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Décryptage

Instagram ou Instapub ? Comment le réseau est devenu une gigantesque vitrine commerciale

Aujourd'hui, sur le milliard de comptes actifs, 200 millions communiquent en vendant des produits et 9 millions sont purement publicitaires. Le réseau social est passé d'une communauté interconnectée de personnes réelles à une devanture de magasin dématérialisée... au risque d'excéder abonnés et annonceurs.

Les revenus du groupe de Mark Zuckerberg devraient s'élever à 7,8 milliards d'euros en 2021.
Les revenus du groupe de Mark Zuckerberg devraient s'élever à 7,8 milliards d'euros en 2021. (SOPA Images/SIPA)

Par Marion Simon-Rainaud

Publié le 18 févr. 2021 à 18:20Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:18

La publicité sur Instagram, constante et diffuse, ne saute pas aux yeux. C'est sans doute la clé de son succès. Elle se fonde dans nos fils d'actualité. Comment ? Par l'enchevêtrement d'algorithmes puissants et performants. La mécanique est la suivante : le groupe de Mark Zuckerberg a accès à une telle quantité de données qu'il peut cibler très finement ses utilisateurs - que ce soit sur Instagram ou sur Facebook. Résultat : « Chaque feed Instagram est unique, explique Alexandre Mahé, directeur associé de l'entreprise spécialisée dans l'e-commerce Fabernovel. Le réseau pousse des contenus, dont la pertinence est calculée par rapport à l'activité de chacun des utilisateurs. Cet ultraciblage est la force du réseau. » En clair, plus le mastodonte de la tech amasse d'informations sur nous, plus les contenus mis en avant par la plateforme sont acceptables et acceptés.

Liberté, égalité, sérendipité

« Sur Instagram, les utilisateurs cherchent avant tout à s'inspirer en naviguant sur le réseau social », explique Constance Grandclement-Chaffy, la responsable marketing produits du réseau social pour l'Europe du Sud. Et l'inspiration peut venir à la fois des autres utilisateurs, des influenceurs (évidemment) mais aussi des sociétés. Le réseau en veut pour preuve que neuf instagrameurs sur dix suivent au moins une marque. La vitrine idéale.

C'est précisément la raison pour laquelle Céline Lescure-Inquel, fondatrice de la jeune marque de vêtements pour femme Plume Paris a lancé sa start-up sur cette plateforme. Son aventure entrepreneuriale est exemplaire de ce qu'il s'y passe. L'instagrameuse de 45 ans est suivie par 15.000 followers sur son compte personnel. Spontanément, sa communauté se structure autour des valeurs qu'elle prône : l'authenticité, la vie de famille, la sublimation des cinq sens, et sa maturité sur un réseau à l'audience plutôt jeune. Se crée alors une sorte de « ligne édito », qui lui donne envie d'aller plus loin : elle s'associe, crée sa boîte et devient« instapreneuse ».

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« C'est le meilleur réseau pour vendre une expérience globale et pas simplement des produits », explique l'entrepreneuse qui mise pour l'instant tout sur Facebook Ads, le service publicitaire professionnel qui touche tous les réseaux du groupe. Au total, par jour, sa société investit quelque 750 euros. Si la pub est un budget important pour la jeune pousse qui a récemment levé 200.000 d'euros en quinze jours grâce notamment à Instagram, les contenus restent la priorité. Lancé, il y a à peine un an, sa marque Plume Paris compte désormais plus de 19.000 abonnés - qui, selon ses statistiques, lui ressemblent : des femmes, urbaines, entre 25 et 54 ans.

Progressivement, son compte personnel est devenu le premier relais de sa marque. Elle l'a professionnalisé. « Je partage moins de choses intimes ou privées, mais j'essaie toujours de poster des photos autres que celles où je porte les vêtements Plume », raconte celle qui reste tout de même le modèle principal de la marque. Parfois, l'entrepreneuse fait appel à des influenceuses qu'elle remercie par des dons d'habits.

68 % des utilisateurs cherchent à échanger

L'expérience de l'instapreneuse a été théorisée chez Instagram. « L'interconnexion entre les comptes personnels des créateurs, ou ceux d'influenceurs tiers, accélère la découverte du produit et renforce le lien entre l'utilisateur et la marque, décrypte la responsable marketing et produit de l'entreprise pour l'Europe du Sud. C'est une autre porte d'entrée pour le client et un autre outil de storytelling pour la marque qui crée une possibilité d'échange. » En effet, d'après les chiffres d'Instagram, 68 % des utilisateurs viennent échanger sur le réseau.

On peut se demander si toutefois cet afflux de publicités ne risque pas de détourner les abonnés de la plateforme ? Le pari d'Instagram est qu'ils ne les rejettent pas car les pubs leur correspondent et qu'ils peuvent s'adresser directement aux créateurs. « Instagram a réussi le tour de force de casser le plafond de verre qui séparait les comptes utilisateurs lambda des comptes de marques », indique Louis Duroulle, intervenant en social media marketing au pôle universitaire Léonard de Vinci. Un mélange des genres qui se traduit, selon l'expert, par ce chiffre clé : 93 % des comptes de marques sur Instagram sont des PME et TPE.

Les comptes Instagram de Perrier-Jouët, Plume Paris et Bergamotte comptent respectivement 134.000, 19.300 et 180.000 abonnés

Les comptes Instagram de Perrier-Jouët, Plume Paris et Bergamotte comptent respectivement 134.000, 19.300 et 180.000 abonnésDR

Même pour les gros, le réseau est devenu incontournable. « Pour une marque commerciale, Instagram est la plateforme reine pour générer de la considération et donc de l'engagement chez nos clients, analyse Christine Seguin responsable du contenu sur les réseaux sociaux du Crédit Agricole. Notre cible, les jeunes y étaient nombreux, c'est ce qui nous intéressait ». Le compte de la banque qui comptabilise 14.000 abonnés revendique avoir réussi son pari et être devenue la banque préférée des jeunes, selon un baromètre d'image Ipsos diffusé en interne. La responsable de la banque française pointe néanmoins : « Sur les réseaux sociaux, on doit épouser les codes de chaque plateforme tout en restant fidèle à notre ADN de marque. C'est un point d'équilibre difficile mais essentiel à tenir. » Sans dévoiler de chiffres, l'entreprise annonce dépenser un budget conséquent sur les réseaux sociaux aujourd'hui notamment sur YouTube et Instagram.

La tendance est générale, tous se doivent d'y être. Selon le dernier sondage de Hootsuite daté de janvier 2021, les réseaux sociaux sont la 3e source d'information sollicitée lorsqu'on cherche des renseignements sur une marque : 28 % des personnes interrogées y vont par réflexe. Le phénomène est aussi global que croissant puisque 76 % de la population française est présente sur les réseaux sociaux, avec une augmentation de 13 % entre janvier 2020.

320 euros pour un post en moyenne

Photos, posts, stories, lives, filtres personnalisables, vidéos, collaborations… Les différents formats proposés par Instagram participent à l'unicité d'un compte. Plus on les utilise, plus l'algorithme met en avant l'utilisateur et son contenu. Ils sont un moyen pour se rapprocher toujours plus près de l'utilisateur, et donc potentiel client.

La marque de champagne Mumm, de la maison Perrier-Jouët l'a très bien (et vite) compris. Pendant le confinement, de nouveaux rendez-vous virtuels sont mis en place par le compte Instagram en anglais de la société de spiritueux suivi par 134.000 personnes . Dans une vidéo, on découvre le chef Pierre Gagnaire, élu « le plus grand chef étoilé » par ses pairs en 2015 qui se met en scène, dans sa cuisine, réalisant une recette d'huîtres au champagne avec une bouteille de la marque, qui n'apparaît au total que deux fois dans la vidéo de moins de deux minutes. « Instagram est une vitrine mais on peut aussi entrer dans la cuisine, commente Quentin Meurisse, représentant de la marque de champagne. Nous avons mis en place des e-dégustations avec nos sommeliers, elles ont rencontré un certain succès car les gens pouvaient poser des questions en direct. Ils avaient l'impression d'y être. »

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Outre ces sessions stars, la multinationale collabore également avec de nombreux influenceurs. Son compte en est truffé. Pendant la période des fêtes de fin d'année, la maison Mumm a fait appel à au moins 200 personnalités influentes sur le réseau en les rémunérant selon le nombre de personnes touchées, le nombre de posts ou encore l'exigence de la mise en scène. Pour cela, ils travaillent avec une Upfluence , qui a développé un logiciel qui analyse les données de ses collaborations avec les influenceurs. D'après leurs chiffres, en 2020, le paiement moyen reçu par l'un d'entre eux est estimé en moyenne à 320 euros.

D'Instagram aux spots télévisés

Depuis l'arrivée de la publicité sur Instagram en 2015, le budget des marques a explosé. L'année dernière la marque de cosmétiques, Estée Lauder a ainsi annoncé, en grande pompe, que 75 % de son budget communication serait alloué uniquement aux réseaux sociaux, et surtout aux influenceurs. Ces coquettes sommes viennent grossir les recettes de la publicité mobile d'Instagram dans le monde qui s'élève à 5,7 milliards d'euros en 2018 contre moins d'un milliards trois ans plus tôt, selon Statista . En 2021, le site de statistiques européen prévoit 7,8 milliards d'euros de revenus.

Certains annonceurs se contentent d'être actif sur Instagram sans pour autant investir dans la pub. Bergamotte , le site spécialisé dans la livraison de fleurs né sur Instagram a décidé de ne plus faire de publicité sur le réseau. « On était dans les premiers, notre croissance a été exponentielle, c'était dément ! Mais, une fois que nos clients ont été fidélisés il n' y avait plus d'intérêt à faire de la pub sur Instagram, se souvient Romain Raffard, fondateur de la start-up. C'était une sorte d'âge d'or, aujourd'hui ça s'est érodé. Je trouve que le réseau est de plus en plus pollué par les marques.  » L'entreprise a donc changé son fusil d'épaule. « On mise maintenant sur la télévision, qui a connu un regain d'intérêt avec la pandémie. » Mais, tous sans exception, petits comme gros, voient déjà l'avenir sur TikTok, le grand gagnant de la crise du coronavirus.

Le constat de l'entrepreneur fait écho à celui de certains utilisateurs de plus en plus las de toutes ces publicités. « Je ne viens pas du tout sur Instagram pour voir du contenu publicitaire, mais les photos de mes amis ou de mes proches, souffle Maèli, une utilisatrice journalière qui ne s'y fait pas. J'ai l'impression que parfois les marques forcent pour s'introduire dans mon feed. » L'équilibre est délicat à tenir, d'autant qu'Instagram multiplie les gestes qui trahissent sa volonté d'aller plus loin : intégrer un système de paiement. Une brique qui transformerait la simple vitrine en magasin... quitte peut-être à perdre des clients.

Marion Simon-Rainaud

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