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A Zurich, un Swissôtel, symbole du boom des années 1970, se transforme en logements bon marché

Le Swissôtel, symbole du boom économique des années 1970, n’a pas survécu à la pandémie. Cette tour de béton qui surplombe Oerlikon abrite désormais des micro-appartements temporaires pour étudiants ou travailleurs nomades

Victime du covid, le Swissôtel a fermé ses portes en novembre. Depuis, quelque 250 chambres ont été transformées en micro-appartements. — © René Ruis pour Le Temps
Victime du covid, le Swissôtel a fermé ses portes en novembre. Depuis, quelque 250 chambres ont été transformées en micro-appartements. — © René Ruis pour Le Temps

Une couverture colorée jetée sur les draps blancs immaculés, des lumières chaudes, quelques peintures pour habiller les murs: par petites touches, Sasha est parvenue à transformer la chambre 1706 du Swissôtel en un endroit douillet. L’étudiante en restauration d’art de 32 ans est l’une des nouvelles locataires de la tour grise de 85 mètres de haut, point de repère depuis près de cinquante ans à Oerlikon, un quartier de Zurich en constante mutation.

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A la fermeture de l’établissement fin novembre, 270 personnes perdaient leur emploi. La nouvelle jetait un froid dans un secteur durement touché par la crise. Victime du covid, le Swissôtel, inscrit au patrimoine de la ville comme un emblème de l’architecture hôtelière suisse, incarnait aussi le faste des années 1970-1980.

Vingt-cinq mètres carrés, sans cuisine

Les soubresauts de la crise, Sasha connaît, elle qui sort d’une rupture amoureuse: «On peut dire que le covid et le confinement ont fait l’effet d’une disruption dans ma vie. J’ai dû réfléchir à ce que je voulais vraiment.» Une chambre en plein centre-ville, bon marché, meublée: l’ancien hôtel à deux pas de la seconde gare de Zurich lui apparaît comme point de départ idéal dans sa nouvelle vie. «Tout s’est déroulé très vite. J’ai déposé ma candidature, et quelques jours plus tard je m’installais.» Bientôt, ils devraient être quelque 250 à cohabiter dans les chambres identiques. Le loyer revient à 790 francs, 390 pour les étudiants, y compris internet, TV et évacuation des déchets. Ils ont accès aux machines à laver et à quatre aspirateurs dans une salle commune.

© René Ruis pour Le Temps
© René Ruis pour Le Temps

Cet espace de 25 mètres carrés sans cuisine ne laisse guère le choix à Sasha: hormis son ordinateur et quelques affaires personnelles, elle n’a pas emporté grand-chose de sa «vie d’avant»: «C’est l’occasion de me délester et de vivre de manière plus minimaliste, ça fait du bien. Et le loyer, c’est cadeau, en comparaison avec les prix zurichois.» Mais elle sait déjà qu’elle devra quitter les lieux fin 2021. Car la transformation du Swissôtel en appartements est un projet d’utilisation temporaire.

Credit Suisse, propriétaire de l’immeuble, s’est tourné en décembre vers la start-up Novac Solutions pour trouver un usage à la tour de béton, avant qu’elle ne la transforme durablement. «Nous avons développé le concept en 18 jours», explique le fondateur de la start-up, Alexandros Tyropolis, 28 ans, qui a rebaptisé le Swissôtel «Nôtel» pour «No hôtel».

© René Ruis pour Le Temps
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Après avoir travaillé pour une société immobilière durant ses études en économie, le jeune homme s’est spécialisé dans le Zwischennutzung – l’utilisation temporaire d’immeubles vides. Sa société a transformé des bâtiments historiques en espace de coworking, ou encore des bureaux en halle marchande. L’idée: un usage de courte durée vaut mieux qu’un bâtiment à l’abandon. «Il arrive souvent qu’un propriétaire ait besoin de temps pour démarrer un chantier. Mais même s’il reste vide, un immeuble doit être entretenu, surveillé.»

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La moitié des occupants du Nôtel sont des étudiants, la moyenne d’âge tourne autour de 28 ans. Mais il y a aussi des entrepreneurs nomades, des employés en télétravail fuyant un conflit à la maison, ou encore des expatriés. Comme Jakob, 24 ans, venu du Danemark pour un nouvel emploi dans la finance à Zurich. «Je vais devoir beaucoup travailler de la maison, et la perspective d’habiter seul un studio, sans voir de collègues, m’a paru trop solitaire. Ici, j’ai une belle vue, une chambre meublée avec salle de bains privée, et la possibilité de rencontrer du monde. C’est idéal lorsqu’on s’installe dans une nouvelle ville.»

© René Ruis pour Le Temps
© René Ruis pour Le Temps

Dans les anciens locaux administratifs de l’hôtel, plusieurs start-up ont pris leurs quartiers: pour 490 francs par mois, elles ont accès à un espace de bureau et une chambre, au cas où elles devraient héberger un collaborateur ou un client.

Un tiers des quelque 350 chambres qu’abrite la tour restent des chambres d’hôtel à 50-100 francs la nuit – selon la demande –, au lieu de 210 francs, auparavant, pour une nuit au Swissôtel. Des coûts rendus possibles par l’automatisation: le client s’inscrit en ligne, scanne son passeport, puis reçoit un code qui lui permet d’ouvrir un boîtier renfermant la clé de sa chambre. Lorsqu’il libère les lieux, l’entreprise de nettoyage reçoit un avertissement.

«Avant, c’était British Airways. Maintenant, c’est EasyJet», image Alexandros Tyropolis. En cas de souci, des standardistes basés en Israël sont joignables 24 heures sur 24 en plusieurs langues. L’entrepreneur tend la main en direction des guichets restés vides, dans le lobby de l’hôtel: «Là-bas on installera bientôt un bar avec un robot pour servir des boissons.» Et, à côté des ascenseurs, il y a désormais des boîtes aux lettres pour les locataires.

© René Ruis pour Le Temps
© René Ruis pour Le Temps

Pour amener la vie dans cet univers standardisé, le jeune homme compte sur des locataires triés sur le volet: «Les candidats présentent les documents habituels. Mais, par-dessus tout, ils doivent nous convaincre qu’ils sont super motivés par l’idée de la cohabitation.» Au 31e étage, des travaux sont encore en cours. Des meubles attendent, emballés dans des cartons. Bientôt, un salon commun ouvrira avec, à côté, une salle de sport. Alexandros Tyropolis espère faire de ce projet un nouveau modèle pour les hôtels en difficulté en raison de la pandémie. «Il y en a de plus en plus.»