité confirmée par l’ordonnance du 11 février à laquelle nous avons eu accès et qui fait état « du caractère manifestement disproportionné du placement en rétention ».

C’est malheureusement fréquent. En 2019, 83 enfants ont transité par le centre.

Mais alors pourquoi Mariam et ses deux jeunes enfants ont subi un tel traitement ? « C’est malheureusement fréquent », nous indique Mathilde une collègue d’Hortense à la Cimade. « En 2019, 83 enfants ont transité par le centre. En 2020, nous avons eu moins de personnes en rétention, car avec l’arrêt du trafic aérien lié à la crise sanitaire, il y a eu nécessairement moins d’expulsions.»

Les deux employées de l’ONG décrivent des conditions rudes, à fortiori pour les enfants : « il n’y a pas de dispositif spécifique pour les enfants, encore moins d’accompagnement psychologique ou d’enseignement. Il y a certes une aile dédiée aux familles mais les enfants sont soumis au stress et à la vulnérabilité de leur parents impuissants face à cette situation », déplorent les deux femmes qui rappellent que la France a été condamnée à plusieurs reprises par la CEDH , pour l’enfermement de mineurs en CRA.

Les écoliers ont chanté de toutes leurs forces pour manifester leur soutien à leur camarade Aicha.

Des élus mobilisés

Plusieurs élus du printemps de Corbeil, qui ont ravi la mairie à la droite en juin dernier, étaient présents lors de la mobilisation devant l’école des enfants. Le premier adjoint au maire, Michel Nouaille, y a pris la parole pour dénoncer les faits et faire part de la solidarité de l’équipe municipale envers la famille. Il a dans la foulée notifié un courrier à l’intention du secrétaire général de la préfecture de l’Essonne afin de l’alerter sur la situation et demander la suspension de l’obligation de quitter le territoire.

Quelques jours après la mobilisation, Mariam s’est rendue à la préfecture et à défaut d’avoir récupéré son passeport, elle s’est procurée un dossier de demande d’asile. Une fois son dossier complété et déposé, avec l’aide de bonnes volontés qui l’accompagnent dans ses démarches, il faudra attendre qu’il soit enregistré en préfecture.

C’est seulement après l’attribution d’un numéro de dépôt que la famille sera à l’abri d’un éventuel placement en rétention, et ce jusqu’à la décision soit rendue. D’après la Cimade en 2019, 55,7% des étrangers ayant transité par le CRA de Mesnil Amelot ont été expulsés du territoire.

Céline Beaury

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