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Non, il n’est pas indispensable de manger de la viande pour être en bonne santé

A rebours des affirmations du ministère de l’agriculture, le consensus scientifique estime que les enfants peuvent grandir en bonne santé sans manger de la viande.

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Publié le 27 février 2021 à 04h57, modifié le 04 mars 2021 à 13h43

Temps de Lecture 6 min.

De la viande et des légumes servis en restauration collective.

Manger de la viande est-il nécessaire pour être en bonne santé, en particulier pour les enfants en pleine croissance ? Cette question vient de resurgir à l’occasion de la polémique sur les menus sans viande dans les cantines de Lyon.

Besoin d’un petit rappel sur la polémique des menus végétariens à Lyon ?

La mairie de Lyon a décidé qu’à partir de la rentrée des vacances d’hiver, le 22 février, les enfants des écoles primaires de la ville se verraient proposer à la cantine un repas unique sans viande (mais avec des protéines animales, comme le poisson ou les œufs).

Le maire écologiste, Grégory Doucet, a expliqué qu’il s’agissait d’une mesure temporaire liée à la crise sanitaire qui, pour des raisons logistiques, rend plus complexe de proposer plusieurs menus alternatifs, comme c’était jusqu’alors le cas. « Le seul moyen de faire manger un plat chaud à tous les enfants de l’école, c’est de proposer un plat sans viande (…) Nous n’excluons personne, c’est même le contraire ! », a justifié l’adjointe à l’éducation, Stéphanie Léger.

Cette décision a suscité l’ire de l’opposition lyonnaise, mais aussi de plusieurs piliers de la majorité macroniste et du gouvernement, comme les ministres de l’agriculture, Julien Denormandie, et de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui ont dénoncé un choix « idéologique », en mettant en garde contre les supposées carences nutritionnelles de tels menus pour les enfants. A l’inverse, ce choix a été défendu par la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, qui a dénoncé un « débat préhistorique ».

Dérouler Replier

Le député macroniste Jean-Baptiste Moreau, éleveur bovin de métier, en est convaincu : « Des nutriments essentiels pour la croissance des enfants sont présents dans la viande. » Un avis partagé par le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie : « Donnons-leur simplement ce dont ils ont besoin pour bien grandir. La viande en fait partie. »

Le consensus scientifique dit pourtant l’inverse depuis longtemps. « Proposer des repas sans viande le midi à un enfant ne pose aucun problème d’équilibre nutritionnel, car il consommera très certainement des produits animaux à d’autres moments », rassure Benjamin Allès, chercheur au sein de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle de l’université Paris-XIII.

Pollué par de nombreux enjeux connexes (économie, environnement, traditions alimentaires), le débat scientifique est aussi compliqué par des confusions fréquentes entre les différents régimes végétaux, qui vont du pesco-végétarisme (qui exclut uniquement la viande) au véganisme (qui proscrit tout produit d’origine animale).

Panorama des principaux régimes


* Au sens strict, le véganisme dépasse l’alimentation : le terme désigne une exclusion plus large des produits animaux, pour les vêtements (cuir, laine) ou les cosmétiques (shampoing, dentifrice).

Or, ces différents régimes ont des conséquences bien distinctes sur la santé humaine. Car chaque catégorie d’aliments apporte une contribution plus ou moins grande aux besoins en nutriments essentiels pour la croissance des enfants et le bon fonctionnement de l’organisme des adultes.

Les apports nutritionnels des principaux aliments

1. Le régime sans viande (pesco-végétarien)

Ce régime, proposé dans les cantines de Lyon, ne présente guère de risques, à condition de rester équilibré – comme n’importe quel régime. En effet, les nutriments apportés par la viande, dont les protéines, peuvent aussi se retrouver dans la plupart des autres aliments (poisson, produits laitiers, légumes, céréales, etc.). Au début de 2020, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a d’ailleurs donné son feu vert à l’expérimentation de repas pesco-végétariens dans les cantines, jugeant « très peu probable » qu’ils puissent conduire à des carences chez les enfants.

François Mariotti, chercheur à AgroParisTech et président du comité experts « nutrition humaine » à l’Anses, explique toutefois qu’il faut rester vigilant sur le fer et le zinc, dont la viande est la principale pourvoyeuse. « Pour les enfants, la question du fer n’est pas négligeable, mais l’anémie est facilement détectable, et rarement très grave », explique le chercheur, qui rappelle que le poisson apporte aussi du fer, et qu’il est aisé de prendre des comprimés en cas de carence. « Quant au zinc, il n’y a pas de risque de carence à proprement parler : on pense juste que cela peut affecter l’immunité à long terme », poursuit François Mariotti.

2. Le régime végétarien classique (ou ovo-lacto-végétarien)

Si l’exclusion du poisson et des fruits de mer de son régime ne présente pas de problème majeur, les nutritionnistes mettent en garde contre deux risques.

Tout d’abord, un déficit en oméga-3 à longues chaînes (de type EPA et DHA). Même si on en retrouve dans l’huile et dans les noix, ces acides gras sont en effet surtout présents dans le poisson. Or, « même si on n’a pas encore assez de recul et d’études pour le prouver, un déficit de ces oméga-3 pourrait théoriquement avoir un impact sur la santé du cerveau », explique Benjamin Allès. « Il peut aussi y avoir un risque vasculaire à long terme », complète François Mariotti. La solution se trouve-t-elle dans les compléments alimentaires en oméga-3 ? « Des études sont en cours pour savoir s’ils fonctionnent vraiment efficacement comme substituts », rapporte Benjamin Allès, qui rappelle que beaucoup d’entre eux sont produits à base d’huile de poisson, et donc incompatibles avec le régime végétarien.

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Une alimentation sans produits de la mer peut aussi poser un problème d’apport en iode. « Cela peut provoquer des dysfonctionnements de la thyroïde », détaille François Mariotti, qui précise toutefois que les carences en iode sont très rares et présentent surtout un risque pour les femmes enceintes.

3. Le régime végétalien (ou vegan)

L’exclusion totale des produits d’origine animale est ce qui inquiète le plus les nutritionnistes. Non pas en raison de preuves scientifiques formelles sur l’effet du végétalisme sur la santé des enfants, mais de l’absence de telles preuves. « Au nom du principe de précaution, on ne peut pas recommander le régime végétalien pour tout type de population, car on manque de données de suivi à long terme, et encore plus chez les enfants », explique Benjamin Allès. Il faudra attendre la fin de 2021 pour que l’Anses se prononce, pour la première fois, sur la compatibilité du végétalisme avec les besoins nutritionnels, au regard de l’état des connaissances scientifiques.

Contrairement à une idée très répandue, la question des protéines n’est pas centrale. En effet, les protéines végétales couvrent les mêmes besoins que les protéines animales, issues de la viande ou du lait. Il faut simplement veiller à varier les aliments végétaux pour couvrir l’ensemble des besoins protéiques. « Si vous mangez des céréales au petit déjeuner et des légumineuses le soir, ça va très bien », assure François Mariotti. Dans les faits, « tout le monde couvre son besoin en protéines et en acides aminés dans la population française, même parmi les végétaliens », assure le chercheur.

Le principal problème du régime végétalien, c’est la vitamine B12, qu’on ne trouve quasiment que dans les produits d’origine animale. « Or, une carence peut provoquer de vraies maladies, comme de l’anémie, ou, bien pire, des troubles neurologiques et neuropsychiatriques », met en garde François Mariotti. C’est la raison pour laquelle les nutritionnistes recommandent aux végétaliens de prendre des compléments alimentaires contenant cette vitamine, sous la forme de comprimés.

L’exclusion des produits laitiers du régime végétalien peut également engendrer un déficit d’apport en calcium et en vitamine D. Ce qui peut poser problème aux enfants, puisque la vitamine D favorise l’absorption du calcium, qui est crucial pour solidifier les os pendant la croissance. Pour les adultes, un déficit en calcium expose à un risque d’ostéoporose et de fracture. Pour le compenser, certaines boissons végétales comme le « lait » de soja sont enrichies en calcium ou en vitamine D.

Si les risques inhérents au régime végétalien peuvent donc être le plus souvent circonscrits, les spécialistes recommandent un suivi nutritionnel régulier par un professionnel, à même de détecter d’éventuelles carences. Et rappellent que les principes de base de la nutrition doivent s’appliquer aux végétaliens comme aux autres : varier son alimentation, ne manger ni trop gras, ni trop salé, ni trop sucré, et éviter les produits ultratransformés, qui sont également très répandus sur le marché du véganisme.

Le public particulièrement fragile des nourrissons fait l’objet de recommandations particulières. L’Anses proscrit absolument leur alimentation avec des laits classiques (qu’ils soient végétaux et animaux), qui « ne permettent pas de couvrir les besoins nutritionnels très spécifiques des nourrissons de la naissance à un an ». A défaut du lait maternel, l’Anses recommande jusqu’à trois ans la consommation de laits spécifiquement préparés pour couvrir les besoins nutritionnels des enfants (lait première âge, deuxième âge ou de croissance). Ceux-ci peuvent être issus de laits animaux ou, sur prescription médicale, de protéines végétales.

4. Et la viande ?

Manger de la viande n’est pas une garantie de bonne santé. Ainsi, « les viandes issues de l’élevage intensif peuvent avoir de moins bons apports nutritionnels », remarque Benjamin Allès. Plus grave encore : « la viande rouge augmente le risque de maladies chroniques, et peut-être celui du surpoids », explique François Mariotti. Si cet effet néfaste est documenté uniquement chez les adultes, « il est important d’imprimer à un enfant des bonnes habitudes durables le plus tôt possible », estime celui-ci. Il peut donc être risqué d’accoutumer un enfant à manger de la viande trop régulièrement, avant de lui demander de réduire sa consommation une fois adulte.

Autre écueil possible d’une consommation excessive de viande : une alimentation insuffisante en produits végétaux, qui fait courir le risque de manquer de nutriments importants comme les fibres ou les folates.

C’est sur la base de ces constats que l’Académie de nutrition et de diététique, aux Etats-Unis, a estimé, en 2016, que les végétariens et végétaliens présentaient un risque réduit de développer certaines maladies cardiaques, certains cancers, du diabète ou de l’hypertension – à condition, bien sûr, que leur régime soit équilibré.

Correction, le 1er mars 2021 à 11 heures : La formulation du paragraphe sur les laits infantiles, erronée, a été modifiée pour tenir compte plus précisément de l’avis de l’Anses.

Crédits pictogrammes infographies : Alex Muravev, Giuditta Valentina Gentile, Ben Davis, Laura Barretta, Oleksandr Panasovskyi, asembagus-art, sumhi_icon et Icongeek26 (CCBY/The Noun Project).

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