Le 19 février 2001 disparaissait Charles Trenet, poète, “Fou chantant”, un révolutionnaire qui contribua à introduire le jazz dans la chanson française.
Quand j’étais jeune, Charles Trenet m’énervait. Tant de bonheur semblait impensable dans une société où ce sentiment, comme la nostalgie, d’ailleurs, vous place entre le ridicule et le réac. Je ne me rendais pas compte que cet homme, dans Je chante, avec un grand sourire et des pas de danse guillerets, racontait un suicide, que ce Tintin bondissant à chapeau de feutre – sans le pantalon de golf et le chien Milou – était en vérité frappé par le « soleil noir de la mélancolie » cher à Gérard de Nerval. Ses chansons racontaient souvent un rêve qui se terminait, laissant le dormeur désemparé. Non, le boulanger qui fait le bon pain n’avait pas existé ; oui, le simple facteur devant lequel il s’émerveillait à la manière d’un Jacques Tati dans Jour de fête avait disparu. Il restait le ciel gris et la vie ordinaire. Y a d’la joie s’achevait sur une note amère.
Cette double lecture lui a permis de joliment vieillir, comme ce bon vin qu’il célébrait, d’effacer l’image papillonnante et kitsch, la veste bleu électrique, la rose à la boutonnière. Il a embrassé toutes les saisons, la jeunesse, la vieillesse, cet état d’hermaphrodite qui le rend intemporel, présent aussi bien dans le tendre Baisers volés de Truffaut que dans un James Bond, Skyfall où l’on entend « quand notre cœur fait boum… » pendant qu’un tueur sadique torture une femme.