Le sculpteur Shelomo Selinger, dans son atelier, à Paris, le 1er fevrier 2021

Le sculpteur Shelomo Selinger, dans son atelier, à Paris, le 1er fevrier 2021

afp.com/JOEL SAGET

L'artiste, né à Szczakowa, près d'Auschwitz en Pologne, et dont une quarantaine de sculptures sont exposées dans des lieux publics comme le Mémorial de Drancy, vient de publier "Nuit et lumière", en s'aidant de la plume de l'écrivaine Laurence Nobécourt: un court livre en 36 chapitres qui raconte l'enfer, la destruction de sa famille, l'amnésie qu'il a vécue sept ans, puis la renaissance en Israël et en France.

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Aujourd'hui, il sculpte toujours dans son atelier du XVe arrondissement. "Naturalisé français, c'est ici que j'ai construit mon art, ma famille. J'aime la France. J'ai des pierres et des sculptures attachées à mes pieds et je ne peux plus bouger".

"La vie est plus sacrée que Dieu, s'il existe. La nature m'a donné l'oubli qui m'a permis de me reconstruire et l'art a pris le relais. La vie prime tout. Quand on a affronté la mort, la torture, la misère, on l'apprécie d'une façon extraordinaire", résume le sculpteur, père, grand-père et depuis peu arrière grand-père.

De terribles cauchemars reviennent encore le hanter: "quand une image m'obsède, je réfléchis à la traduire en oeuvre d'art, à la transformer en lumière".

Comment est-il devenu artiste? "J'ai commencé pour plaire à une jeune fille", Ruth, qui deviendra son épouse. "C'était au Mont Carmel (en Israël). J'ai fait un petit bonhomme avec l'écorce de pin, elle trouvait ça tellement beau que, retourné dans mon kibboutz, j'ai pris un miroir, un tronc d'arbre, et, avec les outils de menuiserie, j'ai fait mon autoportrait. Et, depuis, elle garde ma tête, elle me garde aussi! Et elle est toujours là derrière moi! Elle a cru que j'étais un artiste. Grâce à elle je peux faire tout avec amour".

- "Réparer le monde" -

Qu'expérimente-il avec le bois ou la pierre? "Ma façon de créer, c'est rechercher la lumière dans la matière. Un bloc de pierre, un tronc, je ne commence que quand je comprends ce qui se trouve dans cette matière".

Il met en garde maintenant contre l'oubli de l'Histoire qui peut "condamner un peuple à la revivre" et pointe le risque du "groupe qui cultive la haine" en cherchant des bouc-émissaires. "Dans ce groupe l'individu devient un morceau, le groupe n'a ni cerveau ni coeur!"

Dieu, il dit "ne pas l'avoir rencontré". S'il existait, ce serait à travers ces gestes gratuits, parfois d'inconnus, qui sauvent. "Chaque personne a une étincelle divine et peut-être qu'une oeuvre d'art lui permet de révéler en elle ses propres richesses. L'homme découvre ses richesses esthétiques, spirituelles dans l'oeuvre, et c'est peut-être ça le +Tikoun Olam+, la réparation du monde".

Selon ce concept de la Kabbale, les vases contenant la lumière divine se sont brisés, et c'est à l'homme d'achever le travail de Dieu.

"Dans chacune de mes oeuvres monumentales consacrées à la Shoah, insiste Shelomo Selinger, je mets des formes symboliques pour honorer les Justes, grâce à qui, dans la mystique juive, le monde subsiste. C'est grâce à eux je crois que l'humain est possible".

"Maintenant que j'ai 92 ans, confie-t-il, je rêve d'avoir une oeuvre uniquement consacrée aux Justes parmi les Nations et j'aimerais bien la proposer dans l'allée à côté du mémorial de la Shoah (à Paris). J'aimerais encore contribuer ainsi au +Tikoun Olam+, réparer le monde par une oeuvre. J'aimerais bien la réaliser en granit rose de Bretagne".

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